par
Grégoire Deniger
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25 Avr 2018

L’employeur ne doit pas exercer ses droits pour nuire à une association de salariés

Par Grégoire Deniger, avocat

Par Grégoire Deniger

Avocat

Dans l’affaire Unifor, section
locale 1209
c. Lessard, 2018 QCTAT 1137, dans le cadre d’une grève de plus de deux ans, le Tribunal
administratif du travail (ci-après désigné TAT)
s’est penché sur des plaintes pour entrave aux activités syndicales (art. 12 du
Code du travail, ci-après désigné Code ou C.t.),
conduite antisyndicale (art. 13-14 C.t.), représailles antisyndicales (art. 15.
C.t.) et négociation de mauvaise foi (art. 53 C.t.).


La conduite
reprochée à l’employeur concernait l’abolition de vingt-trois (23) postes
syndiqués le 5 mai 2017 et ce, alors qu’une grève était en cours depuis le 1er
avril 2015.

Mentionnons que
ces postes existaient lors du déclenchement de la grève et que trois de ces
postes étaient occupés par des officiers syndicaux.

Soulignons
également l’historique pour le moins acrimonieux entre les parties (par. 7
à 23) : dès l’accréditation du syndicat en 2003, l’employeur et le
syndicat se sont engagés dans de nombreuses procédures concernant
l’accréditation avant qu’une convention collective entre en vigueur en 2007 et
ce, jusqu’en 2015.

À compter du début
de la grève en 2015, une nouvelle salve de procédures est échangée :  

  • le syndicat dépose une plainte devant la défunte Commission des relations du travail (CRT) alléguant que l’employeur a contrevenu aux dispositions anti-briseurs de grève et la Commission lui donne raison;
  • l’employeur obtient une injonction pour permettre le libre accès à son établissement et limiter le nombre de piqueteurs;
  • des plaintes sont aussi déposées devant la CRT parce que le président de la compagnie a tenu des propos antisyndicaux dans certains médias et que l’employeur a négocié de mauvaise foi;
  • deux plaintes pour congédiement en raison d’activités syndicales sont accueillies, etc. 

Bref, les
relations de travail sont manifestement conflictuelles !

La juge
administrative Myriam Bédard débute son analyse en insistant sur la
jurisprudence des tribunaux supérieurs à l’effet que le Code du travail vise à favoriser l’exercice du droit d’association
et que toute entrave à ce droit est interdite et doit être sanctionnée (par. 27
à 29). Elle rappelle également le fardeau de preuve applicable : lors du
dépôt d’une plainte en vertu des articles 12 à 14 du Code du travail (ci-après désigné Code ou C.t.), il revient « aux salariés ou à leur syndicat de
démontrer l’existence d’une conduite antisyndicale selon la prépondérance des
probabilités » (par. 31).

Mentionnons que la
convention collective ici applicable ne contenait aucune disposition quant au
maintien des conditions de travail pendant une grève. En conséquence, à compter
du déclenchement de la grève, l’employeur a pu modifier les conditions de travail
des salariés en grève sans le consentement du syndicat (par. 46). Les
représentants de l’employeur ont qualifié cette situation de « vide
juridique » et ont reconnu que si l’abolition était survenue pendant la
durée de la convention collective, ils auraient rencontré le syndicat (par.
48).

Au soutien de
l’abolition des vingt-trois postes syndiqués, l’employeur invoque les motifs
suivants : le transfert des activités de l’employeur dans une nouvelle
usine aux États-Unis, la sous-traitance de certains aspects de la production,
la perte de contrats et la modification des méthodes de production (par. 51 à
60). Le TAT procède ensuite à analyser chacun de ces motifs (par. 61 à 75). Il
en conclut que « rien ne permet d’établir de façon prépondérante que les
tâches exécutées par les personnes occupant ces 23 postes ont été transférées
aux États-Unis ou abolies » (par. 75).  

