L’établissement ou le maintien de relations personnelles entre les petits-enfants et les grands-parents : une présomption réfutable qui doit tenir compte de l’intérêt supérieur de l’enfant
Par Sophia Claude
Avocate
Joli-Cœur Lacasse S.E.N.C.R.L.
Le Code civil du Québec accorde
au tribunal le pouvoir de déterminer les modalités des relations personnelles
que les grands-parents peuvent entretenir avec leurs petits-enfants en cas de
désaccord avec les parents.
La décision Droit de la famille – 172486 nous éclaire sur
l’interprétation et le sens de l’expression « motif grave » de
l’article 611 C.c.Q. dans un contexte de conflit
entre les père et mère et les grands-parents.
Dans la présente affaire, la mère de
quatre enfants n’a plus de contact depuis plusieurs années avec la grand-mère
maternelle.
Alors que leurs rapports précédents sont
qualifiés d’orageux, la grand-mère maternelle propage toujours une diatribe à
l’égard de sa fille, critiquant son comportement à tous les égards et avançant
qu’elle souffre de troubles psychiatriques importants. Or, aucun tel diagnostic
n’a pourtant jamais été posé et la preuve démontre plutôt qu’elle n’a aucun
problème comportemental.
Alors que la grand-mère maternelle n’a
jamais rencontré ni même eu le moindre contact avec les deux cadets, elle a pu
maintenir des liens avec les deux ainés en raison d’une ordonnance rendue par
la Cour supérieure à cette fin en 2011.
Depuis, la grand-mère maternelle a révélé
à l’un des ainés âgé de treize (13) ans que son père n’était pas son père
biologique. Bien que vraie, cette révélation a bouleversé fortement l’enfant et
a affecté ses liens avec sa grand-mère.
Cette dernière présente donc une demande
en vue de rétablir ses liens avec l’ainé et entreprendre une relation avec les
deux cadets.
Entre temps, bien que l’autre ainé ait
été informé de l’existence des procédures et refuse désormais de voir la
grand-mère maternelle, celle-ci n’a pas modifié sa demande et elle ne vise donc
que trois enfants.
Le juge de première instance conclut qu’aucun
motif grave ne justifie que les enfants concernés soient privés de leur
grand-mère maternelle et permet à celle-ci d’établir des relations personnelles
avec ceux-ci.
La Cour d’appel rappelle que bien
que l’article 611 C.c.Q. crée une
présomption, à savoir que la relation personnelle entre les enfants et les
grands-parents est dans l’intérêt supérieur de ceux-ci, il est possible pour
les parents de réfuter celle-ci en prouvant, par prépondérance, qu’un motif
grave y fait obstacle.
Dans le cas en l’espèce, la Cour affirme que
bien qu’il est existence d’un conflit entre la mère et la grand-mère
maternelle, l’existence d’un tel conflit ne peut priver automatiquement cette
dernière d’entretenir des rapports avec ses trois petits-enfants ou de les
faire bénéficier d’une relation avec celle-ci. Ainsi, un conflit peut, dans
certaines circonstances, faire obstacle à la relation entre grands-parents et
petits-enfants.
« [13] […] Mais
qu’il ne le soit pas dans tous les cas n’exclut pas qu’en raison de sa nature,
de son intensité ou de ses ramifications, il puisse dans certains cas en aller
autrement et qu’on puisse raisonnablement en
induire que l’établissement ou le maintien d’une relation entre grands-parents
et enfants comporte pour ceux-ci un risque trop important. L’intérêt de l’enfant,
au sens de l’art. 33 C.c.Q., qui l’emporte en définitive sur toute autre
considération, ne requiert pas d’attendre la
matérialisation de ce risque. »
La Cour conclut, contrairement
à ce qu’a conclu la juge de première instance, que la propension apparemment
irrépressible de la grand-mère maternelle au dénigrement de sa fille de même
que l’ensemble des incidents constituent un motif suffisamment grave pour
rejeter la demande en ce qui concerne les cadets.
En effet, la détraction de la
grand-mère maternelle à l’endroit de la mère n’est pas dans leur intérêt
supérieur et ne crée pas un climat qui soit à leur bénéfice.
Bien que le juge de première
instance ait restreint les droits d’accès permis dans le cas des cadets, la
Cour considère que les enfants sont exposés à un risque réel engendré par la
conduite de leur grand-mère maternelle et qu’il n’y a donc pas lieu de
s’intéresser aux modalités de contacts possibles, un motif grave existant et ne
permettant tout simplement pas le maintien ou l’établissement de relations
personnelles :
« [27] […] C’est en effet après avoir déterminé l’opportunité
de la relation grand-parent/petit-enfant, et donc l’absence d’un motif
d’empêchement grave, que l’on s’intéresse aux modalités des contacts. Or, il y
a ici un motif grave de ne pas permettre cette relation et le fait que les
contacts seront minimes ne peut y
obvier. »
Pour ce qui est de l’ainé de
treize (13) ans, la Cour estime qu’il possède la maturité nécessaire pour
prendre la décision et qu’il y a lieu de lui laisser fixer le cadre de ses
relations personnelles avec sa grand-mère maternelle.
En somme, la Cour estime que
le juge de première instance a commis une erreur en concluant à l’absence de
motifs graves et en donnant à l’expression « motif grave » une
interprétation si étroite qu’elle la prive de son sens.
Vu la preuve et les
témoignages, le juge de première instance aurait dû respecter la volonté des
parents, puisqu’ils ont démontré qu’un motif grave faisait obstacle à
l’établissement de relations personnelles entre leurs enfants cadets et la
grand-mère maternelle.
Pour ce qu’il est des ainés,
les parents ne sont pas opposés à ce que ceux-ci aient des relations
personnelles avec la grand-mère maternelle, selon leur gré, une concession qui démontre
un réalisme juridique selon la Cour.
La décision se trouve ici.
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