Sélection SOQUIJ – Pénal (Droit) : Boudreault c. R., 2016 QCCA 1907
Par SOQUIJ, Intelligence juridique
PÉNAL (DROIT) : Les
dispositions de l’article 737 C.Cr. relativement à la suramende compensatoire,
prévoyant une contribution obligatoire affectée à l’aide aux victimes d’actes
criminels d’une somme de 30 % de l’amende infligée pour une infraction ou,
si aucune amende n’est infligée, de 100 $ pour une infraction punissable
sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire ou encore de 200 $
pour une infraction punissable sur déclaration de culpabilité par mise en
accusation, ne constituent pas une peine cruelle et inusitée au sens de
l’article 12 de la Charte canadienne des droits et libertés.
2016EXP-3879
Intitulé : Boudreault c. R., 2016 QCCA 1907
Juridiction : Cour d’appel (C.A.), Montréal, 500-10-006031-155
Décision de : Juges Nicole Duval Hesler (juge en chef), Mark
Schrager et Robert M. Mainville
Date : 28 novembre 2016
Références : SOQUIJ AZ-51345328, 2016EXP-3879, J.E. 2016-2139
(57 pages)
Résumé
PÉNAL (DROIT) —
détermination de la peine — principes généraux — les peines et la Charte
canadienne des droits et libertés — peine minimale — suramende
compensatoire — constitutionnalité de l’article 737 C.Cr. — retrait du pouvoir
discrétionnaire du juge — individualisation de la peine — proportionnalité de
la peine — capacité de payer — mode facultatif de paiement.
PÉNAL (DROIT) — garanties
fondamentales du processus pénal — droit à la protection contre tous
traitements ou peines cruels et inusités — peine minimale — suramende
compensatoire — constitutionnalité de l’article 737 C.Cr. — individualisation
de la peine — proportionnalité de la peine — retrait du pouvoir discrétionnaire
du juge — capacité de payer — mode facultatif de paiement.
DROITS ET LIBERTÉS — droits
judiciaires — protection contre tous traitements ou peines cruels et inusités —
infraction criminelle — peine minimale — suramende compensatoire —
constitutionnalité de l’article 737 C.Cr. — individualisation de la peine —
proportionnalité de la peine — retrait du pouvoir discrétionnaire du juge —
capacité de payer — mode facultatif de paiement.
Appel d’une peine. Rejeté, avec dissidence.
En septembre 2013, l’appelant s’est reconnu
coupable sous quatre accusations sommaires lui reprochant des manquements à des
ordonnances de probation rendues entre juin et novembre 2012.
Quatre mois plus
tard, il s’est reconnu coupable sous 11 chefs d’accusation puis, en
septembre 2014, sous 8 autres chefs.
En septembre 2015, il a été condamné
à 36 mois d’incarcération et à une suramende compensatoire de
1 400 $.
Le juge de la Cour du Québec a rejeté ses arguments voulant
que la suramende compensatoire prévue à l’article 737 du Code criminel (C.Cr.)
viole l’article 12 de la Charte canadienne des droits et libertés.
Néanmoins, la majorité des infractions en litige ayant été commises
antérieurement aux amendements de 2013 apportés à l’article 737 C.Cr., il
a exercé son pouvoir discrétionnaire reconnu avant ces amendements et a
dispensé l’accusé du paiement des suramendes compensatoires pour tous les chefs
sous lesquels il avait plaidé coupable, à l’exception de ceux visant des
infractions commises postérieurement à ces amendements.
Dans R. c.
Cloud (C.A., 2016-04-05), 2016 QCCA 567, SOQUIJ AZ-51272063,
2016EXP-1221, J.E. 2016-664, la présente cour a tranché la controverse
jurisprudentielle relative à la qualification juridique de la suramende
compensatoire, concluant que celle-ci constituait une peine minimale. Le
présent appel vise l’aspect de la constitutionnalité.
