COVID-19 : Une mère travaillant à l’étranger pourra s’isoler avec son enfant à son retour au Québec afin d’exercer son temps parental
Par Érika Chagnon-Monarque, avocate et Julie Aubin-Perron, étudiante à la Faculté de droit de l’Université de Montréal
La vie familiale des citoyens a été grandement touchée par la crise sanitaire qui sévit depuis mars dernier. En pleine pandémie mondiale, qu’advient-il de ceux qui travaillent à l’étranger sur une base régulière, se déplaçant ainsi fréquemment entre le Canada et leur pays d’emploi? Comment leurs rapports familiaux s’articulent-ils désormais?
Dans l’affaire Droit de la famille — 201398, 2020 QCCS 3024, rendue le 22 septembre dernier, une mère ayant récemment accepté une promotion à l’étranger a obtenu le droit de s’isoler avec son fils de huit ans lorsqu’elle revient au Québec, afin d’exercer son temps parental durant ces périodes.
Contexte
L’enfant concerné, X, est un mineur dont les parents sont séparés depuis l’automne 2019. Il fait l’objet d’une garde partagée depuis décembre de la même année. Au mois de juin 2020, sa mère a accepté une promotion l’obligeant à travailler régulièrement à l’extérieur du pays. Le Tribunal est saisi par madame afin de déterminer si elle aura la possibilité de passer ses quarantaines en compagnie de X, ce à quoi le père s’oppose.
Les consignes des autorités sanitaires sont claires : « Tous les voyageurs qui entrent au Canada doivent s’isoler obligatoirement pendant une période de 14 jours »[1]. Toutefois, elles n’interdisent pas à un parent en période d’isolement de résider avec un enfant mineur qui n’est pas en quarantaine.
Madame soutient qu’elle respectera les exigences de la santé publique et soumet que son temps de garde doit être préservé dans l’intérêt de son fils. Elle suggère d’engager une aide-ménagère à domicile ainsi qu’un service de transport scolaire et d’aide aux devoirs pour X. Elle confirme aussi que les recommandations de la santé publique sont suivies par son nouveau fiancé.
Le père, lui, s’inquiète des contacts et des déplacements de madame lorsqu’elle est à l’étranger et doute qu’elle ait déployé suffisamment d’efforts afin d’être autorisée par son employeur à travailler à partir du Québec. Il soutient qu’il est très improbable que X et sa mère respectent véritablement les consignes sanitaires d’isolement considérant qu’ils ne se soient pas vus pendant plusieurs semaines. Il propose à la mère qu’elle se soumette à un test de dépistage de la COVID-19 lors de son départ du pays A ainsi qu’à son arrivée au Québec.
Considérant que le test n’est pas exigé par les autorités sanitaires, que les délais d’obtention des résultats sont trop incertains et qu’ils pourraient donc nuire à son entrée au pays A, la mère s’y oppose. Elle soutient aussi qu’elle ne peut se déplacer à l’extérieur de sa résidence au pays A pour subir ce test.
Décision
La Cour supérieure a partiellement accueilli la demande de sauvegarde de madame. Pour rendre sa décision, la Cour a pris en compte les principes énoncés dans plusieurs décisions récentes[2] et qui concernent les droits d’accès et la garde d’enfants durant la crise sanitaire actuelle :
– « les ordonnances de garde et d’accès continuent de s’appliquer;
– les parents peuvent convenir du réaménagement de celles-ci dans le meilleur intérêt de l’enfant;
– si un différend existe, une ordonnance modificative doit alors être rendue avant que les modalités de garde et d’accès ne soient modifiées, aucun parent ne pouvant se faire justice à soi-même;
– de simples appréhensions théoriques ne justifient pas une modification des modalités de garde d’accès;
– le parent qui sollicite le prononcé d’une ordonnance modificative doit démontrer, de façon prépondérante, que l’autre parent désobéit aux consignes sanitaires émanant des autorités publiques et que ce faisant, il met en péril la santé et la sécurité de l’enfant. »[3]
La cour précise que le meilleur intérêt de l’enfant sera évalué à la lumière des considérations de santé et de sécurité le concernant, et rappelle que « chaque cas est un cas d’espèce »[4] .
Le Tribunal convient qu’il y a urgence de trancher l’affaire dans l’intérêt de X. Il constate que les parties ont créé un statu quo de garde partagée, statu quo qui a été rompu au moment où la mère a accepté la promotion lui obligeant à se rendre dans le pays A. Malgré cela, la Cour estime qu’il n’a pas lieu de lui interdire de s’isoler avec son fils, ni de lui imposer de se soumettre à des tests de dépistage. En l’espèce, madame avait obtenu une dispense de se mettre en quarantaine mais le Tribunal précise qu’elle ne devrait pas faire l’objet de conditions plus sévères que celles imposées par la santé publique, même si elle ladite dispense n’était pas renouvelée dans le futur.
Bien que le juge comprenne les inquiétudes et doutes du père, la mère s’est engagée à respecter les consignes émises par les autorités sanitaires et le Tribunal « ne peut présumer qu’elle ne respectera pas ses engagements, d’autant plus que rien dans les déclarations assermentées ne permet de douter de ses qualités de mère »[5]. De plus, la Cour souligne que, bien que la situation d’isolement causera certainement quelques inconvénients à X et le privera possiblement d’obtenir toute l’attention de sa mère, « ces inconvénients ne font pas le poids avec l’alternative, soit priver l’enfant de sa mère lorsqu’elle est de retour de l’étranger »[6].
Enfin, en ce qui concerne les horaires d’accès, la Cour conclut que X ne pourra pas rester avec sa mère pour une durée excédant 7 jours, afin de respecter le statu quo initial octroyant un maximum de 7 jours de garde consécutifs à chacun des parents. Il est de mise que la mère fournisse également au père un calendrier de ses déplacements à venir afin que l’échange de garde se fasse de manière plus harmonieuse à l’avenir.
Le texte intégral de la décision est disponible ici
[1] MINISTÈRE DE LA SANTÉ ET DES SERVICES SOCIAUX DU QUÉBEC, Recommandations de santé publique – Consignes à suivre pour la personne de retour d’un pays étranger, en ligne : https://www.quebec.ca/sante/problemes-de-sante/a-z/coronavirus-2019/consignes-aux-voyageurs-covid19/#:~:text=800%20565%205721-,Consignes%20%C3%A0%20suivre%20pour%20la%20personne%20de%20retour%20d’un,COVID%2D19%20aux%20autres%20personnes>.
[2] Droit de la famille — 20474, 2020 QCCS 1051; Droit de la famille — 20506, 2020 QCCS 1125; Droit de la famille — 20515, 2020 QCCS 1150.
[3] Droit de la famille – 20543, 2020 QCCS 1215, par. 11.
[4] Droit de la famille – 20543, 2020 QCCS 1215, par. 25.
[5] Droit de la famille — 201398, 2020 QCCS 3024, par. 40.
[6] Droit de la famille — 201398, 2020 QCCS 3024, par. 42.
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