par
Jasmine Jolin
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19 Déc 2016

Relation avocat-client et avis pour cesser d’occuper : leur application en matière d’actions collectives

Par Jasmine Jolin

Par Jasmine Jolin   

Paquette Gadler inc.

Dans Lépine c.
Société canadienne des postes, 2016
QCCS 5972 (ci-après le « Jugement
Lépine
»), la Cour se penche, à l’occasion d’une demande pour cesser
d’occuper des procureurs en demande, sur la relation particulière entre
l’avocat et son client en matière d’actions collectives. La jurisprudence étant
peu abondante sur le sujet, ce jugement est donc d’un intérêt certain pour les
praticiens du domaine.

Contexte

Dans le cadre d’une action collective déposée il y a
plus de quinze (15) ans à l’encontre de Postes Canada et de Cybersurf Corp. Au
motif que ces dernières auraient cessé d’offrir des services d’accès internet «
gratuit à vie », les procureurs du demandeur/représentant, M. Lépine, notifie
un avis de cesser d’occuper dans le dossier.

Postes Canada ainsi que les anciens procureurs du
demandeur/représentant, maintenant intervenants dans le dossier, s’opposent à
cette demande, invoquant essentiellement qu’un tel retrait des actuels
procureurs en demande causerait un préjudice aux membres du groupe de l’action
collective.

C’est donc sur cette question que se penche
l’Honorable Gérard Dugré, j.c.s. dans le présent jugement.

Analyse et
décision

Relation avocat-client dans le cadre d’une action
collective au Québec

Constatant que peu ou pas de sources doctrinales ou
jurisprudentielles québécoises traite de la question, la Cour se tourne ainsi
d’abord vers les références américaines et canadiennes de juridiction de common law, pour noter que, dans ces
juridictions, le procureur en demande a non seulement une relation
avocat-client avec le représentant, mais bien également avec les membres du
groupe :

[45] L’auteur
Catherine Piché  résume ainsi le statut du procureur agissant en demande
dans une action collective une fois qu’il est reconnu « adéquat » aux
fins de la certification de l’action collective intentée aux États-Unis :
Lorsque le
juge américain estime un procureur « adéquat » aux fins de la
certification de l’action collective, une relation avocat-client est
formellement créée. Les procureurs sont dès lors considérés comme des avocats
astreints à un devoir fiduciaire envers le groupe tout entier. Ils doivent donc
en protéger les intérêts « même [et surtout !] dans des circonstances où
les représentants du groupe adoptent une position que le procureur estime
contraire aux intérêts des membres
absents », auquel cas ils sont tenus de
discuter avec le tribunal de la transaction proposée.

[…]
[46] Dans l’affaire Richard v. HMTO, 2007 BCSC 1107
(CanLII)[8],  le juge Butler
de la Cour suprême de la Colombie-Britannique énonce les principes suivants
quant au statut du représentant et de son procureur dans le cadre d’une action
collective intentée en Colombie-Britannique :
[42]  From the above authorities and the provisions of
the Act, I extract the
following principles:
(1)   The representative plaintiff has the mandate to
act in the best interests of the class as a whole
.
(2)   The representative plaintiff has a significant
role to play in the proceedings after certification.  He or she acts in
the class’ best interest by directing litigation, instructing class counsel and
authorizing settlement.
(3)   Class counsel has a solicitor-client
relationship with class members and owes the duties and obligations that arise
as a result of that relationship to the class members
.  Class counsel
also has a duty to act in the best interests of the class as a whole.
(4)   Class counsel also has a solicitor-client
relationship with the representative plaintiff and owes the duties and
obligations that arise as a result of that relationship to the representative
plaintiff.
  This includes a duty of loyalty to the representative
plaintiff, which includes the duty to avoid conflicting interests, the duty of
commitment to the client’s cause and the duty of candour.
(5)   While class counsel has a significant role to play
in the conduct of proceedings, class counsel may not ignore the wishes of the
class representatives in making fundamental litigation decisions and may not
prosecute an action with unfettered discretion.
(6)   Given the relationship between the class, class
counsel and the representative plaintiff, there is a risk that conflicts may
arise.  Class counsel must be conscious of the conflicts that may arise
between the representative plaintiff and other class members, or between his or
her own interests and the interests of the class members.
(7)   When conflicts arise and cannot be resolved
between the class members, class counsel and the representative plaintiff, an application
for directions under s. 12, or for approval of the settlement pursuant to s.
35, should be made to resolve the conflict.
(8)   The ultimate responsibility to ensure that the
interests of the class members are not subordinated to the interests of either
the representative plaintiff or class counsel rests with the court.
[Jugement Lépine, par. 45 et 46]
[Nos soulignements]

C’est ainsi que la Cour se rallie aux conclusions exprimées par
l’auteure Catherine Piché en ce qui a trait à la relation entre le procureur en
demande d’une action collective, le représentant et les membres du
groupe :

Une fois le recours autorisé, le procureur aura toutefois
certaines responsabilités face aux membres ayant manifesté en quelque sorte
leur intérêt à être représentés. C’est donc dire qu’au Québec, quoique la
jurisprudence demeure relativement floue sur le sujet, il semble qu’une relation avocat-client puisse exister, à
compter de l’autorisation entre le procureur en demande et les membres du
groupe s’étant manifestés face au recours
, ou plus formellement en
ayant pris contact avec le procureur dans un but – explicite ou implicite –
d’être représenté par ce dernier. Quant aux autres membres du groupe qui
seront restés parfaitement passifs
, ils n’auront aucune représentation ou
protection du procureur en demande, mais seront protégés par le tribunal «
gardien des membres absents ».
[notes omises]
[Jugement Lépine, par. 50]
[Références omises]
[Nos soulignements et emphases]

Conditions pour cesser d’occuper

L’Honorable Juge Dugré indique, de manière
préliminaire, qu’il est nécessaire, pour cesser d’occuper pour un
représentant d’une action collective, d’obtenir l’autorisation du Tribunal, et
ce, que la date de l’instruction soit fixe ou non
(Jugement Lépine, par.
58). Il s’agirait donc d’une exception à la règle prévue à l’article 194 C.p.c.

Notons aussi que la Cour soulève l’existence de deux
autres exceptions à cette disposition. Ainsi, l’autorisation du Tribunal doit
tout de même être obtenu pour cesser d’occuper (1) lorsque cette demande est contestée
par une personne intéressée
et (2) lorsque les tribunaux estiment que la saine
administration de la justice est en cause
.

Interprétant l’article 194 C.p.c. à la lumière des
dispositions du Code de déontologie des
avocats
, RLRQ, c. B-1, r. 3.1 (ci-après « Cda »), la Cour conclut que trois (3) critères doivent être remplis
afin qu’un avocat puisse cesser d’occuper :


1. L’existence d’un motif sérieux (art. 48 Cda)

En principe, une considération
d’ordre déontologique devrait être vu comme un motif suffisant, souligne
d’ailleurs la Cour.

2. Le caractère conciliable du retrait
de l’avocat avec les objectifs d’une saine administration de la justice 

3. Le retrait ne doit en aucun cas
être à contretemps (art.
48 Cda)

En l’espèce, la Cour estime que la demande des
procureurs du représentant Lépine doit être rejetée, cette dernière ne
respectant aucun des trois critères précédemment énumérés. Notamment, la
divergence d’opinion existant entre le représentant et les procureurs n’est ici
pas vu comme une impossibilité d’agir, ces derniers étant plutôt tenus d’agir
dans le meilleur intérêt du groupe.

Le texte de la décision intégrale se trouve ici

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