Effets Jordan : Requête en arrêt des procédures
Par Rachel Rioux-Risi
Avocate
Dans l’arrêt R. c.
Huard, 2016 QCCA 1701, la Cour d’appel est saisie d’une requête en arrêt
des procédures.
Cette requête s’inscrit
dans la foulée de la décision de la Cour suprême R. c.
Jordan 2016 CSC 27, laquelle
a révisé les balises applicables en cette matière.
À ce titre, nous vous
invitons à lire un résumé de cette décision sur le Blogue.
Faits
À l’été 2005, une fraude
se produit à la banque où Monsieur Huard travail.
En 2008, il est mis en
état d’arrestation pour faux et faux documents ayant permis une fraude de 5 000
$.
Une dénonciation est
émise en 2010.
Il comparait en février
2011.
En janvier 2012, Monsieur
Huard demande une enquête préliminaire, laquelle est fixée en février 2013.
Elle sera finalement
reportée en février 2014, car l’enquêteur ne peut être présent en raison d’un
voyage humanitaire.
Finalement, Monsieur
Huard est cité à procès le 7 février 2014.
Un procès est seulement
envisageable en juin 2015.
Une requête en arrêt des
procédures est déposée par Monsieur Huard.
Analyse
De prime abord, la Cour
d’appel rappelle qu’au cœur de la nouvelle analyse énoncée par la Cour suprême
dans l’arrêt Jordan est deux plafonds. Ces derniers déterminent à qui incombe
le fardeau de preuve.
Ainsi, si le délai
dépasse le plafond applicable, c’est la poursuite qui doit justifier le délai.
La Cour d’appel
ajoute :
[12] Je note au passage que la décision dans Jordan rend caducs plusieurs des arguments de l’appelante. Ce qu’il faut retenir, c’est surtout qu’il
appartient à l’État poursuivant de faire en sorte que l’accusé soit amené à
procès dans un délai raisonnable ne dépassant pas le plafond global indiqué par
la Cour suprême, et de consacrer à cet effort des ressources suffisantes pour
atteindre un résultat objectif mesurable.
(Nos emphases)
La
période qui est évaluée débute par le dépôt des accusations et se termine à la
conclusion réelle ou anticipée du procès.
Les
délais auxquels renonce l’accusé ne sont pas calculés dans cette période.
Les
plafonds sont les suivants :
[14] La Cour suprême établit un
plafond de 18 mois pour les affaires instruites devant une cour provinciale
et un plafond de 30 mois pour les
affaires instruites devant une cour supérieure ou à la suite d’une enquête
préliminaire.
(Nos emphases)
En
l’espèce, si nous tenons compte des délais imputables à Monsieur Huard, la
période évaluée est de 58 mois. C’est la poursuite qui a le fardeau de preuve. Elle
doit réfuter la présomption du caractère déraisonnable et ce, en démontrant
qu’il y a des circonstances exceptionnelles.
Qu’est-ce
qu’une circonstance exceptionnelle?
La Cour
d’appel, reprenant les enseignements dans la décision de la Cour suprême,
explique ce suit :
[18] Qu’est-ce qu’une circonstance exceptionnelle? Selon la Cour
suprême, des circonstances
exceptionnelles sont « indépendantes de la volonté du ministère public,
c’est-à-dire (1) qu’elles sont raisonnablement imprévues ou raisonnablement
inévitables, et (2) que l’avocat du ministère public ne peut raisonnablement
remédier aux délais lorsqu’ils surviennent
». Selon les juges majoritaires, il serait inopportun de dresser une
liste de telles circonstances – au contraire, la qualification d’un évènement
quelconque relève du « bon sens et de l’expérience du juge de première instance
». Toutefois, ils soulignent qu’il existe généralement deux types de
circonstances exceptionnelles : les évènements distincts et les affaires
particulièrement complexes.
[19] À titre d’illustration, la Cour suprême indique que pourraient
constituer des circonstances exceptionnelles du premier type les urgences
médicales ou familiales (affectant l’accusé, des témoins importants, un avocat
ou la ou le juge de première instance), les affaires revêtant une dimension
internationale (comme celles qui exigent que l’accusé soit extradé d’un pays
étranger), et certaines situations imprévues survenant lors du procès (telle
celle d’un plaignant qui se rétracte).
(Nos emphases)
Dans le cas en l’espèce, le seul évènement qui constitue une
circonstance exceptionnelle est l’absence de l’enquêteur pour l’enquête
préliminaire en février 2013. Cela a fait en sorte que le délai a augmenté de
13 mois.
Cela étant dit, la Cour suprême, dans l’arrêt Jordan, a décidé de ne pas
imputer à un accusé le délai engendré par les moyens légitimes qu’il prend, par
exemple, une enquête préliminaire, afin de répondre aux accusations.
Qu’en est-il des mesures
transitoires ?
La présente décision
chevauche la période pré et post de l’arrêt Jordan. Quel effet cela a-t-il dans
l’évaluation des délais ?
Bien que l’arrêt Jordan
s’applique aux dossiers en cours, il y a une réserve, laquelle est la
suivante :
[25] Dans un cas comme celui-ci d’un délai dépassant le plafond permis, une « mesure transitoire exceptionnelle »
peut s’appliquer « lorsque le ministère public convainc la cour que le temps
qui s’est écoulé est justifié du fait que les parties se sont raisonnablement
conformées au droit tel qu’il existait au préalable. » Une mesure transitoire exceptionnelle
pourrait également s’appliquer dans un cas « moyennement complexe dans une
région confrontée à des problèmes de délais institutionnels importants. »
(Références omises) (Nos emphases)
Malgré cette réserve, la
Cour d’appel a conclu que, dans le présent cas, les délais, tant sous l’angle
de l’arrêt Jordan que de l’arrêt R. c. Morin, [1992] 1 R.C.S. 771,
sont déraisonnables.
[27] Selon le droit antérieur, une fois satisfaite que la longueur du
délai global justifiait un examen approfondi , la ou le juge devait répartir
les délais en cinq catégories, bien décrites dans l’arrêt R. c. Camiran, et
ensuite déterminer si l’accusé avait subi un préjudice en conséquence de ces
délais . Enfin, la ou le juge devait procéder à un exercice de pondération du
délai global, de ses causes, des intérêts que l’alinéa 11b) vise à protéger et
du préjudice subi par l’accusé.
[28] En l’espèce, le délai global
est de 65 mois, dont il faut considérer au moins 50.5 mois pour évaluer le
préjudice subi par l’intimé. Même si la preuve quant au préjudice n’est pas
abondante, elle est suffisante pour confirmer la conclusion du juge qu’il y a
eu préjudice. Il ne faut d’ailleurs pas perdre de vue l’existence de la
présomption simple selon laquelle le seul écoulement du temps cause un
préjudice à un accusé et qu’ici,
l’intimé vit quotidiennement avec les « vexations et vicissitudes » des accusations depuis 2010.
(Références omises) (Nos emphases)
Le texte de la décision
intégrale se trouve ici.
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