Décision
M. le juge Mainville, à l’opinion duquel souscrit le juge Schrager:
Les
amendements de 2013 à l’article 737 C.Cr. ont apporté trois modifications au
régime de la suramende compensatoire, dont le retrait du pouvoir
discrétionnaire du juge d’en exempter un contrevenant en cas de préjudice
injustifié, éliminant par le fait même toute exception à cette mesure. La
protection de la charte ne s’étend qu’à l’amende dont l’effet direct (le
montant de l’amende) ou indirect (la durée de l’emprisonnement ou la mesure
d’exécution en cas de défaut de paiement) est tel qu’il peut la faire basculer
dans le concept étroit de «traitements ou peines cruels et inusités» énoncé à
l’article 12 de la charte, à savoir une peine excessive à un point tel qu’elle
ne peut être compatible avec la dignité humaine. En l’espèce, l’appelant ne
conteste pas la suramende compensatoire en tant que telle, mais plutôt le fait
que la suramende compensatoire soit obligatoire dans tous les cas, ce qui,
selon lui, mènerait à des injustices, particulièrement pour les contrevenants
qui n’auraient pas les moyens financiers de la verser, ce qui la rendrait
«cruelle et inusitée» au sens de l’article 12 de la charte. Or, les moyens
qu’il invoque ne tiennent pas. Quant au moyen voulant que l’imposition d’une
suramende compensatoire empêche un tribunal d’accorder une absolution en vertu
de l’article 730 C.Cr., la lecture des articles 730 (1) et 737 (1),
faite dans le contexte global du Code criminel, en suivant le sens
ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’esprit de ce code, son objet et
l’intention du Parlement, ne permet pas de conclure que la suramende
compensatoire constitue une «peine minimale» au sens de l’article 730 (1),
car l’article 737 (1) prévoit expressément que l’absolution est possible
malgré l’obligation faite au contrevenant absous de la verser. Pour ce qui est
du second moyen, il est inexact de soutenir que la suramende compensatoire
écarte dans tous les cas les principes de proportionnalité et
d’individualisation de la peine. Quant à savoir si elle contraint le tribunal à
infliger une peine exagérément disproportionnée à l’infraction et aux
circonstances de sa perpétration dans le cas de l’appelant et dans les cas
hypothétiques raisonnables qui pourraient autrement survenir, la réponse est
négative, cette conclusion reposant sur le fait que: 1) un juge peut tenir
compte de la suramende compensatoire dans l’établissement de la peine juste et
appropriée; 2) aucune mesure d’exécution civile ne peut être entreprise
afin d’en assurer le paiement; 3) l’échéance de paiement peut être
prolongée pour s’assurer que le contrevenant impécunieux ne risque pas un refus
ou une suspension de licence ou de permis pour défaut de paiement; 4) un
tel individu ne pourra être emprisonné pour omission de l’acquitter tant qu’il
n’en a pas les moyens; et 5) un mode facultatif de paiement au moyen de
travaux compensatoires est disponible dans la plupart des provinces et
territoires canadiens, dont le Québec. Par conséquent, une contribution
obligatoire affectée à l’aide aux victimes d’actes criminels d’un montant
équivalant à 30 % de l’amende infligée pour une infraction ou, si aucune
amende n’est infligée, de 100 $ pour une infraction punissable sur
déclaration de culpabilité par procédure sommaire ou de 200 $ pour une
infraction punissable sur déclaration de culpabilité par mise en accusation ne
constitue pas une peine cruelle et inusitée au sens de l’article 12 de la
charte.
M. le juge Schrager:
À l’égard de l’article 12 de la charte et de
son application par la Cour suprême, il y a lieu de conclure que les excès dans
les situations hypothétiques qui ressemblent au dossier de l’appelant, les
dispositions prévoyant la suramende minimale obligatoire ne sont pas cruelles
et inusitées. Les arrêts R. c. Smith (Edward Dewey), (C.S. Can.,
1987-06-25), SOQUIJ AZ-87111047, J.E. 87-810, [1987] 1 R.C.S. 1045, R.
c. Nur (C.S. Can., 2015-04-14), 2015 CSC 15, SOQUIJ AZ-51166481,
2015EXP-1133, J.E. 2015-622, [2015] 1 R.C.S. 773, et R. c. Lloyd (C.S.
