Droits d’accès des grands-parents : des accès virtuels en raison de la pandémie et présentiels dès qu’ils seront permis par la santé publique. Une solution finale mais évolutive au même titre que la pandémie.
Par Érika Chagnon-Monarque, avocate et Marie-Jeanne Tétreault, étudiante à la Faculté de droit de l’Université de Montréal
Le 13 octobre dernier, la Cour supérieure devait décider des droits d’accès des grands-parents paternels à leur petit-enfant, dans l’affaire Droit de la famille – 201461, 2020 QCCS 3199. Or, les directives du gouvernement en temps de crise sanitaire ne permettent pas aux familles vivant à différentes adresses de se rencontrer en personne comme il est possible de le faire en temps normal. Comment la Cour supérieure pourra-t-elle concilier les restrictions actuelles tout en rendant un jugement final qui demeure dans le meilleur intérêt de l’enfant à long terme? La Cour supérieure répond : droits d’accès virtuels pour le moment, et en présentiels dès qu’ils seront permis. Une solution temporaire et évolutive au même titre que la pandémie.
Contexte
L’enfant dont il est question, X, est un garçon de cinq ans n’ayant aucun contact avec son père. Il n’a plus aucun souvenir de ses grands-parents paternels, les demandeurs dans cette présente affaire. Ces derniers s’adressent au Tribunal dans le but d’obtenir des droits d’accès auprès de leur petit-fils. La mère de X, la défenderesse, s’oppose à cette demande. Elle craint qu’introduire dès maintenant les demandeurs dans la vie du garçon soit néfaste pour lui.
X et ses grands-parents paternels se sont déjà rencontrés à quelques reprises lorsqu’il avait moins de deux ans. La mère de X a mis un terme aux rencontres en raison d’un conflit qui perdurait entre le père de X et le reste de sa famille. Ainsi, la querelle a eu pour effet de priver l’enfant de la présence de ses grands-parents paternels, mais également de toute la famille de ce côté. Les demandeurs soulignent que la mère avait déjà admis, par le passé, qu’elle serait des plus heureuse si son fils pouvait enfin avoir une belle relation avec la famille de son père.
Les demandeurs ont signifié leur procédure judiciaire par courriel, le 7 juin 2019. À la date du jugement final, le 13 octobre, le Québec est toujours en confinement en raison d’une deuxième vague de la covid-19. Les rencontres en personne sont formellement interdites sous peine de sanctions[1].
Décision
La première question en litige est de déterminer si l’établissement de relations personnelles avec ses grands-parents paternels était dans l’intérêt supérieur de X. La Cour répond à l’affirmative, en faisant un rappel des principes applicables en la matière.
L’article 611 du Code civil du Québec (C.c.Q.) crée une présomption favorable aux grands-parents, concernant l’établissement de droits d’accès à leurs petits-enfants. Toutefois, la présence de motifs graves peut faire obstacle à ces contacts. Le fardeau de cette preuve incombe aux parents, conformément aux articles 2803 et 2804 C.c.Q.[2]
Dans l’affaire Droit de la famille – 172486, la Cour d’appel explique que de tels motifs doivent obligatoirement être interprétés largement[3]. D’ailleurs, les rapports de l’enfant avec les grands-parents ne devraient pas être tributaires de l’existence d’un conflit entre ces derniers et les parents. Il serait injuste pour l’enfant qu’un conflit extérieur entraîne automatiquement l’arrêt des échanges entre lui-même et ses grands-parents. Néanmoins, une suspension des contacts pourrait découler d’un conflit suscitant un risque trop important pour l’enfant. Il n’est pas nécessaire, dans ces cas, d’attendre que le risque devienne réalité pour couper les ponts entre grands-parents et petits-enfants.
L’intérêt supérieur de l’enfant est au cœur de l’analyse, de l’interprétation et de la détermination d’un motif grave en vertu de l’article 33 C.c.Q.
