Violation d’un règlement municipal : le pouvoir discrétionnaire de la Cour supérieure en matière de droit acquis
Par
Sophie Lecomte
Avocate
Dans
l’affaire Lac-du-Cerf (Municipalité de) c. Ménard, 2016 QCCS 4616, la Cour
supérieure est saisie par la demanderesse d’une demande en démolition d’un
chalet au motif que les défendeurs n’ont pas effectué les travaux de
construction en conformité avec le permis de rénovation qui leur a été délivré.
La
Cour doit décider si, en vertu des règlements applicables et du permis émis,
les défendeurs ont conservé leurs droits acquis à un chalet implanté en partie
dans la zone riveraine malgré la démolition de plus de 50% des murs du
rez-de-chaussée.
Faits
Le
chalet est dans la famille des défendeurs (ci-après : « les Propriétaires ») depuis
les années 50.
En
2012, les Propriétaires sont confrontés à la problématique de sa rénovation ou
de sa reconstruction.
Le
26 avril 2013, ils rencontrent la demanderesse (ci-après : « la Municipalité »)
pour le lancement d’un projet de rénovation.
Le
6 mai 2013, l’Inspecteur en bâtiment de la Municipalité (ci-après : « l’Inspecteur
») leur délivre un permis de rénovation. Pourtant, avant cette date, les Propriétaires
effectuent des travaux de construction sans permis et sans avoir pris contact avec
la Municipalité à ce sujet.
Le
17 mai 2013, la Municipalité émet un avis d’infraction dans lequel elle
souligne la perte de droits acquis pour construire dans la bande riveraine (vu
la démolition de plus de 50% des murs).
En
conséquence, la dalle de béton et tout autre composante du bâtiment ne peuvent
être construits qu’à 20 mètres de la rive.
Décision et analyse
La
Cour supérieure vient tout d’abord se pencher sur la question du permis de
rénovation qui est cœur du litige.
En
l’espèce, elle constate que les Propriétaires ont non seulement commencé les
travaux avant l’émission du permis, mais ils ont aussi pris l’initiative par la
suite de détruire les murs en bois du chalet, de remplacer une partie du
plancher de bois et de faire couler une dalle en béton sans que ces travaux ne
soient indiqués au permis de rénovation.
La
Cour doit décider si les Propriétaires ont conservé leurs droits acquis à un
chalet implanté en partie dans la zone riveraine de 20 mètres malgré la
démolition de plus de 50% des murs du rez-de-chaussée en vertu des règlements
applicables et du permis émis. Elle répond par la négative, condamne le
comportement blâmable des Propriétaires et précise que le permis de rénovation
délivré indiquait explicitement cette condition.
[146]
Tout ceci pour dire que la démolition de plus de 50% des murs mène
irrémédiablement à la perte des droits acquis en vertu du règlement de zonage
de la Municipalité.
[147] La prétention des défenderesses que les
murs ont été « démontés » et « remontés » et qu’ils n’ont pas été démolis ne
tient pas la route. Ces murs qui constituaient les assises des droits acquis
n’existent plus. Il n’en reste que des planches décoratives appliquées à
l’intérieur de la nouvelle structure.
[148]
Sur ce point, le Tribunal retient les autorités déposées par la Municipalité.
Ainsi, il y a perte des droits acquis s’il y a démolition volontaire, même
si la reconstruction se fait avec des matériaux provenant de l’immeuble démoli.
(nous soulignons)
La
Cour vient préciser que, dans pareil situation, c’est la partie qui invoque
l’extinction d’un droit qui a le fardeau de prouver la perte des droits acquis.
[155]
Par ailleurs, le Tribunal souligne que le procureur des défenderesses a raison
lorsqu’il propose que, dans le présent dossier, la Municipalité a le fardeau
de prouver la perte des droits acquis.
[156] En effet, au départ, le droit acquis de
maintenir la construction dans la bande de protection riveraine de 20 mètres
est indiscutable car le bâtiment a été construit bien avant que le premier
règlement en cette matière ne soit adopté.
