Un chien d’assistance à l’origine d’une condamnation de 14 000 $ pour le locateur
Par Sophie Estienne, avocate et Marc-Antoine Aubertin, étudiant à l’Université de Montréal
Le refus de louer un appartement en raison d’un chien d’assistance est discriminatoire en vertu de la Charte des droits et libertés de la personne[1]. C’est ce que rappelle le Tribunal des droits de la personne dans Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (D.R. et autres) c. Ducharme, 2020 QCTDP 16.
Contexte
Les plaignants sont les parents d’un jeune adulte vivant avec un trouble envahissant du développement avec traits autistiques. Afin de pallier son handicap, il a recours à un chien d’assistance de la fondation Mira. En avril 2016, les plaignants sont à la recherche d’un logement à louer. C’est dans ce contexte qu’ils visitent, le 3 avril 2016, des appartements en présence du défendeur, M. Ducharme, propriétaire desdits appartements. Intéressés par l’un d’eux, ils en informent M. Ducharme, qui leur propose de se rendre à leur domicile afin de remplir les documents nécessaires. C’est à ce moment-là que le défendeur apprend l’existence du chien d’assistance et du handicap du fils des plaignants. Après discussions, M. Ducharme quitte le logement en leur indiquant qu’il allait leur revenir quant à sa décision. Le lendemain, M. Ducharme fait part de son refus par courriel.
C’est à la suite de ce refus que la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (ci-après « CDPDJ »), agissant dans l’intérêt public et en faveur des victimes[2], entreprend un recours en dommages-intérêts à l’endroit du locateur. La CDPDJ allègue que M. Ducharme, en refusant la location de l’appartement aux plaignants en raison de la présence du chien d’assistance, a ainsi compromis leur droit à la reconnaissance et à l’exercice, en pleine égalité, de leur droit de conclure un acte juridique ayant pour objet des biens ou des services ordinairement offerts au public, ainsi que leur droit à la sauvegarde de leur dignité, sans distinction ou exclusion fondée sur le moyen pour pallier le handicap ou sur l’état civil, en violation des articles 4, 10 et 12 de la Charte. De son côté, le locateur allègue que son refus est lié au manque de transparence des plaignants, au fait qu’il s’était déjà engagé dans un bail avec un autre contractant et, subsidiairement, à la crainte que le chien cause des dommages au plancher.
Décision
Le Tribunal débute son analyse en rappelant que le logement « est un bien ou un service de nature spéciale en ce qu’il réfère à un besoin vital [qui se retrouve au cœur de la reconnaissance de la dignité de la personne] et que chacune des composantes du droit au logement doit s’exercer de manière non discriminatoire[3] ».
Par ailleurs, il est rappelé que le droit à l’égalité prévu à l’article 10 de la Charte n’est pas un droit autonome, mais plutôt une modalité d’exercice des autres droits protégés. En l’espèce, ce droit à l’égalité est rattaché à l’article 12 de la Charte qui interdit la discrimination dans la conclusion d’un acte juridique ayant pour objet un bien ou un service ordinairement offert au public, ce qui inclut un bail de logement. Ainsi, la location d’un logement ne peut être refusée pour un des motifs interdits de discrimination énoncés à l’article 10 de la Charte, notamment en raison de l’utilisation d’un moyen pour pallier un handicap ou l’état civil, tel qu’allégué en l’espèce.
Afin de prouver qu’il y a eu discrimination, la CDPDJ doit, en vertu de l’article 10 de la Charte, établir trois éléments par preuve prépondérante[4] :
1. une « distinction, exclusion ou préférence[5] » ;
2. fondée sur l’un des motifs énumérés à l’article 10 ; et
3. qui a pour effet de « détruire ou de compromettre le droit à la pleine égalité dans la reconnaissance et l’exercice d’un droit ou d’une liberté de la personne[6] ».
Si ces trois éléments sont établis, il y a alors discrimination prima facie. De surcroît, le motif de discrimination n’a pas à être le seul facteur ayant mené à la situation discriminatoire[7].
Pour se défendre, M. Ducharme pourra présenter soit des éléments de preuve réfutant l’allégation, soit une défense la justifiant, ou les deux[8]. Concernant la défense de justification, il aura à démontrer que son refus se justifie malgré le fait qu’il soit préjudiciable envers les victimes[9]. Pour ce faire, il devra prouver que sa décision est liée de façon rationnelle à la poursuite d’objectifs légitimes et qu’elle est raisonnablement nécessaire à l’atteinte de ses objectifs parce qu’il lui est impossible de composer avec les personnes qui présentent une caractéristique énumérée à l’article 10 de la Charte, sans subir une contrainte excessive[10].
