Révision d’une décision ministérielle autorisant l’extradition : application de la présomption découlant de la conclusion d’un traité international
Par Rachel Rioux-Risi
Par Rachel Rioux-Risi
Avocate
Dans l’arrêt Ruiz Gomez
c. Ministre de la Justice du Canada,
2017 QCCA 1562, il est question de la révision d’une décision ministérielle autorisant
l’extradition d’un Colombien qui a été reconnu coupable par la justice
Colombienne d’un rapport sexuel violent avec une personne de moins de seize
ans.
C’est ainsi que le pouvoir
judiciaire est appelé à réviser l’exercice d’un pouvoir de l’exécutif en matière d’extradition. Quelle
doit être l’approche de la Cour d’appel dans un tel contexte?
Faits
Le 22 août 2007, le demandeur et sa famille ont présenté
une demande de résidence permanente.
Suite à un évènement survenu au cours du mois de
juillet 2007, le demandeur a été accusé, le 16 mai 2008, de rapport sexuel
violent avec une personne de moins de 16 ans.
Le procès a finalement eu lieu en 2009.
Malgré cela, le demandeur et sa famille ont quitté leur
pays pour le Québec.
Il a été reconnu coupable le 19 juin 2009.
Le 6 juin 2011, la Colombie a demandé son extradition
pour qu’il purge sa peine en Colombie, conformément au traité d’extradition
conclu entre la Grande-Bretagne et la Colombie, le 27 octobre 1899, et
applicable au Canada.
Le demandeur clame encore, à ce jour, son innocence.
Le demandeur, dans un tel contexte, a présenté ses
observations au ministre afin de le convaincre de refuser l’extradition. À L’appui de ses prétentions, il a déposé des
documents faisant état de la corruption dans le système judiciaire colombien et
démontrant le risque accru d’erreurs judiciaires.
Au surplus, il a déposé un affidavit de sa fille ainée,
qui n’a pas eu l’autorisation de témoigner lors du procès en 2009, à l’effet
qu’elle était en présence de la victime au moment des faits reprochés.
Malgré cela, le ministre de la justice de l’époque a autorisé
l’extradition.
Au soutien de sa décision, il a indiqué l’existence
d’un traité entre la Grande-Bretagne et la Colombie et qu’à cet effet, il faut
partir de la présomption que le système de justice colombien est juste.
Au surplus, il a vérifié auprès du système de justice
colombien quelles étaient les garanties en place pour assurer l’équité d’un
procès et a conclu que le demandeur avait bénéficié de celles-ci.
Désormais, le demandeur demande à la Cour d’appel de
réviser cette décision.
Analyse
D’emblée, la Cour d’appel rappelle qu’une grande
déférence est de mise en raison de la dimension politique de la décision du
ministre de la justice.
Citant un long passage de l’arrêt Lake c. Canada (ministre de
la justice) (2008 CSC 23), elle souligne que la norme de contrôle
applicable est celle de la décision raisonnable. Autrement dit, est-ce que la
décision du ministre se situe dans le cadre des solutions raisonnables
possibles.
Lors d’une telle réflexion, le ministre doit s’assurer
qu’il est approprié et non, injuste, d’extrader une personne. Une extradition
injuste est celle qui choquerait la société.
Qu’en est-il dans le présent cas?
Malgré la grande déférence qui doit être accordée par
les tribunaux à une telle décision ministérielle, la Cour d’appel a décidé de
renvoyer la question à la ministre de la justice actuelle.
La présomption, à l’effet qu’un système de justice d’un
pays étranger est juste, qui découle de l’existence d’un traité entre ce pays
étranger et le Canada, ne s’applique pas à une décision ministérielle de la
même manière qu’elle s’applique aux tribunaux.
[58]
Cette présomption,
aussi justifiée soit-elle lorsqu’il s’agit de délimiter l’étendue des pouvoirs
dont bénéficient les tribunaux en cette matière, ne lie pas le ministre de la même manière. À ce stade, puisque la
décision ministérielle est essentiellement politique, la présomption peut
certainement, et en principe, le conforter raisonnablement que le système de
justice du pays requérant présente une correspondance suffisante avec notre
conception de la justice.
La présomption en question sera applicable à la
décision ministérielle à différents degrés. En effet, lors de l’analyse de l’opportunité
d’extrader une personne, le ministre a une expertise particulière quant aux obligations
internationales du Canada, aux enjeux politiques et a une fine connaissance des
relations entretenues par le Canada avec les pays étrangers. En outre, le
ministre est au courant que divers évènements peuvent venir influencer les
conclusions d’un traité et ultimement la présomption.
