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Gabrielle Champigny
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08 Sep 2020

Aux constitutionnalistes avertis : les décisions essentielles des derniers mois (mai-août 2020)

Par Gabrielle Champigny, avocate

Avez-vous pris connaissance des derniers arrêts rendus par la Cour suprême et des nouvelles décisions des tribunaux québécois en matière constitutionnelle? Si le temps vous a manqué, ce billet est la solution rapide à votre course contre la montre!

Dans cette publication, vous aurez l’occasion de parcourir, à travers un court résumé de quelques lignes suivi des extraits qui apparaissent les plus pertinents, des décisions Groupe Maison Candiac, Conseil scolaire francophone de Colombie-Britannique, Quebec English School Boards Association et le Renvoi relatif à la Loi sur la non-discrimination génétique.

Le Groupe Maison Candiac c. Procureur général du Canada (PGC), 2020 CAF 88 (15 mai 2020)

Le dénouement de cette affaire fort médiatisée, dépeinte à l’image de « la rainette contre Goliath », marque un pas important en matière de protection des espèces en péril. Ce printemps, la Cour d’appel fédérale (CAF) a confirmé la décision de la Cour fédérale validant le décret d’urgence[1] pris par la ministre McKenna en 2016, qui visait à interdire des activités susceptibles d’entrainer la perte ou la dégradation de l’habitat de la rainette Faux-Grillon de l’Ouest au sein de trois municipalités québécoises.

L’exercice impliquait de déterminer la validité constitutionnelle de la procédure de décret d’urgence prévue par l’article 80(4)c)(ii) de la Loi sur les espèces en péril. La CAF, s’appuyant entre autres sur la présomption de constitutionnalité des lois et la doctrine du double aspect, a conclu que cette disposition législative fédérale, puis le décret qui en a découlé, constituent un exercice valide de la compétence fédérale en matière de droit criminel (art. 91(27) LC1867).

L’occasion a été saisie pour mettre les pendules à l’heure sur la nature transversale de la protection de l’environnement : il ne s’agit pas d’un sujet de compétence en soi, imperméable, pouvant être attribué en bloc à l’un ou l’autre des paliers de gouvernement. Il s’agit plutôt d’une « responsabilité partagée » pouvant être observée sous la lunette de différents pouvoirs législatifs accordés par la Loi constitutionnelle de 1867.

[35] […] Loin d’avoir pour objectif d’empiéter directement sur la compétence des provinces ou de viser à imposer des normes nationales uniformes, comme l’appelante l’a soutenu en première instance et réitéré devant nous, j’estime au contraire que le sous-alinéa 80(4)c)(ii) a vraiment pour objet de permettre une intervention d’urgence lorsqu’une espèce sauvage inscrite est sur le point de subir un préjudice qui compromettra sa survie ou son rétablissement.

[…]

[41] L’urgence d’agir pour protéger la biodiversité, qui sous-tend la Loi dans son ensemble et plus particulièrement les décrets qu’autorise son article 80, témoigne non seulement du souci de se conformer aux obligations internationales qu’a contractées le Canada en ratifiant la Convention, mais s’inscrit également sur la toile de fond de nombreux constats scientifiques tous plus alarmants les uns que les autres.

[…]

[52] Il ne fait maintenant plus aucun doute que la protection de l’environnement fait partie des maux que le Parlement peut réprimer par le biais de sa compétence sur le droit criminel. Il s’agit là d’un objectif légitime […].

[53] Or, la preuve est claire que la protection de la biodiversité est intimement liée à la lutte contre la pollution de l’environnement.

[54] À partir du moment où l’on reconnaît, comme semble le faire l’appelante, que la disparition appréhendée d’une espèce sauvage inscrite peut constituer un « mal » à réprimer, je vois mal comment la présente affaire peut se distinguer de l’affaire Hydro-Québec. Le sous-alinéa 80(4)c)(ii), comme l’article 35 de la Loi canadienne sur la protection de l’environnement, L.R.C. (1985), ch 16 (4e suppl.), est intimement relié au régime d’interdictions mis en place par la Loi. Dans les deux cas, on permet au Gouverneur en conseil (ou au ministre, dans un premier temps, en vertu de l’article 35) de passer outre aux exigences normales et d’adopter un Décret d’urgence pour faire face à une situation d’urgence.

