12 Juil 2016

Incapacité à tester : mise en preuve de dossiers médicaux

Par Rachel Rioux-Risi
Avocate

Dans l’affaire Pagé c. Henley (Succession de),
2016 QCCA 964, la Cour d’appel décide d’une action en annulation de testament
de la mère de l’appelante et de l’intimé. Il est question, notamment, de
l’admission en preuve des dossiers médicaux de la défunte ayant été obtenue
avant le début du procès par l’appelante. Dans le présent résumé, nous
porterons notre attention sur cette problématique.

Rappelons
brièvement les faits. L’appelante, Huguette Pagé, et l’intimée, Henley Payé,
sont frère et sœur. Ils ont une autre sœur, Joceline Pagé et un autre frère,
Guy Pagé, qui habite la Californie, depuis de nombreuses décennies. Notons
qu’Huguette Pagé habite la province de l’Ontario depuis 2005.

Dès 1975,
l’intimé emménage avec sa mère et sa sœur, Jocelyne. Cette dernière tombe
gravement malade et est hospitalisée le 25 octobre 2010.

Le même jour,
Madame Henley signe un testament devant un témoin dans lequel elle lègue tous
ses biens à l’intimé. Jocelyne décède le 28 octobre 2010.

Le 9 novembre
2010, Madame Henley signe un testament notarié. Tel que précédemment établi, le
testament prévoit que tous les biens sont légués à l’intimé et que celui-ci
sera également liquidateur de la succession. Finalement, en cas d’inaptitude de
Madame Henley, l’intimé sera son mandataire.

Le 17 novembre
2010, Madame Henley est conduite à l’hôpital, car l’intimé n’est plus en mesure
de s’occuper d’elle. En janvier 2011, elle est transférée dans résidence pour
personnes âgée. Elle décède le 2 janvier 2012. La requête en nullité des
testaments est déposée le 24 juillet 2012 soumettant que la défunte n’avait pas
la capacité de tester.

À cet effet, en
avril 2012, février et mars 2013, l’appelante obtient de l’hôpital où Madame
Henley a séjourné, les dossiers médicaux complets et ce, avant l’ouverture du
procès.

Est-ce que les
dossiers ont été obtenus de manière illégale ? Est-ce que cela a pour
effet de rendre cette preuve inadmissible ?

Analyse

L’intimé, tel
qu’argumenté en première instance, soumet les dossiers ont été obtenus de
manière illégale, contrevenant aux article 19 et 23 de la Loi sur les services de santé et les services sociaux (LRQ, c.
S-4.2) lesquels prévoient ce qui suit : 

19. Le dossier d’un
usager est confidentiel et nul ne peut y avoir accès
, si ce n’est avec le
consentement de l’usager ou de la personne pouvant donner un consentement en
son nom. Un renseignement contenu au dossier d’un usager peut toutefois être
communiqué sans son consentement :

[…]

23.
Les
héritiers, les légataires particuliers et les représentants légaux d’un usager
décédé ont le droit de recevoir communication de renseignements contenus
dans son dossier dans la mesure où cette communication est nécessaire à
l’exercice de leurs droits à ce titre.
Il en est de même de la personne
ayant droit au paiement d’une prestation en vertu d’une police d’assurance sur
la vie de l’usager ou d’un régime de retraite de l’usager.

[…]

(Nous
soulignons)

Considérant
l’illégalité, l’intime soumet respectueusement que les dossiers médicaux et par
ricochet, le témoignage de l’expert de l’appelante, le Dr. Verret, sur la
capacité à tester de Madame Henley ne devraient pas être admissibles en preuve.

La Cour d’appel
n’est pas de cet avis et considère que la question devrait être tranchée sous
l’angle de la pertinence et de l’importance de ces éléments de preuve eu égard
au litige portant sur la capacité de tester.

