La Loi sur la confiscation civile et sa jurisprudence
Par Johannie Mongeau, avocate
Vous êtes-vous déjà questionnés de ce qu’il advenait des biens saisis dans le cadre d’une enquête criminelle? Une partie de la réponse se trouve dans la Loi sur la confiscation, l’administration et l’affectation des produits et instruments d’activités illégales[1]. Cette loi a notamment pour but de permettre la confiscation civile de biens situés au Québec et provenant d’activités illégales ou utilisés dans l’exercice de telles activités.
Dans cet article, nous ferons un survol des dispositions de cette Loi et analyserons les décisions essentielles rendues en matière de confiscation civile, à savoir : Chatterjee c. Ontario (Procureur général), 2009 CSC 19 et Québec (Procureur général) c. Pham, 2013 QCCS 4696.
La Loi est entrée en vigueur le 1er août 2008, ce qui fait d’elle une loi encore peu connue à ce jour. Elle est constituée de seulement 35 articles, tous aussi intéressants les uns que les autres.
Cette Loi est particulière en ce qu’elle vise toutes les activités illégales prévues au Code criminel, à la Loi réglementant certaines drogues et autres substances, à la Loi sur le cannabis et dans une série de lois du Québec et du Canada énumérées à son Annexe 1 [2], mais est régie par les règles de preuve et de procédure civiles.
C’est le procureur général qui détient l’intérêt légal pour agir devant les tribunaux de juridiction civile pour demander que soit confisqué, en faveur de l’État, un bien provenant d’activités illégales ou qui a été utilisé dans l’exercice de telles activités[3] et ce, sans qu’il ne soit nécessaire que le propriétaire du bien soit reconnu coupable de l’activité criminelle en soi.
Il est intéressant de constater que le bien qui a fait l’objet d’améliorations payées avec des produits d’activités illégales est lui-même un produit d’activités illégales. Il en est de même du bien qui, pour son acquisition, a fait l’objet d’une dette dont une partie a été payée avec des produits d’activités illégales[4].
Il existe également une présomption légale dans cette Loi qui prévoit que lorsqu’une disproportion marquée existe entre les revenus légitimes du défendeur et son patrimoine, son train de vie ou l’un et l’autre, les biens visés par la demande sont présumés être des produits d’activités illégales dès lors que la preuve démontre que ce dernier:
- participe fréquemment à des activités illégales qui sont de nature à lui procurer un avantage économique;
- participe aux activités illégales d’une organisation criminelle au sens du Code criminel;
- agit en association avec une telle organisation;
- est une personne morale dont l’un des administrateurs ou dirigeants participe aux activités illégales d’une organisation criminelle au sens du Code criminel;
- est une personne morale dans laquelle une personne qui participe à de telles activités détient une participation importante[5].
Une fois confisqués, les biens devenus la propriété de l’État sont administrés par le procureur général[6]. Le produit de l’aliénation des biens confisqués est versé au fonds consolidé du revenu[7] et peut être partagé entre différents ministères ou organismes, tels que notamment:
- Fonds d’aide aux victimes d’actes criminels;
- Organismes municipaux ou communautés autochtones;
- Organismes communautaires dont l’objet principal est la prévention d’activités illégales, notamment auprès de la jeunesse;
- Ministère de la Sécurité publique ou le Commissaire à la lutte contre la corruption;
- Ministère de la Justice[8].
C’est ainsi que les personnes qui, à quelque titre que ce soit, sont titulaires de droits sur des biens provenant d’activités illégales ou utilisés dans l’exercice de telles activités ou se servent de ces biens ne puissent, sous réserve de leur bonne foi, en conserver le bénéfice[9].
Le texte intégral de la loi est disponible ici.
Chatterjee c. Ontario (Procureur général), 2009 CSC 19.
Cet arrêt de la Cour suprême du Canada est venu confirmer que la Loi de 2001 sur les recours pour crime organisé et autres activités illégales (l’équivalent en Ontario de notre Loi sur la confiscation, l’administration et l’affectation des produits et instruments d’activités illégales) est une loi provinciale valide.
En effet, l’appelant contestait la validité de cette loi en prétendant que ses dispositions outrepassaient les pouvoirs de la province, empiétant sur les pouvoirs réservés au fédéral en matière de droit criminel.
Voici un extrait intéressant :
[2] L’argument suivant lequel la LRC est ultra vires repose en l’espèce sur une conception exagérée de l’exclusivité de la compétence fédérale relative à des matières qui peuvent, sous un autre aspect, être visées par la législation provinciale. Dans les arrêts Banque canadienne de l’Ouest c. Alberta, 2007 CSC 22, [2007] 2 R.C.S. 3, et Colombie‑Britannique (Procureur général) c. Lafarge Canada Inc., 2007 CSC 23, [2007] 2 R.C.S. 86, notre Cour a découragé le recours au concept fédéraliste de la prolifération des enclaves en matière de compétence (ou de « l’exclusivité des compétences »), et il ne faudrait pas maintenant lui donner un nouveau souffle. Comme notre Cour l’a dit dans Banque canadienne de l’Ouest, « les tribunaux privilégient, dans la mesure du possible, l’application régulière des lois édictées par les deux ordres de gouvernement » (par. 37 (en italique dans l’original)).