[55] Au vu de ce qui précède, je suis donc d’avis que la Cour fédérale n’a commis aucune erreur en concluant que le sous-alinéa 80(4)c)(ii) cherche à réprimer un « mal » au sens où l’entend la jurisprudence de la Cour suprême, et qu’il n’y a pas de distinction à faire entre le « mal » visé dans l’affaire Hydro-Québec et celui démontré dans le présent dossier. Le devoir d’empêcher la disparition des espèces sauvages est une obligation morale au même titre que la protection de l’environnement. La compétence relative au droit criminel doit permettre au Parlement d’intervenir en ces matières, tout particulièrement lorsque le préjudice appréhendé est imminent.

[…]

[66] La Cour suprême reconnaît depuis longtemps la nécessité de faire preuve d’une certaine flexibilité en matière de protection de l’environnement, compte tenu de l’ampleur et de la complexité du sujet.

[67] Ce qui est vrai pour la protection de l’environnement l’est tout autant pour les mesures destinées à préserver la biodiversité, surtout dans une situation où l’urgence requiert des mesures immédiates et bien ciblées. En cette matière, l’identification précise des activités proscrites et du périmètre où l’habitat d’une espèce sauvage inscrite doit être protégé pour assurer le rétablissement ou la survie de l’espèce constituent une vertu et valent mieux qu’une mesure inutilement large qui risque d’avoir une incidence disproportionnée sur l’exercice des pouvoirs provinciaux : Hydro-Québec, au paragraphe 147. Je ne peux donc que faire miens, encore une fois, les propos du juge LeBlanc de la Cour fédérale lorsqu’il écrit (au para. 150) :

Les juges majoritaires, dans Hydro Québec, ont statué qu’il relevait

« naturellement » de la compétence du Parlement en matière de droit criminel, d’adapter soigneusement, par le biais d’un pouvoir réglementaire, l’activité interdite en fonction des circonstances dans lesquelles une substance toxique peut être utilisée ou traitée. J’estime qu’il en va de même de la protection des espèces en péril dont la survie ou le rétablissement sont menacés d’un péril imminent. Les mesures jugées nécessaires dans un cas peuvent ne pas l’être dans l’autre, chaque espèce et chaque habitat essentiel présentant des particularités qui leurs sont propres. Doter l’Exécutif, comme le fait le sous-alinéa 80(4)(c)(ii), du pouvoir d’adapter soigneusement l’activité interdite en fonction des particularités de l’espèce visée et de son habitat et des circonstances dans lesquelles la menace imminente pour sa survie ou son rétablissement se présente me paraît relever d’un exercice valide de la compétence du Parlement en matière de droit criminel.

Le texte intégral de la décision est disponible ici.

Conseil scolaire francophone de la Colombie-Britannique c. Colombie-Britannique, 2020 CSC 13 (12 juin 2020)

La minorité linguistique francophone de Colombie-Britannique remporte une longue bataille juridique entourant le droit à l’éducation en langue française. Le plus haut tribunal du pays, insistant sur l’objet « réparateur » de l’article 23 de la Charte canadienne des droits et libertés (soit de favoriser l’épanouissement des minorités linguistiques officielles et modifier le statu quo face à l’insuffisance du système actuel), détermine que l’article 23 confère aux minorités linguistiques officielles un droit à l’instruction de qualité équivalente – plutôt que simplement proportionnelle – à celle de la majorité. Les étudiants francophones se voient donc reconnaitre le droit de bénéficier d’une expérience éducative « réellement équivalente » à celle des étudiants anglophones, peu importe le nombre d’élèves concernés, la taille de l’école ou le programme en question.

La Cour précise aussi la démarche permettant de déterminer le droit de la minorité linguistique d’obtenir des écoles francophones homogènes, ce qui correspond à la « limite supérieure » des degrés de services éducatifs auxquels la minorité linguistique a droit. L’article 23 s’étend au droit à une école homogène lorsque l’école envisagée est appropriée au regard de la pédagogie et des coûts, en fonction du nombre d’élèves concernés. La démarche consiste à examiner si un nombre comparable d’élèves de la majorité dispose d’une école homogène. Désormais, la base de comparaison pour ce faire est étendue de l’échelle locale à l’échelle provinciale, afin de favoriser un traitement équitable partout dans la province.