Elle se fonde
sur une décision de la Cour suprême, Frénette c. Métropolitaine (La), compagnie d’assurance-vie ([1992] 1 RCS 647), qui, relativement
la protection à être accordée aux renseignements personnels, a établi une
distinction entre le contexte judiciaire et extra-judiciaire. La Cour d’appel
résume comme suit le raisonnement de la Cour suprême :

[29]
Dans cet arrêt Frenette, la Cour suprême énonce que le critère applicable
dans un contexte judiciaire est celui de la pertinence de la preuve et de
l’importance des renseignements sollicités par rapport à la question en litige
.
Selon la Cour, un juge sera « fortement enclin » à permettre l’accès aux
dossiers médicaux dans le cas où l’état de santé du titulaire du privilège
constitue la principale question
en litige et où il n’existe pas
d’autres moyens pour une partie de prouver ses prétentions
.

(Nous
soulignons) (Références omises)

Ainsi, la Cour
d’appel conclut :

[Dans
le cas en l’espèce,] l’évaluation des capacités cognitives de la
testatrice au moment où elle a signé son testament afin de déterminer son
aptitude à tester constitue la seule question en litige dans l’action en
annulation
de testament intentée par l’appelante. De plus, compte tenu
de la charge de preuve requise pour un tel recours, il n’existe pas, de façon
réaliste, d’autre moyen pour l’appelante de démontrer la justesse de sa thèse
.
J’estime en conséquence qu’en soupesant le droit de la testatrice,
maintenant décédée, au respect de sa vie privée et à la confidentialité de ses
dossiers médicaux par rapport à l’intérêt de l’administration de la justice,
les dossiers médicaux du Jeffery Hale et du CHSLD auraient dû être admis en
preuve
. En effet, la santé mentale de madame Diane Henley au moment de la
signature des testaments D-3 et P-8 est la seule question en litige et, dans ce
contexte, les dossiers médicaux sont non seulement pertinents, ils s’avèrent
indispensables à l’exercice du recours en nullité de testament
. Par voie de
conséquence, il aurait dû en être de même de l’expertise et du témoignage du Dr
Verret puisqu’ils étaient fondés sur l’étude et l’analyse de ces dossiers
médicaux.

(Nous
soulignons) (Références omises)

L’intimé a
également soumis que l’admissibilité des dossiers médicaux et du témoignage du
Dr. Verret contrevient à l’article 5 de la Charte des droits et libertés de la personne, qui porte sur le
respect de la vie privée et l’article 9, qui est relatif au secret
professionnel et qui prévoit ce qui suit :

9. Chacun a droit
au respect du secret professionnel.

Toute
personne tenue par la loi au secret professionnel et tout prêtre ou autre
ministre du culte ne peuvent, même en justice, divulguer les renseignements
confidentiels qui leur ont été révélés en raison de leur état ou profession
,
à moins qu’ils n’y soient autorisés par celui qui leur a fait ces
confidences ou par une disposition expresse de la loi.

Le
tribunal doit, d’office, assurer le respect du secret professionnel.

(Nous
soulignons)

À cet effet, la
Cour d’appel explique la distinction qu’il faut faire entre la confidentialité
et le secret professionnel. Conformément aux propos tenus par le juge Baudouin,
dans l’arrêt D.(M.) c. D.(L.) ([1998] R.J.Q.
1366 (C.A.)), bien que la confidentialité soit inhérente au secret
professionnel, l’inverse n’est pas vrai. Autrement dit, la confidentialité
n’est pas exclusivement tributaire du secret professionnel et peut donc exister
indépendamment.

La Cour d’appel
rappelle un courant jurisprudentiel québécois relativement à la notion de
secret professionnelle. Celle-ci a un caractère restrictif dans les professions
autres que celles des notaires et des avocats. Pour déterminer l’étendue du
secret professionnel, la Cour doit soupeser les deux éléments suivants :
(1) le droit à la vie privée ; (2) l’administration de la justice.

Dans le cas en
l’espèce, bien qu’il est possible de croire que le droit à la vie privée de
Madame Henley est atteint, considérant que la question en litige est sa
capacité de tester et qu’il est quasi-impossible de mettre en preuve d’autres
éléments, il serait contraire aux intérêts de la justice de déclarer
inadmissible en preuve ses dossiers médicaux et le témoignage de Dr. Verret.

Afin de
connaître les conclusions quant à la capacité de tester de Madame Henley, nous
vous invitons à lire la décision intégrale se trouvant ici

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