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15 Juin 2018

Sélection SOQUIJ -TRAVAIL : Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (Beaudry et autres) c. Aluminerie de Bécancour inc., 2018 QCTDP 12

Par SOQUIJ, Intelligence juridique

TRAVAIL : Les
clauses des conventions collectives applicables aux étudiants travaillant dans
une aluminerie sont discriminatoires et contreviennent à l’article 19 de
la Charte des droits et libertés de la personne puisqu’elles
leur attribuent un taux de salaire moindre que celui accordé aux salariés
occasionnels et réguliers, et ce, pour un travail équivalent; cette disparité
de traitement n’est justifiée par aucune exception.









2018EXP-1660 

Intitulé : Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse
(Beaudry et autres) c. Aluminerie de Bécancour inc., 2018 QCTDP 12
Juridiction : Tribunal des droits de la personne (T.D.P.Q.), Trois-Rivières,
400-53-000019-159
Décision de : Juge Magali Lewis, présidente, Me Claudine Ouellet et Me Marie
Pepin, assesseures
Date : 11 mai 2018
Références : SOQUIJ AZ-51496323, 2018EXP-1660, 2018EXPT-1183 (97 pages)

Résumé
TRAVAIL —
responsabilité et obligations — employeur — discrimination — condition sociale
— âge — étudiant — aluminerie — clause de la convention collective — disparité
de traitement — taux de salaire — travail équivalent — salariés occasionnels et
réguliers — convention collective discriminatoire — article 19 de la Charte
des droits et libertés de la personne
 — absence d’application de
l’article 46 de la charte — droit à des conditions de travail justes et
raisonnables — absence de responsabilité du syndicat — droit à une indemnité —
dommage pécuniaire — dommage non pécuniaire.
DROITS ET LIBERTÉS
— droit à l’égalité — actes discriminatoires — emploi — rémunération — taux de
salaire — étudiant — condition sociale — âge — article 19 de la Charte
des droits et libertés de la personne
 — travail équivalent — salariés
occasionnels et réguliers — absence d’exceptions —.
DROITS ET LIBERTÉS
— droit à l’égalité — motifs de discrimination — condition sociale — étudiant —
emploi.
DROITS ET LIBERTÉS
— droit à l’égalité — motifs de discrimination — âge — étudiant — emploi.
DROITS ET LIBERTÉS
— recours et procédure — compétence — Tribunal des droits de la personne —
discrimination — clause de la convention collective — pouvoir d’ordonnance à
l’endroit du syndicat — prescription extinctive — décision sur la
responsabilité solidaire du syndicat — prescription triennale — computation du
délai — contrat à durée déterminée — date d’embauche — nouveau contrat.
DROITS ET LIBERTÉS
— droits et libertés fondamentaux — dignité — emploi — atteinte discriminatoire
— étudiant — condition sociale — âge — rémunération — disparité de traitement.
DOMMAGE
(ÉVALUATION) — dommage moral — emploi — discrimination — condition sociale —
âge — étudiants — rémunération — taux de salaire — disparité de traitement —
atteinte à la dignité.
Demande introductive d’instance en
vertu des articles 4, 10, 19 et 46 de la Charte des droits et
libertés de la personne
 à l’encontre d’une disparité de traitement,
réclamant des dommages moraux ainsi qu’une ordonnance pour la modification des
conventions collectives. Accueillie en partie; une indemnité pour dommages
matériels et moraux est accordée à l’endroit de chaque victime et une
ordonnance de modifier les conventions collectives est rendue. Appel en
garantie contre le syndicat. Rejeté.
Depuis le 1er janvier
2015, date d’entrée en vigueur de la modification de la rémunération des
étudiants prévue à la convention collective 1994-2000 intervenue chez
l’employeur, ces derniers gagnent un salaire inférieur à celui des salariés
occasionnels ou réguliers. Cette modification n’est pas justifiée par une
modification des tâches ou des responsabilités qui leur sont confiées mais par
le nombre de tâches du poste auquel ils sont affectés. La Commission des droits
de la personne et des droits de la jeunesse a déposé une action introductive
d’instance en faveur des étudiants victimes de ce taux de rémunération
inférieur et du syndicat les représentant. Elle allègue que les conditions
salariales des étudiants portent atteinte à la reconnaissance et à l’exercice,
en pleine égalité, de leurs droits à un salaire égal et à des conditions de travail
justes et raisonnables sans distinction ou exclusion fondées sur leur condition
sociale ou leur âge, en violation des articles 10, 19 et 46 de la charte. Elle
réclame une indemnité pour dommages matériels et moraux payable aux victimes,
et elle demande que le Tribunal ordonne notamment à l’employeur de modifier la
clause de la convention collective qui serait discriminatoire afin de la rendre
conforme à l’article 19 de la charte.