Le premier critère est rapidement considéré par le Tribunal comment étant prouvé. Puisque M. Ducharme a refusé de conclure un bail avec les plaignants, il y a eu « distinction, exclusion ou préférence[11] ». Pour ce qui est du deuxième critère, celui du refus basé sur l’utilisation d’un moyen pour pallier un handicap, le Tribunal tranche en faveur des plaignants. Selon lui, il découle des propos du défendeur que la présence du chien d’assistance a largement contribué à sa décision. Ainsi, étant donné que le motif prohibé de discrimination doit seulement être un facteur ayant mené à la décision, le deuxième critère est également rempli. Finalement, le Tribunal doit déterminer si la distinction faite par M. Ducharme a eu pour effet de détruire ou de compromettre le droit à la pleine égalité dans l’exercice d’un droit des victimes. Le Tribunal rejette l’argument de M. Ducharme selon lequel il avait promis le logement à quelqu’un d’autre. Pour reprendre les motifs du Tribunal :
[82] […] Que ce soit à leur égard ou envers toute autre personne, M. Ducharme ne pouvait écarter une candidature de réserve en raison de la présence d’un chien d’assistance pour pallier un handicap ni, par hypothèse, de la couleur de la peau, de l’orientation sexuelle ou de tout autre motif prohibé énoncé à l’article 10 de la Charte.
[83] En l’occurrence, leur droit à l’égalité dans l’exercice du droit de conclure un acte juridique est compromis par le refus de M. Ducharme de leur louer le logement qu’ils convoitaient. En écartant la candidature de cette famille en tant que locataire d’un logement qu’il offrait au public, en raison de la présence du chien d’assistance, il a clairement refusé « de conclure un acte juridique ayant pour objet des biens ou des services ordinairement offerts au public », à l’encontre de l’article 12 de la Charte.
En l’espèce, le droit à l’égalité a été violé au moment où M. Ducharme a refusé le logement à cause, en partie ou totalement, du chien d’assistance.
À cette étape, il est toujours possible pour M. Ducharme de se défendre en justifiant la rationalité de sa décision. Le Tribunal indique toutefois que le souci de maintenir l’état actuel des planchers du logement n’est pas un motif lié de façon rationnelle à la poursuite d’objectifs légitimes. Le Tribunal continue en indiquant que M. Ducharme a failli à son obligation d’accommodement raisonnable en ne proposant pas aux plaignants d’assumer eux-mêmes les dommages potentiels.
Le Tribunal conclut que M. Ducharme a porté atteinte au droit des plaignants de conclure un bail de logement, sans discrimination fondée sur le moyen de pallier le handicap de leur fils, lui-même victime de discrimination, en violation des articles 10 et 12 de la Charte. En effet, les parents ont été victimes de discrimination sur la base de leur état civil en tant que parents de l’enfant discriminé. De plus, bien que leur fils n’aurait pas été une partie contractante au bail, le logement convoité était tout autant pour son bénéfice que pour celui de ses parents. Finalement, le Tribunal arrive à la conclusion que les victimes ont subi une atteinte discriminatoire à leur droit à la sauvegarde de leur dignité, en violation de l’article 4 de la Charte.
En conséquence, le Tribunal ordonne à M. Ducharme de verser aux plaignants 720 $ chacun en compensation des coûts excédentaires liés au bail du logement de remplacement ainsi que 4 000 $ chacun à titre de dommages moraux. Il condamne aussi le défendeur à verser au père, en sa qualité de curateur à la personne et aux biens de son fils, 3 500 $ à titre de dommages moraux. Enfin, le défendeur est condamné à payer 1 000 $, répartis entre chacune des trois victimes, à titre de dommages punitifs.
Conclusion
Le Tribunal des droits de la personne profite de cette décision pour rappeler aux locateurs qu’il est interdit de refuser de louer un logement sur la base de l’utilisation d’un moyen pour pallier un handicap, comme un chien d’assistance, même si ce n’est pas l’unique motif qui pousse au refus. Il est prudent d’assumer que ce rappel ne sera pas de trop dans le contexte de la pandémie actuelle, où beaucoup de familles ont plus de difficultés à se trouver un logement[12].
Le texte intégral de la décision est disponible ici.
[1] Charte des droits et libertés de la personne, RLRQ, c. C-12 (ci-après « Charte »).
[2] Dans le présent écrit le terme « victimes » réfère aux parents et à leur fils et le terme « plaignants » réfère aux seuls parents.
[3] Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (D.R. et autres) c. Ducharme, 2020 QCTDP 16, par. 44.
[4] Québec (Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse) c. Bombardier Inc. (Bombardier Aéronautique Centre de formation), 2015 CSC 39, par. 56.
[5] Id., par. 20.
[6] Id.
[7] Id., par. 52.
[8] Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (D.R. et autres) c. Ducharme, 2020 QCTDP 16, par. 53.
[9] El Harrad c. Azizi, 2019 QCTDP 27.
[10] Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (D.R. et autres) c. Ducharme, 2020 QCTDP 16, par. 54.
[11] Id., par. 61.
[12] Morgan LOWRIE, « La COVID-19 complique les déménagements », La Presse, 1er juillet 2020, en ligne : <https://www.lapresse.ca/actualites/2020-07-01/la-covid-19-complique-les-demenagements.php>.
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