Finalement, vu le sous-financement chronique des écoles francophones en Colombie-Britannique, la Cour suprême conclut que la Colombie-Britannique a enfreint le droit à l’instruction dans l’une des deux langues officielles. Ce droit de l’article 23 de la Charte est l’un des rares qui implique des obligations positives pour la province, devant être satisfaites en temps utile. Sa limitation en raison de « l’affectation juste et rationnelle de fonds publics limités » a été refusée par la Cour et n’est plus considérée comme un objectif réel et légitime.

A. Quelle est la démarche permettant de situer un nombre d’élèves donné sur l’échelle variable?

[…]

(1) La première étape : établir le nombre d’élèves concernés

[58] Pour situer le nombre d’élèves concernés sur l’échelle variable, la première étape consiste à déterminer le nombre d’élèves qui se prévaudront en définitive du service envisagé. Elle marque le point de départ de l’analyse du « nombre justificatif ». Le fardeau de la preuve relativement au nombre d’élèves qui se prévaudront en définitive du service incombe aux demandeurs de la minorité linguistique officielle. Pour s’acquitter de ce fardeau, ceux-ci doivent présenter au tribunal une preuve propre à lui permettre de statuer sur ce point. Cette preuve peut notamment s’appuyer sur des témoignages d’experts, sur différents outils statistiques tel le recensement et sur des modèles statistiques qui tiennent compte de la démographie de la communauté en question, de sa situation géographique et de tout autre facteur susceptible d’influer sur le nombre d’élèves concernés.

[…]

(2) La deuxième étape : recourir à une méthode comparative pour déterminer si l’école envisagée par la minorité est appropriée au regard de la pédagogie et des coûts

[61] À la deuxième étape, le tribunal doit déterminer si l’école ou le programme proposé par la minorité est approprié sur le plan de la pédagogie et des coûts pour le nombre d’élèves concernés. Je privilégie une méthode simple, soit une méthode comparative, qui présente également l’avantage de réduire la nécessité de recourir aux tribunaux.

[…]

[65] Afin de situer le nombre d’élèves sur l’échelle variable, je suis d’avis que l’analyse comparative doit se réaliser sur une base provinciale. Au Canada, les lois en matière d’éducation sont déterminées sur une base provinciale en vertu de l’art. 93 de la Loi constitutionnelle de 1867 [1]. L’alinéa 23(3) a) reconnaît ce fait en affirmant que le droit constitutionnel qu’il crée « s’exerce partout dans la province où le nombre des enfants des citoyens qui ont ce droit est suffisant pour justifier à leur endroit la prestation, sur les fonds publics, de l’instruction dans la langue de la minorité ». Il s’agit d’un premier indice en faveur d’une base de comparaison provinciale.

[…]

[69] En conséquence, j’estime que la présence d’écoles de la majorité qui desservent un nombre donné d’élèves, peu importe leur emplacement dans la province, permet de présumer qu’il est approprié du point de vue de la pédagogie et des coûts de créer une école de taille comparable pour la minorité. La province peut cependant réfuter cette présomption en démontrant selon la prépondérance des probabilités que les écoles de la majorité utilisées aux fins de comparaison ne sont pas des éléments comparatifs appropriés ou que l’école projetée par la minorité n’est pas appropriée sur le plan de la pédagogie ou des coûts. Je précise également que les demandeurs, qui ont la tâche d’identifier les écoles de comparaison, doivent s’efforcer de soumettre au tribunal un nombre raisonnable d’écoles qui, au meilleur de leurs connaissances, constituent des éléments de comparaison appropriés à la lumière des enseignements de la présente décision. Une telle approche favorise l’économie des ressources judiciaires en évitant notamment que les tribunaux et les parties aient à analyser en détail des centaines d’écoles.

[…]

[75] Il existe deux voies que peut emprunter la province pour renverser cette présomption. Elle peut, à son choix, faire valoir (1) que les écoles de comparaison identifiées par les demandeurs ne sont pas des éléments de comparaison appropriés du point de vue de la pédagogie ou des coûts, ou (2) que l’école envisagée par la minorité ne satisfait pas aux exigences du point de vue de la pédagogie ou de coûts. Je vais préciser ces différentes possibilités.

[…]

(3) La troisième étape : déterminer le niveau de services qui doit être offert

[84] La troisième étape consiste à déterminer le niveau de services qui doit être offert à la minorité linguistique officielle. Si, à la deuxième étape, le tribunal conclut que le nombre d’élèves est comparable, et que la présomption n’est pas renversée, ce nombre se situe à la limite supérieure de l’échelle variable et la minorité est alors en droit de faire instruire ses enfants dans une école homogène.