Décision
La Commission doit faire la preuve par prépondérance des probabilités de
3 éléments pour établir qu’il y a discrimination à première vue:
1) une distinction, une exclusion ou une préférence; 2) fondée sur
l’un des motifs énumérés au premier alinéa de l’article 10 de la charte; et
3) ayant pour effet de détruire ou de compromettre le droit à la pleine
égalité dans la reconnaissance et l’exercice d’un droit ou d’une liberté de la
personne. Une fois cette preuve faite, l’auteur peut se justifier en invoquant
les exemptions prévues par la charte. La personne qui allègue qu’un traitement
distinct constitue une discrimination interdite par la charte doit démontrer
qu’il y a un lien entre un motif prohibé de discrimination et le traitement
distinct et que ce motif a été un facteur dans l’adoption du traitement
différent. En matière salariale, le seul fait que le salaire payé à un groupe
d’employés soit inférieur à celui versé à d’autres n’est donc pas suffisant
pour être considéré comme discriminatoire. Il n’y a discrimination que si le
groupe qui reçoit une rémunération moindre effectue un travail équivalent et si
la preuve prépondérante établit que la distinction est fondée sur un motif
interdit par l’article 10 de la charte, l’âge ou la condition sociale en
l’occurrence. De plus, pour décider si un travail est équivalent à un autre, il
faut tenir compte des qualifications requises des différentes catégories
d’employés, de l’effort requis, des responsabilités assumées et des conditions
de travail.

La Commission a
établi qu’il y avait discrimination à première vue. La distinction salariale
n’est pas contestée et ressort clairement des conventions collectives. La
jurisprudence assimile la condition d’étudiant et le fait que les étudiants
travaillent durant l’été pour payer leurs études à une «condition sociale» au
sens de la charte. La condition sociale est la situation qu’une personne occupe
au sein d’une communauté en fonction de ses origines, de son niveau
d’instruction, de son occupation, de son revenu et des perceptions et
représentations qui se rattachent à certaines données objectives au sein de sa
communauté, situation qui peut constituer un état temporaire. Les tâches
auxquelles les étudiants peuvent être affectés sont déterminées par la durée
maximale d’embauche permise par les conventions, laquelle est directement reliée
au fait que, en dehors de leur période d’embauche, ils doivent être étudiants à
temps plein. C’est ce qui les distingue des salariés occasionnels et des
réguliers. Ce n’est pas le fait qu’ils ne peuvent pas effectuer toutes les
tâches. De même, parce qu’ils sont minoritaires parmi les syndiqués et que les
négociations se déroulent en dehors de leur période d’embauche, la condition
sociale de ceux-ci a été un facteur dans la distinction imposée.

Relativement au motif de l’âge, selon les chiffres présentés, les étudiants
sont plus jeunes que la majorité des salariés occasionnels à l’embauche, en
plus de faire partie d’un groupe social vulnérable. La distinction de salaire a
pour effet de désavantager des personnes dans les premières années de l’âge
adulte qui ont fait le choix de poursuivre des études, par rapport à des
personnes plus âgées qui sont sur le marché du travail depuis plusieurs années.

Il n’y a pas lieu d’évaluer si les conditions salariales contestées
contreviennent à l’article 46 de la charte, qui protège le droit de toute
personne à des conditions de travail justes et raisonnables en lien avec sa
santé, sa sécurité et son intégrité physique, car la question des conditions
salariales est couverte par l’article 19 de la charte. La distinction salariale
compromet le droit à la pleine égalité dans la reconnaissance et l’exercice du
droit prévu à cet article, qui impose aux employeurs de payer un salaire égal
pour un travail équivalent sans discrimination. La condition sociale a été un
facteur dans l’adoption de la distinction salariale contestée et cette
distinction a un effet désavantageux sur les jeunes de 18 ou 19 ans.