[157]
C’est donc à la partie qui plaide l’extinction d’un droit d’en faire la
preuve. (nous soulignons)
Ensuite,
le Tribunal se penche sur la question de savoir si les travaux effectués sans
permis justifient automatiquement une demande de démolition du bâtiment. Elle
répond par la négative à cette question.
[181]
Toutefois, s’il n’était pas question du problème de perte des droits acquis, la
sanction d’avoir fait des travaux conformes aux règlements mais effectués sans
permis, pourrait être une ordonnance d’obtenir, en payant les droits
appropriés, un nouveau permis portant sur ces travaux en vue d’en valider la
réalisation. (nous soulignons)
Mais,
en l’espèce, la Cour doit examiner la sanction applicable à la perte des droits
acquis portant sur la présence du chalet devenue non conforme en vertu de la Loi sur l’aménagement et l’urbanisme.
[183]
Il faut souligner que la démolition est « le recours extrême que les
tribunaux n’ordonnent qu’en dernier ressort » écrivent les auteurs Giroux
et Chouinard. Ils notent par ailleurs que le législateur lui-même ne l’autorise
que « s’il n’existe pas d’autre remède utile » aux articles 227 et 229 L.A.U..
[184]
Dit autrement, la démolition est la peine capitale en matière d’urbanisme et elle
ne doit être ordonnée que s’il n’existe aucune autre façon de solutionner le
problème de non conformité.
[185]
Par ailleurs, il faut souligner qu’en matière de droits acquis, l’objectif
du législateur est généralement de les encadrer, de les limiter dans leur
expansion et de favoriser à long terme la disparition de ces dérogations aux
lois et règlements qui s’appliquent à tous. (nous soulignons)
Ici,
la Cour supérieure détient un pouvoir discrétionnaire.
Pourtant,
la discrétion judiciaire dont jouit la Cour supérieure est limitée et ne pourra
être exercée que dans des cas exceptionnels à l’instar de l’arrêt de principe Montréal (Ville de) c. Chapdelaine, 2003 CanLII 28303 (QCCA). Elle
pourra ainsi refuser la démolition dans certains cas très exceptionnels.
[200]
Une longue citation de l’analyse des principes applicables à l’exercice de
cette discrétion judiciaire par les auteurs Giroux et Chouinard s’impose ici :
Dans un premier temps, et de façon plus globale, la Cour a établi que
l’exercice de ce pouvoir discrétionnaire passe « par un examen sérieux de la
violation invoquée au règlement de zonage et par l’établissement d’une
équivalence raisonnable entre l’importance de cette violation et la rigueur du
remède recherché ». Le tribunal doit d’abord qualifier la dérogation et
ensuite, si elle est mineure, décider, eu égard aux circonstances, s’il doit
exercer son pouvoir discrétionnaire.
Ainsi, lorsque la violation
n’est pas mineure et de peu d’importance, ni commise par inadvertance ou lorsque l’intimé a fait preuve
d’une « insouciance téméraire » du respect du règlement de zonage et
d’un « désintéressement reprochable » à l’égard du droit des
résidents du secteur à un environnement sain et paisible, les tribunaux
n’hésiteront pas à sanctionner la violation de la règlementation. À plus forte raison lorsque la
conduite du contrevenant est empreinte de mauvaise foi, notamment lorsque les
usages dérogatoires qui sont à l’origine des procédures résultent
essentiellement de ses comportements trompeurs et dissimulateurs. Il en est de même lorsque la situation
dérogatoire est de nature à menacer la santé ou la sécurité publique. Dans un
tel cas, le coût élevé des travaux ne peut influencer le sort du litige.
(nous
soulignons)
En
l’espèce, la Cour supérieure conclut qu’elle ne pourrait, sans déconsidérer
l’administration de la justice, exercer sa discrétion judiciaire pour écarter
l’application des règlements municipaux en présence d’un manque de franchise et
d’agissements de mauvaise foi. Elle donnera l’option à la Municipalité d’opter
pour l’ordonnance de déplacement du chalet ou l’ordonnance de démolition du
chalet à défaut.
La
décision intégrale se trouve ici.
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