[85] Par contre, si le tribunal conclut à cette étape que le nombre d’élèves de la minorité n’est pas comparable, ce nombre se situe alors en deçà de la limite supérieure et une école homogène n’est en conséquence pas exigée. Dans ces circonstances, il existe une gamme de services qui peuvent être offerts à la minorité. Ces services vont de l’offre de certains cours dans la langue de la minorité au contrôle d’une portion d’une école partagée avec la majorité. Ces différents niveaux de services représentent une gamme de possibilités.

[…]

B. Le critère utilisé pour évaluer la qualité de l’instruction offerte aux minorités linguistiques officielles varie-t-il selon le nombre d’élèves de la minorité?

[107] À mon avis, les enfants des titulaires de droits reconnus à l’art. 23 doivent bénéficier d’une expérience éducative réellement équivalente à celle de la majorité, et ce, peu importe la taille de l’école ou du programme en question. Le critère de l’équivalence réelle s’applique partout sur l’échelle variable. La démarche énoncée dans l’arrêt Rose-des-vents doit cependant être appliquée à la lumière du contexte particulier des écoles de la minorité linguistique officielle dont la taille n’est pas comparable aux écoles avoisinantes de la majorité. […]

[…]

[110] Tout d’abord, la notion d’école « véritablement inférieure » adoptée dans l’arrêt Rose-des-vents (par. 35) ne requiert aucune adaptation. Les minorités linguistiques officielles sont en droit d’obtenir pour leurs enfants, partout sur le territoire canadien, une expérience éducative réellement équivalente à celle dont jouissent les enfants de la majorité. Cette affirmation s’appuie sur le principe d’égalité des chances. On ne peut sous-estimer l’importance d’offrir une formation de qualité à chaque enfant, lesquels représentent « la ressource la plus importante de notre pays, son avenir » (Willick c. Willick, [1994] 3 R.C.S. 670, p. 718). L’article 23 permet à tous les enfants, peu importe la langue officielle dans laquelle ils étudient, d’avoir les mêmes possibilités d’avancement dans la société.

[…]

[115] Je souligne que dans un pays comme le Canada, où le système d’éducation est financé de façon adéquate, les parents sont en droit de s’attendre à une expérience éducative de qualité, et ce, peu importe la taille de l’école que leurs enfants fréquentent. À titre d’exemple, une école dont les enseignants ne sont pas adéquatement formés ne peut offrir une expérience éducative réellement équivalente. Il en est de même pour une petite école dont le bâtiment est dans un état d’entretien nettement inférieur à ceux de la majorité. Il est également très difficile d’imaginer comment une école qui n’a pas de gymnase ou encore d’espace pour permettre aux élèves de jouer à l’extérieur — alors que les écoles de la majorité disposent d’installations ou aménagements de cette nature — peut offrir une expérience éducative réellement équivalente. Ces éléments constituent selon moi des normes minimales en deçà desquelles une expérience éducative ne peut être qualifiée de réellement équivalente.

[…]

[120] En l’espèce, je suis d’avis que l’ensemble des enfants d’ayants droit qui fréquentent les écoles ou suivent les programmes du CSF ont droit à une expérience éducative réellement équivalente à celle de la majorité. En conséquence, toutes les communautés desservies par le CSF sont en droit d’obtenir des écoles ou des programmes d’instruction offrant une expérience éducative réellement équivalente à celle des écoles avoisinantes de la majorité, et les conclusions de la juge de première instance doivent être modifiées pour en tenir compte.

[…]

[147] À mon avis, trois facteurs militent en faveur de l’application d’une norme particulièrement sévère en matière de justification d’une violation du droit à l’instruction dans la langue de la minorité. Premièrement, en adoptant l’art. 23, les rédacteurs de la Charte ont imposé des obligations positives aux gouvernements provinciaux et territoriaux. En vertu de l’art. 23, les gouvernements doivent financer l’instruction dans la langue de la minorité sur le Trésor public lorsque le nombre d’enfants le justifie. Ils doivent satisfaire à ces obligations en temps utile pour prévenir les risques d’assimilation et de perte des droits (Doucet-Boudreau, par. 29; Rose-des-vents, par. 28). L’adoption d’une approche souple relativement à la justification d’une violation de l’art. 23 risque de mettre en péril l’objectif réparateur de cet article, dont l’importance a été expliquée précédemment.