[59]
Cela dit, les raisons qui justifient d’imposer
cette présomption aux tribunaux ne sont pas présentes au même degré lorsque le
ministre exerce sa compétence. D’abord, comme procureur général du Canada et
membre de l’exécutif, le ministre
connaît les motifs ayant pu justifier la conclusion d’un traité avec un pays
étranger en matière d’extradition et les raisons de son maintien. Il dispose également de toutes les ressources
utiles pour déterminer, lorsque nécessaire, si la présomption est toujours
justifiée tout comme il est, à l’étape suivante, le mieux placé pour
décider si les divers facteurs à considérer militent ou non en faveur de
l’extradition[18].
[…]
[62] On peut imaginer que le
régime politique de l’état étranger ait changé radicalement, la règle de droit peut avoir perdu de son
importance ou encore son système de
justice peut être devenu dysfonctionnel. On peut même aisément imaginer une
situation où un coup d’État aurait entraîné l’abolition de plusieurs
institutions judiciaires. Les raisons
pour lesquelles un système de justice fondamentalement juste lors de la
conclusion d’un traité pourrait ne plus l’être au moment où une demande
d’extradition est formulée en vertu de celui-ci ou au moment où un procès
est tenu sont nombreuses.
Dans le cas en l’espèce, la Cour d’appel constate la
présence de certains éléments militant possiblement en faveur d’écarter la présomption
qui découle du traité signé avec la Grande-Bretagne et la Colombie.
[64]
Le fait que le
traité ait été signé en 1899 ne signifie rien de négatif en soi, bien que l’on
puisse en conclure sans se méprendre que les sociétés impliquées ont évolué.
L’avocate du ministre n’a pas été en mesure de nous renseigner sur l’existence
d’expériences passées en la matière et sans prétendre qu’il s’agit ici d’une
première, on peut certes affirmer que
les extraditions vers la Colombie sont rares. L’absence d’expérience en matière d’extradition complique ainsi
l’évaluation de cette évolution. Les antécédents de l’État requérant étant
un facteur pertinent que le ministre peut considérer lorsqu’il évalue les
assurances qui lui sont données par celui-ci[19], la rareté ou
l’absence d’antécédents peut certainement l’être aussi lorsqu’il décide s’il y
a lieu ou non d’écarter la présomption. Compte
tenu des informations soumises au ministre par le demandeur, il s’agissait d’un
cas où le ministre pouvait remettre en cause la présomption et devait expliquer
sa conclusion à cet égard.
[…]
[66]
On ne peut ignorer que le Canada a requis l’extradition de la
Colombie dans au moins une affaire R. c. Nicolucci[20], et il faut
reconnaître également que la Colombie est, depuis 1994, un État désigné à la Loi sur
l’entraide juridique en matière criminelle[21]. Nos deux pays ont donc maintenu certaines relations en
matière criminelle, tout comme dans d’autres domaines, notamment le domaine
commercial et celui de l’environnement. Tout ceci pourrait bien témoigner, je
l’ignore, de liens suffisants entre le Canada et la Colombie, mais j’estime que
le dossier présenté par le demandeur était suffisamment sérieux pour que le
ministre évalue l’à-propos d’appliquer ou non la présomption. Il ne pouvait se
contenter d’affirmer avoir l’obligation de le faire.
L’erreur du ministre est d’avoir appliqué la
présomption qui découle du traité et ce, sans évaluer si celle-ci est
effectivement applicable. L’erreur se situe au niveau de l’analyse et des
éléments pris en compte. Celle-ci entraine des conséquences qui obligent la
Cour d’appel à intervenir.
[68]
En se réfugiant derrière la présomption, le ministre a commis une erreur et abdiqué une partie de son devoir de
vérifier si l’extradition demeure conforme à la Constitution. Il ne s’agit
pas ici d’évaluer la raisonnabilité d’une décision qu’il a prise mais bien plutôt de constater une erreur
dans le cadre d’analyse qu’il a suivi faisant en sorte que, se croyant lié
par la présomption, il n’a pas exercé une discrétion dont pourtant il
bénéficiait.
[…]
[74] Cette erreur n’est pas sans conséquence. Elle
peut avoir teinté son appréciation des griefs du demandeur et de la preuve qu’il a offerte tout
comme elle peut avoir influencé le
fardeau qu’il lui a imposé de démontrer, par une preuve convaincante, que
ce système a failli dans son cas spécifique. Pour les motifs expliqués
ci-devant, c’est une erreur dans la présente affaire.
La décision se trouve ici.
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