La défenderesse soumet qu’X risque d’être traumatisé par les explications qu’il pourrait recevoir en réponse aux questionnements portant sur l’absence de son père dans sa vie. Il s’agit de la seule inquiétude qui demeure en vigueur au moment de l’audience, puisque les conflits entre le père de X et les demandeurs se sont apaisés. La jurisprudence est à l’effet qu’une crainte fondée sur des faits objectifs antérieurs est suffisante pour former un motif grave qui légitimerait l’interdit de contacts entre les grands-parents et l’enfant[4]. En l’espèce, le juge Faullem souligne un aspect important de la réalité actuelle, à savoir, la facilité d’accès aux technologies de communication même en jeune âge. Même si la mère a fourni une explication temporaire afin d’expliquer à X l’absence de son père, l’enfant sera confronté bien assez tôt à la réalité : l’absence de communications provenant du père et la socialisation dès l’âge scolaire feront germer des questionnements à ce sujet. Dans cet ordre d’idées, la mère devra répondre à ces questionnements un jour ou l’autre et revenir sur son mensonge. Chose certaine, la présence des demandeurs, les grands-parents paternels de X, pourra apporter du réconfort et du soutien à l’enfant lorsque viendra le temps de lui expliquer les raisons de l’absence de son père dans sa vie. En conclusion, la Cour juge qu’il est dans l’intérêt de X de reprendre contact avec ses grands-parents puisque les craintes évoquées par la mère sont insuffisantes pour qu’elle se décharge de son fardeau de démontrer des motifs graves.
La deuxième question en litige est de déterminer les modalités du droit d’accès accordé aux grands-parents paternels de X.
La jurisprudence québécoise est en constante évolution en réponse à la pandémie de Covid-19 et aux les directives établies par le gouvernement provincial et le gouvernement fédéral. N’eût été la deuxième vague qui s’abat en ce moment sur le Québec, la Cour souligne que des droits d’accès auraient été accordés aux demandeurs sous la forme de rencontres dans des lieux publics, quelques fois par année. Ces dernières sont pour le moment proscrites. Le juge Faullem a donc rendu les ordonnances suivantes, afin que X puisse passer du temps avec ses grands-parents :
[59] Or, en conséquence des risques de propagation et de la sévérité de la maladie, et notamment en raison de l’âge des demandeurs, il y a lieu de convenir de rencontres virtuelles pour entreprendre cette nouvelle relation, et ce, jusqu’à ce que la situation se résorbe et que les consignes de la santé publique permettent de reprendre les contacts réguliers entre personnes ne vivant pas sous le même toit. Les rencontres virtuelles auront lieu sur une plateforme technologique au choix des parties ou, à défaut d’avoir accès à une telle technologie, par téléphone.
La Cour conclut en prévoyant des rencontres en personne après douze mois de rencontres uniquement virtuelles, ou avant l’expiration de cette période, dès que « les consignes de la santé publique le permettront » [5]. Il semble donc que les rencontres virtuelles ne soient que le remplacement temporaire des rencontres en personne puisque ces dernières seront mises en place dès qu’il sera possible de se rassembler entre familles résidant à des adresses différentes.
Conclusion
La Cour supérieure dans cette affaire a réussi à conjuguer les besoins de X à voir ses grands-parents paternels en vertu des articles 33 et 611 C.c.Q. avec les difficultés qu’engendre la Covid-19. Des droits d’accès virtuels remplaceront temporairement les droits d’accès présentiels, lesquels auront lieu dès que la situation sanitaire et les règlementations en vigueur au Québec le permettront. N’est-ce pas là une illustration du caractère indiscutable et primordial de l’intérêt supérieur de l’enfant en droit de la famille et au sein du droit québécois?
Le texte intégral de la décision est disponible ici
[1] Les décrets en vigueur au moment du prononcé de la décision en date du 13 octobre 2020 : Décret no 6 visant la réduction du risque d’exposition à la COVID-19 au Canada (Obligation de s’isoler), CP 2020-797, 07 octobre 2020 (Fédéral); Décret 1023-2020 concernant le renouvellement de l’état d’urgence sanitaire conformément à l’article 119 de la Loi sur la santé publique, 7 octobre 2020 (Provincial)
[2] Droit de la famille – 201461, 2020 QCCS 3199, par. 34.
[3] Droit de la famille – 172486, 2017 QCCA 1637, par. 13.
[4] Droit de la Famille – 16272, 2016 QCCS 486, par. 31.
[5] Droit de la famille – 201461, 2020 QCCS 3199, par. 68.
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