[…]

[153] À mon avis, les juridictions inférieures ont commis une erreur en statuant que [TRADUCTION] « l’affectation juste et rationnelle de fonds publics limités » constitue en l’espèce un objectif urgent et réel. Par définition, les fonds publics sont limités. Tout gouvernement affecte ses fonds entre ses divers programmes, et ce, selon certains barèmes et de la façon la plus équitable possible. Si le simple fait d’accoler les mots « juste et rationnelle » au mot « affectation » permettait de faire de l’affectation de fonds publics un objectif urgent et réel, il serait alors loisible à tout gouvernement de déroger aux droits fondamentaux avec une aisance déconcertante. Je ne peux accepter un tel résultat. L’affectation juste et rationnelle de fonds publics limités constitue le travail quotidien d’un gouvernement. La mission de l’État consiste à gérer des ressources budgétaires limitées pour répondre à des besoins qui eux sont tout sauf limités. Nous ne sommes pas en présence ici d’un objectif urgent et réel qui permet de justifier une violation des droits et libertés. Assimiler ce rôle à un tel objectif entraînerait la société sur une pente glissante et risquerait d’atténuer la portée de la Charte. J’ajouterais que, d’un point de vue pratique, la justesse d’un tel objectif serait presque impossible à vérifier.

Le texte intégral de la décision est disponible ici.

Quebec English School Boards Association c. Procureur général du Québec, 2020 QCCS 2444 (10 août 2020)

Une autre décision importante a été rendue en matière de droits linguistiques, cette fois par la Cour supérieure. Dans la foulée de l’adoption du Projet de loi 40 et de l’abolition des commissions scolaires au Québec pour les remplacer par des « centres de services scolaires », l’Association des commissions scolaires anglophones du Québec (QESBA), accompagnée d’autres représentants, a demandé un sursis d’application et conteste la nouvelle loi en ce qu’elle constituerait une violation des droits linguistiques de la minorité anglophone garantis par l’article 23 de la Charte.

La Cour supérieure a accordé le sursis d’application de la Loi d’ici à ce qu’une décision soit rendue sur le fond. Elle a d’abord conclu que le premier critère, celui de l’existence d’une question sérieuse à débattre, était rempli. Parmi ses motifs, elle exprime entre autres que l’article 23 exige que l’Assemblée nationale tienne compte des préoccupations des minorités anglophones pour respecter le principe d’égalité réelle qui en est tributaire. Bien que la preuve à ce stade de la procédure ne permettait pas de savoir si de telles préoccupations ont véritablement été pris en compte, la Cour a jugé qu’il y avait là une question sérieuse à débattre. Les critères du préjudice irréparable (dû à la disparition définitive des commissions scolaires), celui de la balance des inconvénients et l’urgence ont aussi été reconnus au bénéfice des demandeurs.

[24] Le législateur québécois a exercé la discrétion législative que lui reconnaît la Cour suprême du Canada dans son domaine de compétence exclusive. Son intention et de rapprocher la gestion scolaire des parents d’élèves, objectif reconnu valable par la Cour suprême.

[25] Il existe cependant un débat sérieux quant au respect de l’autonomie décisionnelle de la minorité anglophone en matière scolaire. Il faudra également décider si la Loi tient compte des préoccupations de la minorité anglophone et répond à celles- ci.

[26] Abolies par la Loi, les commissions scolaires anglophones, porte-parole de la minorité, subiront un préjudice irréparable si la Loi entre en vigueur.

[27] Malgré la présomption de validité de la législation, dans les circonstances particulières du présent dossier, la prépondérance des inconvénients favorise les demandeurs.

[…]

[62] Dans l’arrêt Mahe, la Cour suprême a jugé que les minorités linguistiques françaises ou anglaise avaient une “certaine mesure de gestion et de contrôle/ a measure of management and control » sur leurs institutions scolaires.

[63] La Loi conserve à la minorité anglophone du Québec une “certaine mesure de contrôle » sur ses institutions. Est-ce suffisant dans le contexte de l’historique et de la situation de la minorité anglophone?

[64] La Cour suprême a également écrit dans Mahe que « le gouvernement devrait disposer du pouvoir discrétionnaire le plus vaste possible dans le choix des moyens institutionnels dont il usera pour remplir ses obligations en vertu de l’art. 23 ».