Can., 2016-04-15), 2016 CSC 13, SOQUIJ AZ-51278243, 2016EXP-1224, J.E.
2016-666, concernaient tous des peines minimales obligatoires d’emprisonnement
prescrites par la loi, sans égard à l’absence de gravité des circonstances de
leur commission. La Cour suprême n’a jamais invalidé une amende au motif
qu’elle était cruelle et inusitée. Cela dit, en l’espèce, le revenu annuel de
l’appelant est de 4 800 $. Il pourrait purger 17 jours
additionnels d’emprisonnement, ce qu’il a indiqué être prêt à faire. Cette
peine n’est pas cruelle. Quant aux circonstances hypothétiques, c’est à bon
droit que la juge en chef considère l’hypothèse d’un contrevenant qui habite
une province n’offrant pas de programme de travaux compensatoires. Par
ailleurs, dans R. c. Wu (C.S. Can., 2003-12-18), 2003 CSC 73,
SOQUIJ AZ-50211703, J.E. 2004-142, [2003] 3 R.C.S. 530, la Cour suprême a
conclu qu’un contrevenant ne peut être emprisonné en raison de son incapacité
de payer. Il ne s’agit pas d’une situation excessive à un point tel qu’elle est
incompatible avec la notion de la «dignité humaine». Une peine minimale ne
contrevient pas en soi à l’article 12 de la charte. Enfin, l’idée que la
suramende compensatoire minimale soit cruelle et inusitée pour la seule raison
qu’il existe plusieurs contrevenants impécunieux usurpe le rôle du Parlement
d’établir la politique en matière de détermination de la peine.
Mme la juge en chef Duval Hesler,
dissidente:
Le juge de première
instance a erré en droit en omettant d’évaluer l’effet de la suramende
compensatoire sur les principes de la proportionnalité et de
l’individualisation de la peine. Le pouvoir d’un juge d’assouplir les autres
composantes de la peine constitue une garantie inadéquate de la
constitutionnalité de l’article 737 C.Cr. L’imposition de la suramende sans
égard à la capacité financière de l’accusé peut à elle seule constituer une
peine cruelle et inusitée. Le juge a également erré dans son analyse des
situations hypothétiques raisonnables. La seule raison qui fait en sorte que,
en l’espèce, le juge parvienne à une somme de suramende compensatoire moindre
est précisément qu’il a pu exercer un pouvoir discrétionnaire qui lui est
maintenant retiré. Il est incohérent en droit et contraire à la dignité humaine
d’imposer des peines qui s’apparentent à une peine non déterminée pour la seule
raison qu’un contrevenant est impécunieux. Pour cette raison, l’abrogation de
la discrétion judiciaire autrefois prévue par l’article 737 C.Cr. est
inconstitutionnelle. Enfin, une peine exagérément disproportionnée ne peut
respecter le critère de l’atteinte minimale ni celui de la proportionnalité.
Lorsque la suramende compensatoire ne sera jamais payée, elle ne sert à aucune
fin qui permettrait l’application de l’article 1 de la charte.
Instance précédente : Juge Jean-Pierre Boyer, C.Q., Chambre criminelle et
pénale, Montréal, 550-01-068619-131 et autres, 2015-09-23, 2015 QCCQ 8504,
SOQUIJ AZ-51216654.
Réf. ant : (C.Q., 2015-09-23), 2015 QCCQ 8504, SOQUIJ
AZ-51216654, 2015EXP-3162, J.E. 2015-1755; (C.A., 2015-11-13 (jugement rectifié
le 2015-11-17)), 2015 QCCA 2034, SOQUIJ AZ-51236930.
Le texte intégral de la
décision est disponible ici
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