Cinar : le scandale prend fin
Par Sophie Estienne, avocate
Détournement, fraude, compte offshore aux Bahamas. Après une saga aussi connue dans le monde juridique que médiatique, la Cour suprême a refusé, le 1er octobre dernier, d’entendre la cause du cofondateur de la maison de production Cinar, Ronald Weinberg[1].
L’affaire, qui a fait couler beaucoup d’encre, est celle d’un détournement de fonds à grande envergure. Ainsi, une grande partie de l’argent de Cinar, qui a notamment produit la série télévisée d’animation pour enfants Caillou, a été détournée dans un compte offshore aux Bahamas entre 1997 et 2005. Une fraude de pas moins de 126 millions de dollars dans laquelle Ronald Weinberg, cofondateur et ancien codirigeant de Cinar, a joué un rôle primordial. Après un procès-fleuve de plus de deux ans, un des plus longs procès à s’être tenu devant un jury au Canada (mai 2014 à juin 2016), la sentence tombe. La Cour supérieure condamne Ronald Weinberg à une peine d’emprisonnement de neuf ans après avoir été déclaré coupable sous plusieurs chefs d’accusation de fraude, d’utilisation d’un document contrefait ainsi que de fabrication et d’utilisation de faux documents[2].
Pourtant, l’affaire ne s’arrête pas là. En effet, en juillet 2016 l’arrêt Jordan[3] est rendu par la Cour suprême, une décision importante qui vient établir un délai maximal entre le dépôt d’une accusation et la tenue d’un procès afin de garantir à tout inculpé d’être jugé dans un délai raisonnable. Ainsi, à la lumière de ce nouveau cadre d’analyse établi dans Jordan, Ronald Weinberg et ses acolytes, eux aussi déclarés coupables en première instance, interjettent appel et soulèvent que leur droit d’être jugés dans un délai raisonnable, protégé par l’article 11 b) de la Charte canadienne des droits et libertés, a été enfreint[4]. En effet, les accusés appellent le verdict de culpabilité au motif que le juge gestionnaire de l’instance a erré en rejetant leurs requêtes en arrêt des procédures. Le délai entre la date du dépôt des accusations et la date à laquelle le juge gestionnaire a rendu sa décision s’élève à 37 mois et 21 jours. Les accusés soutiennent cependant qu’aux fins de leurs appels, la Cour devrait prendre en considération la période de 63 mois et 9 jours comprise entre la date du dépôt des accusations et la date à laquelle les verdicts ont été rendus. Cependant, la Cour d’appel rejette l’appel. En effet, le tribunal soulève que le juge gestionnaire n’a commis aucune erreur en rejetant les requêtes et que, par conséquent, le seul motif qui pourrait justifier un arrêt des procédures devrait être trouvé dans la conduite du procès devant le jury. Or, les accusés n’ont pas présenté de requêtes en arrêt des procédures pour délais déraisonnables devant le juge qui a présidé le procès. Le fait de ne pas avoir soulevé la question des délais après que le juge gestionnaire eut rendu sa décision et avant le prononcé des verdicts équivaut à une renonciation à son droit pour cette période. Par conséquent, les accusés ne peuvent interjeter appel relativement à un délai que le juge qui a présidé le procès n’a pas eu l’occasion d’examiner[5]. Face à ce rejet, Ronald Weinberg se tourne donc vers la Cour suprême. L’homme d’affaires, acteur d’un des plus grands scandales financiers de l’histoire du Québec, se voit débouté et ne verra pas la suite de son affaire face au refus de la Cour suprême d’entendre son dossier.
[1] Ronald A. Weinberg v. Her Majesty the Queen, 2020 CanLII 71310 (CSC).
[2] R. c. Weinberg, 2016 QCCS 3137.
[3] R. c. Jordan, [2016] 1 R.C.S. 631.
[4] Xanthoudakis c. R., 2020 QCCA 446.
[5] Xanthoudakis c. R., 2020 QCCA 446, par. 44.
Excellent résumé d'une saga peu reluisante.