[…]

[71] Un examen attentif de la Loi incite plutôt à constater que la minorité anglophone conserve le droit de gérer ses institutions scolaires. C’est le degré de contrôle sur la gestion et son caractère exclusif qui sont en litige.

[72] L’analyse qui suit adopte les rubriques pertinentes identifiées par la Cour suprême dans Mahe comme étant les éléments nécessaires et exclusifs de la gestion et du contrôle de leurs institutions par la minorité linguistique.

[75] Les demandeurs soutiennent ne pas avoir le contrôle sur la nomination des dirigeants de ses établissements, puisqu’ils se font imposer les critères de sélection de ceux-ci.

[76] La question qui se pose est donc celle de savoir si la minorité peut décider de la façon dont ses représentants à la direction des centres de services scolaires vont être choisis ou, à tout le moins, si elle doit être impliquée dans cette détermination.

[…]

[92] Une décision administrative prise sans consultation préalable peut être cassée pour ce motif . Dans son arrêt obligeant l’Ontario à continuer à fournir les services en français à l’Hôpital Monfort, la Cour d’appel d’Ontario a rappelé l’importance du respect des droits de la minorité dans notre contexte constitutionnel et a conclu que la Commission de restructuration des services de santé devait tenir compte des recommandations qui exprimaient les vues de la minorité 39: […]

[95] Il faut éviter d’imposer des structures qui ne correspondent pas aux besoins de la minorité.

[96] L’Assemblée nationale et le ministre de l’Éducation ont-ils tenu compte des préoccupations de la minorité anglophone?

[97] Le dossier devant le tribunal ne permet pas de répondre à cette question. Les débats parlementaires déposés ne font état que de l’intervention de l’ancien ministre Geoffrey Kelley relative à l’abolition de la rémunération annuelle de 7500 $ pour les commissaires.

[…]

[131] Les arguments avancés par les demandeurs pour établir un préjudice irréparable sont de deux ordres : Ils soutiennent à l’aide du rapport d’expert du professeur Peter Loewen que le système établi par la Loi risque de décourager la participation de candidats potentiels aux élections scolaires et de décourager également les électeurs. Ils font ensuite état de la disparition des commissions scolaires comme créant de fait un préjudice irréparable.

[134] Le préjudice qui découlerait de la mise en œuvre du nouveau système électoral est-il un préjudice dont le droit positif peut tenir compte? Dans la mesure où la preuve du préjudice n’est pas faite à ce stade-ci des procédures, le tribunal n’a pas à trancher cette question.

[135] Le tribunal retient plutôt que la disparition des commissions scolaires leur causerait un préjudice irréparable. La disparition d’une entité est en soi un préjudice irréparable.

[…]

[150] Le procureur général soutient que la suspension des effets de la Loi aurait pour effet de priver le public des bénéfices d’une loi adoptée dans l’intérêt public et priverait spécifiquement les parents de la communauté anglophone des bénéfices de la Loi.

[152] Si le maintien d’une loi à cause de son caractère d’intérêt public était le seul critère à appliquer, il n’y aurait pas lieu de débattre de la question du sursis. Comme l’écrit le professeur Kent Roach73 :

The assumption that the public interest is always represented by existing legislation is unfortunate. It creates the possibility that the public interest will be conceived in crudely majoritarian terms which are in tension to the court’s role in protecting the constitutional rights of minorities.

[…]

[155] Outre le fait que la Loi ne serait pas mise en vigueur dans le réseau scolaire anglophone, le procureur général n’établit pas le préjudice qu’il y aurait à surseoir à la mise en vigueur de sa Loi.

[156] La prépondérance des inconvénients favorise les demandeurs.

[…]

[159] Le tribunal ne peut que constater que, de l’avis même des parties, il y a urgence à statuer.

Le texte intégral de la décision est disponible ici.

Renvoi relatif à la Loi sur la non-discrimination génétique, 2020 CSC 17 (10 juillet 2020)

Un employeur ou un assureur pourrait-il obliger une personne intéressée par un poste ou par ses services à fournir un test génétique au préalable? Le gouvernement fédéral est-il compétant pour légiférer dans le domaine large et complexe de la discrimination génétique?

