par
Sophia Claude
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08 Mar 2017

Appel d’un jugement interlocutoire en droit de la famille

Par Sophia Claude, Joli-Cœur Lacasse S.E.N.C.R.L.

Par Sophia Claude

Avocate
Joli-Cœur Lacasse

Dans l’arrêt Droit de la famille – 162708, 2016 QCCA
1816, la Cour d’appel se penche sur une demande pour permission d’appeler d’un
jugement rendu en cours d’instance, lequel portait sur une ordonnance de
sauvegarde relative à la garde d’un enfant et sur une contre-expertise.

Faits

En 2015, au moment
d’introduire leurs procédures en divorce, les parties se sont entendues quant à
la garde provisoire de leur enfant.

Peu de temps après, le
requérant a demandé au tribunal d’avoir la garde exclusive de l’enfant,
puisqu’il craignait « le développement d’une situation d’aliénation parentale
(situation évoquée dans le rapport de l’expert commun désigné en cours
d’instance) ». 

L’intimée a alors
manifesté son opposition et demandé une contre-expertise. Le jugement rendu par
la Cour supérieure rejette la demande du requérant et permet la
contre-expertise.

Dispositions applicables

D’abord, en ce qui a
trait à la garde de l’enfant, la Cour applique l’article 31 al.2 C.p.c. :

31. Le
jugement de la Cour supérieure ou de la Cour du Québec rendu en cours
d’instance, y compris pendant l’instruction, peut faire l’objet d’un appel de
plein droit s’il rejette une objection à la preuve fondée sur le devoir de
discrétion du fonctionnaire de l’État ou sur le respect du secret
professionnel.

Il peut également faire l’objet d’un appel sur permission
d’un juge de la Cour d’appel, si ce dernier estime que ce jugement décide en
partie du litige ou cause un préjudice irrémédiable à une partie, y compris
s’il accueille une objection à la preuve.

[…]

Quant à la question de
l’expertise, la Cour se réfère plutôt à l’article 32 C.p.c.:

32. Ne
peuvent faire l’objet d’un appel les mesures de gestion relatives au
déroulement de l’instance et les décisions sur les incidents concernant la
reprise d’instance, la jonction ou la disjonction des instances, la suspension
de l’instruction ou la scission d’une instance ou encore la constitution
préalable de la preuve. Toutefois, si la mesure ou la décision paraît
déraisonnable au regard des principes directeurs de la procédure, un juge de la
Cour d’appel peut accorder la permission d’en appeler.

Analyse

Garde de l’enfant

La
Cour rappelle que la permission d’appeler d’un jugement relatif à une mesure de
sauvegarde n’est accordée que de manière exceptionnelle, car celui-ci ne décide
pas du litige et ne cause que très rarement un préjudice irrémédiable à l’une
des parties.

Sur
ce point, elle conclut :

[11]      Soit
dit en tout respect, le requérant ne se décharge pas de ce fardeau.

[12]      Le
jugement de première instance, assurément, ne décide pas du litige : il ne lie
pas le juge du fond et peut même être révisé en cours d’instance si des faits
nouveaux l’exigent. Il ne cause pas non plus un préjudice irréparable à
l’instance, ni au requérant (supposant que cela puisse être considéré), ni
surtout, élément crucial dont il faut tenir compte vu l’article 33 C.c.Q., à
l’enfant dont l’intérêt est au cœur du litige opposant les parties. Du moins le
requérant ne fait-il pas la démonstration d’un tel préjudice. Enfin, il
n’établit pas non plus les circonstances exceptionnelles qui justifieraient que
soit accordée la permission d’appeler.

Contre-expertise

Concernant la
contre-expertise, la Cour précise que les mots « mesures de gestion » à
l’article 32 C.p.c. s’interprètent à la lumière de l’article 158 (2) C.p.c. Par
conséquent, un jugement en cours d’instance portant sur une expertise ou une
contre-expertise devra présenter un caractère déraisonnable, eu égard aux
principes directeurs de la procédure, afin d’être susceptible d’appel. Selon
l’honorable juge Marie-France Bich, ce n’est pas le cas en l’espèce:

[15]      Or,
dans les circonstances et vu le cheminement de l’instance devant la Cour
supérieure, alors qu’il est question d’aliénation parentale, sujet d’une grande
importance, le jugement ne paraît aucunement déraisonnable, que ce soit sous
l’angle de la proportionnalité et de la bonne administration de la justice
(art. 18 C.p.c.), de la saine gestion de l’instance et de son bon déroulement
(art. 19 C.p.c.), de la coopération entre les parties (art. 20 C.p.c.), du respect
de la règle du débat contradictoire (art. 17 C.p.c.) ou sous quelqu’autre angle
que ce soit. Les articles 232, 2e al., 234 ou 244, 2e al. C.p.c. (cette
dernière disposition étant applicable aux expertises psychosociales en matière
familiale) permettaient d’ailleurs au juge de statuer comme il l’a fait en
ordonnant un complément d’expertise et une contre-expertise. Les motifs de sa
décision sont exposés de manière tout aussi rationnelle qu’intelligible et sa
conclusion est une issue légitime, appropriée à l’espèce. Le juge s’est
également assuré que la contre-expertise procède diligemment et ne retarde donc
pas indûment le cheminement de l’instance.

La Cour rejette donc
la demande pour permission d’appeler.

Pour conclure, je
reproduirai la pertinente mise en garde du tribunal :

[19]      Je
me permets par ailleurs de rappeler aux parties qu’il est rarement opportun de
tenter d’interjeter appel d’un jugement rendu dans le cours d’une instance
familiale, démarche souvent vouée à l’échec (ainsi que le montrent les
statistiques jurisprudentielles) et qui a généralement pour effet de nuire au
bon déroulement de l’instance (sans parler des coûts qu’elle engendre). Plutôt
que de solliciter l’intervention de la Cour d’appel et de faire dériver le
débat vers des questions accessoires, il est préférable que les parties
s’emploient à faire cheminer l’instance pendante devant la Cour supérieure et
prennent toutes les mesures qui en favoriseront le cours.

 La décision est
disponible ici.

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