Quant à la plainte
en vertu de l’article 12 du Code
(entrave aux activités syndicales), le TAT insiste sur le contexte de
l’affaire : les 23 postes abolis constituent près de la moitié des postes
syndiqués (50 employés syndiqués en tout avant le début de la grève) et la
grève dure depuis plus de deux ans (par. 80). Le TAT rappelle que lors d’une
grève de longue durée, la partie syndicale est plus vulnérable à l’ingérence de
l’employeur. En l’espèce, le TAT affirme que ce dernier a profité d’un
« vide juridique » pour abolir des postes sans consulter le syndicat
alors qu’en temps normal, ce dernier aurait été consulté. Le TAT en conclut que
l’employeur a cherché à réduire l’influence syndicale et à affaiblir le
syndicat, ce qui l’amène à accueillir la plainte en vertu de l’article 12 C.t.

En ce qui a trait
à la plainte en vertu des articles 13 et 14 C.t., le TAT statue que la
stratégie antisyndicale de l’employeur ressort clairement du fait qu’il a voulu
profiter d’un « vide juridique » pour écarter le syndicat (par. 87).
En l’espèce, l’antisyndicalisme de l’employeur apparaît manifeste du fait qu’aucun
élément ne justifiait ce dernier d’agir avec précipitation pour abolir les
postes.

En ce qui concerne
les plaintes pour représailles antisyndicales (art. 15 C.t.), le TAT fait
ressortir que l’abolition des postes concernés survient de façon concomitante à
l’exercice d’un droit protégé par le Code,
soit au moment où une grève est en cours. En vertu de l’article 17 C.t., il y a
donc présomption que les postes ont été abolis illégalement (par. 93). Le TAT conclut
que ces plaintes doivent être accueillies, car aucune des causes invoquées par
l’employeur n’est convaincante : aucun poste n’a été véritablement et
définitivement aboli, la preuve du transfert des activités aux États-Unis est
contradictoire et la perte de contrats n’est pas propre à la grève (de tout
temps l’employeur perd certains contrats et en obtient de nouveaux). Les
vingt-trois congédiements sont donc annulés.

Pour la plainte de
négociation de mauvaise foi (art. 53 C.t.), le TAT rappelle que l’obligation de
négocier de bonne foi consiste, pour les parties, à établir un véritable
dialogue et de faire des efforts raisonnables pour en arriver à un contrat
acceptable (par. 107). Le TAT considère qu’en abolissant 23 postes syndiqués,
l’employeur a tenté d’éviter l’application d’une convention collective à ces
postes. De cette façon, il a négocié de mauvaise foi et a fait preuve
d’hostilité envers le processus de négociation collective.

Commentaires

À notre avis, le
principal intérêt de cette décision du TAT est que même si l’employeur avait,
en l’absence d’une clause de maintien des conditions de travail pendant la
grève, le droit de modifier les conditions de travail des salariés, il ne
pouvait le faire dans le but d’écarter le syndicat ou l’affaiblir.

Cet argument
pourrait éventuellement être utilisé pour sanctionner d’autres employeurs si
ces derniers faisaient un exercice antisyndical de leurs droits. Autrement dit,
lorsque des salariés exercent leur liberté d’association, sous une forme ou une
autre, l’employeur ne doit pas profiter de ses droits, quels qu’ils soient,
pour entraver l’exercice de cette liberté d’association. Ce principe nous
semble conforme aux articles 6, 7 et 1375 du Code civil du Québec en ce qu’un employeur n’exercerait pas ses
droits selon les exigences de la bonne foi s’il tente d’entraver la formation
ou les activités d’une association de salariés.  

De plus, comme l’a
souligné le TAT, une situation comme celle étudiée met directement en cause le
droit d’association des salariés et la protection qu’en fait le Code. Ainsi, puisque le TAT a conclu que
l’employeur a contrevenu à son obligation de négocier de bonne foi, il sera
intéressant de voir quelles seront les mesures de réparation que prononcera le
TAT.

Finalement, il
ressort de la décision du TAT que pour repousser la preuve d’une conduite
antisyndicale, l’employeur devra démontrer que sa décision d’affaires reposait
sur des motifs véritables et légitimes. Cette décision d’affaires ne doit pas,
non plus, être prise de façon précipitée, ni s’inscrire dans une stratégie
visant à nuire à la partie syndicale.

La décision se
trouve ici.

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