Les étudiants effectuent un travail équivalant à celui des salariés
occasionnels ou à celui des réguliers. Selon la notion de «travail équivalent»,
ils accomplissent des tâches aussi dangereuses que celles réservées aux
employés réguliers ou occasionnels, et ils sont aussi compétents à l’égard des
tâches auxquelles ils sont assignés. L’employeur n’a pas démontré que les
étudiants sont traités différemment parce qu’ils n’effectuent pas la totalité
des tâches d’un poste. Concrètement, la situation des étudiants n’est pas
différente de celle des réguliers et des occasionnels qui ne sont pas
systématiquement formés à l’ensemble des tâches d’un poste. La rémunération
moindre versée aux étudiants ne peut non plus être fondée sur l’expérience ni
se justifier par leur manque d’expérience ou par l’ancienneté ou le mérite,
comme le permettrait l’article 19 de la charte. En effet, dès sa première
journée de travail, un salarié occasionnel gagne plus qu’un étudiant, peu
importe les périodes de temps travaillées par ce dernier. L’employeur n’allègue
pas que la rémunération moins élevée payée aux étudiants est reliée à leur
productivité comme c’était le cas dans Commission des droits de la
personne du Québec c. Ferme de la poulette grise Inc.
 (C.P.,
1982-01-14), SOQUIJ AZ-82031041, J.E. 82-112, [1982] C.P. 79.

Les conventions collectives portent atteinte de façon discriminatoire à la
dignité des victimes, en violation des articles 4 et 10 de la charte. Le
fait que les étudiants aient choisi de retourner travailler chez cet employeur
en sachant que leur salaire était moindre que celui payé aux autres employés
n’élimine pas le fait qu’ils ont subi un traitement discriminatoire.

Quant à l’attribution de dommages-intérêts, une indemnité pour dommages
matériels est accordée aux victimes. Pour ce qui est des dommages moraux, le
fait de ne pas être considéré comme ayant la même valeur que les autres membres
du groupe dont nous faisons partie du seul fait de notre appartenance à un
groupe protégé par la charte implique nécessairement une atteinte à la dignité.
Une indemnité de 1 000 $ pour compenser le dommage moral de chacun
doit être versée. De plus, les ordonnances visant à obliger l’employeur à
rendre les clauses discriminatoires conformes à l’article 19 de la charte sont
justifiées.

Pour ce qui est de l’appel en garantie présenté par l’employeur de condamner
solidairement le syndicat au paiement des indemnités, le Tribunal est
compétent. Il emprunte le même raisonnement que dans Commission des
droits de la personne et des droits de la jeunesse c. Delisle
 (T.D.P.Q.,
2012-07-12), 2012 QCTDP 15, SOQUIJ AZ-50876640, 2012EXP-2928, J.E. 2012-1563.
Si le Tribunal conclut qu’il y a discrimination, il doit déterminer qui est à
l’origine de celle-ci, qui doit y remédier et qui doit indemniser les victimes.
Même sans l’appel en garantie, le Tribunal devrait décider si l’employeur est
le seul responsable du dommage ou si le syndicat, la partie plaignante, en est,
en partie, responsable.

L’obligation de représentation du syndicat est une obligation de moyen. En
outre, l’affaire Université Laval c. Commission des droits de la
personne et des droits de la jeunesse
 (C.A., 2005-01-24), 2005 QCCA
27, SOQUIJ AZ-50290361, J.E. 2005-280, D.T.E. 2005T-130, [2005] R.J.Q. 347,
[2005] R.J.D.T. 1, établit que l’obligation du syndicat de ne pas contribuer à
la mesure discriminatoire ne s’applique pas à l’obligation de l’employeur en
vertu de l’article 19 de la charte d’accorder un salaire égal pour un travail
équivalent. En l’espèce, le syndicat n’a jamais voulu une différence salariale
pour les étudiants. Cette mesure a été amenée unilatéralement par l’employeur à
la table des négociations en 1994 comme partie d’une offre finale qui, depuis
et même après le dépôt d’une plainte par le syndicat à la Commission, a refusé
de la retirer des conventions ultérieures. Le Tribunal n’avait pas à déterminer
si les conditions de travail des étudiants étaient discriminatoires au sens de
l’article 16 de la charte, mais seulement si les disparités salariales sont
discriminatoires en ce qu’elles ne sont pas justifiées en fonction de l’un des
critères énoncés à l’article 19 de la charte. Dans la mesure où l’article 16 de
la charte se serait appliqué, le Tribunal aurait aussi conclu que le syndicat
n’a pas exercé de discrimination.

Le recours en dommages-intérêts exercé en vertu de la charte est soumis à la
prescription de 3 ans prévue à l’article 2925 du Code civil du
Québec
. Par contre, la computation du délai de la prescription d’un recours
est régie par l’article 76 de la charte. Le délai de prescription du recours
d’un étudiant pour faire valoir son droit d’obtenir un salaire non
discriminatoire ne peut courir avant qu’il ne soit embauché. Ainsi, la
prescription des réclamations de chacune des victimes n’a pas commencé à courir
à partir du premier contrat d’embauche, mais plutôt à compter de la date
d’embauche de chaque nouvelle période d’emploi. Certaines réclamations sont
prescrites, d’autres ne le sont pas.

Le texte intégral de la décision est disponible ici

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