Le difficile dilemme de l’imposition de tests génétiques a été tranché cet été par la Cour suprême, dans une décision serrée rendue par 5 juges contre 4. Les articles 1 à 7 de la Loi sur la non-discrimination génétique, une loi fédérale, ont été jugés constitutionnellement valides. Ces dispositions interdisent – sous peine de sanctions importantes – l’exigence de tests génétiques avant la conclusion de contrat, ainsi que la collecte, l’utilisation ou la communication de résultats de tests génétiques sans consentement libre et éclairé.

Selon l’analyse de la majorité de la Cour, le caractère véritable de ces dispositions est d’interdire des conduites ayant pour effet de réduire le contrôle qu’exerce une personne sur les renseignements révélés par des tests génétiques. Ainsi, le Parlement fédéral, en édictant dans ce but une série d’interdictions et de sanctions portant sur des intérêts publics traditionnellement protégés par le droit criminel (à savoir l’autonomie, la vie privée, l’égalité, la santé publique), a validement exercé sa compétence en matière de droit criminel. Cette conclusion est aussi gouvernée par l’importance croissante du principe du fédéralisme coopératif en droit constitutionnel canadien et la « tolérance de plus en plus grande » envers le chevauchement entre les compétences, y compris lorsque c’est une loi fédérale qui est en cause.

[4] J’accueillerais le pourvoi et je conclurais que le Parlement avait le pouvoir d’édicter les art. 1 à 7 de la Loi sur la non-discrimination génétique en vertu du par.91(27). Comme je l’explique plus loin, la «matière» (ou le caractère véritable) des dispositions contestées consiste à protéger le contrôle qu’exercent les personnes sur leurs renseignements personnels détaillés révélés par les tests génétiques dans les vastes secteurs de la conclusion de contrats et de la fourniture de biens et services, afin de répondre à la crainte des Canadiens et Canadiennes que leurs résultats de test génétique ne soient utilisés contre eux et de prévenir la discrimination fondée sur ces renseignements. Cette matière est classifiée à bon droit comme relevant de la compétence du Parlement en droit criminel prévue au par. 91(27). Les dispositions en cause reposent sur un objet de droit criminel, car elles répondent à une menace de préjudice pour plusieurs intérêts publics qui se chevauchent et qui sont traditionnellement protégés par le droit criminel. Les interdictions prévues par la Loi protègent l’autonomie, la vie privée, l’égalité et la santé publique, et représentent donc un exercice valide de la compétence du Parlement en matière criminelle.

[…]

[63] En édictant la Loi sur la non-discrimination génétique, le Parlement a pris des mesures pour combattre la discrimination génétique et la crainte de la discrimination génétique fondée sur les résultats de tests génétiques. Il a essayé de le faire en comblant la lacune dans les lois canadiennes qui exposait les personnes à la discrimination génétique dans les secteurs de la conclusion de contrats et de la fourniture de biens et services. […]

[…]

[65] Je conclus donc que, par leur caractère véritable, les art. 1 à 7 de la Loi protègent le contrôle qu’exercent les personnes sur leurs renseignements personnels détaillés révélés par les tests génétiques dans les secteurs de la conclusion de contrats et de la fourniture de biens et services afin de répondre aux craintes que les résultats de tels tests ne soient utilisés contre elles et de prévenir la discrimination fondée sur ces renseignements.

[…]

[103] Le Parlement est intervenu en réponse à sa préoccupation selon laquelle le fait que les personnes soient exposées à la discrimination génétique constituait une menace pour plusieurs intérêts publics traditionnellement protégés par le droit criminel. Il a édicté des dispositions législatives qui, par leur caractère véritable, protègent le contrôle qu’exercent les personnes sur leurs renseignements personnels détaillés révélés par les tests génétiques dans les domaines de la conclusion de contrats et de la fourniture de biens et services afin de répondre aux craintes des Canadiens et Canadiennes que leurs résultats de test génétique ne soient utilisés contre eux et de prévenir la discrimination fondée sur ces renseignements. L’objectif était de protéger l’autonomie, la vie privée et l’égalité, ainsi que la santé publique. Les dispositions contestées relèvent de la compétence du Parlement en matière de droit criminel, car elles contiennent des interdictions assorties de sanctions et reposent sur un objet de droit criminel.

Le texte intégral de la décision est disponible ici.

Pour lire le résumé du 24 août publié dans le Blogue du CRL, cliquez ici

[1] Décret d’urgence visant la protection de la rainette faux-grillon de l’Ouest (population des Grands Lacs / Saint-Laurent et du Bouclier canadien), TR/2016-36.

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