[3] Le présent pourvoi nous donne l’occasion d’appliquer les principes du fédéralisme affirmés dans ces décisions récentes. L’adoption de la LRC visait à dissuader la commission de crimes et à indemniser les victimes d’actes criminels. Le premier objet de cette loi est suffisamment large pour permettre au gouvernement fédéral (en ce qui a trait au droit criminel) et aux gouvernements provinciaux (pour ce qui est de la propriété et des droits civils) de le poursuivre légitimement. Le deuxième objet est directement visé par la sphère de compétence provinciale. Les crimes coûtent très cher aux gouvernements provinciaux. Ces coûts ont une incidence sur de nombreux intérêts provinciaux, dont la santé, les ressources policières, la stabilité des collectivités et l’aide sociale aux familles. Ce serait faire fi des réalités d’aujourd’hui que de conclure que les provinces doivent assumer les coûts sociaux du comportement criminel, mais qu’elles ne peuvent pas recourir à des moyens dissuasifs pour enrayer la criminalité.
[4] De plus, la LRC lutte contre le crime en autorisant la confiscation in rem du produit de la criminalité, une approche différente du droit criminel traditionnel qui prévoit généralement une interdiction assortie d’une peine (voir Renvoi relatif à la Loi sur les armes à feu (Can.), 2000 CSC 31, [2000] 1 R.C.S. 783) et de la procédure en matière criminelle qui porte, de façon générale, sur les moyens de prouver une infraction particulière alléguée à l’égard d’un contrevenant en particulier. L’appelant répond toutefois à cela que le recours in rem de la LRC a pour effet d’ajouter aux peines que prévoit le processus pénal et qu’en ce sens, la LRC empiète illégitimement sur le régime de détermination de la peine établi par le législateur fédéral. S’il est vrai que la confiscation peut de fait avoir des effets punitifs dans certains cas, ses principaux objets sont de faire en sorte que la criminalité en général ne soit pas une activité profitable, de saisir des ressources associées à la criminalité afin qu’elles ne puissent pas servir à financer d’autres crimes et d’aider à indemniser des particuliers et des institutions publiques qui doivent supporter les coûts de la criminalité. Il s’agit là d’objectifs provinciaux légitimes. Il n’y a pas de conflit d’application entre les dispositions du Code criminel, L.R.C. 1985, ch. C‑46, relatives à la confiscation et celles de la LRC. On ne peut raisonnablement affirmer que la LRC équivaut à une loi criminelle déguisée. Par conséquent, je suis d’avis de rejeter le pourvoi.
Le texte intégral de la décision est disponible ici.
Québec (Procureur général) c. Pham, 2013 QCCS 4696.
Jusqu’à ce jour, cette décision de la Cour supérieure est la seule qui a été rendue au fond en matière de confiscation civile.
Les faits sont forts simples. En juin 2010, la défenderesse se rend dans un restaurant Tim Hortons pour y prendre son café avec des collègues de travail. Elle quitte le restaurant en oubliant son sac à main sous la table. Un employé du restaurant, en voulant trouver une pièce d’identité pour remettre le sac à son propriétaire, constate que ce dernier contient une quantité importante de billets d’argent et communique avec le service de police de la région. Le sac à main contenait 123 342$.
La défenderesse explique que cet argent provient de gains faits au casino. Or, les policiers soupçonnent que l’argent provient plutôt d’activités criminelles puisque les revenus et le train de vie de cette dernière et son ex-mari ne concordent pas avec les sommes trouvées. En outre, la preuve révèle que l’ex-mari de la défenderesse est impliqué dans des activités de trafic de stupéfiants.
Le juge Michel Yergeau commente ainsi la Loi :
[13] Si le moyen imaginé par le législateur est novateur, le recours n’est pourtant rien d’autre qu’un recours de droit civil régi par les règles de preuve qui prévalent en pareil cas. Ce type d’action ne peut être qualifié d’exceptionnel du seul fait qu’il est encore peu fréquent.
[14] Pour parvenir à ses objectifs, la loi s’intéresse aux biens en eux-mêmes, sans nécessité d’une condamnation criminelle de son propriétaire[7]. Tous les types de biens sont visés, l’argent comptant, les biens meubles ou les immeubles.
[15] La mise en vigueur de la LCC se fait donc par une action en justice devant la cour civile compétente en fonction de la valeur totale des biens dont le Procureur général recherche la confiscation. Il s’ensuit un procès civil où le Procureur général doit établir, selon la règle de la prépondérance de la preuve, que le bien visé provient en tout ou en partie, directement ou indirectement, d’activités illégales ou qu’il a été utilisé dans l’exercice de telles activités[8].
[16] De ce qui précède, le Tribunal retient les éléments suivants qu’il estime pertinents au présent dossier :
i ) la LCC s’attache aux biens, non aux personnes;
ii ) les biens doivent provenir d’activités illégales ou avoir été utilisés dans l’exercice de telles activités;
iii ) le lien entre les biens et les activités illégales peut être indirect;
iv ) le recours fondé sur la LCC est indépendant de tout recours au criminel et il est sans importance que le défendeur ait fait ou non l’objet d’une poursuite au criminel;
v ) les activités criminelles visées par la LCC se retrouvent dans le Code criminel[9], dans la Loi réglementant certaines drogues et autres substances[10] et dans une série de lois du Québec et du Canada énumérées à son Annexe 1 («activités illégales»);
vi ) le recours est un recours civil;
vii ) le niveau de preuve est celui de la prépondérance et non celui de la preuve hors de tout doute raisonnable;
viii )à défaut de preuve directe ou d’aveu, le Tribunal peut se fonder sur des présomptions de fait précises, graves et concordantes, un des moyens de preuve prévus au Code civil (article 2849 C.c.Q.);
ix ) la présomption de propriété née de la possession cède le pas à une preuve prépondérante qui rattache le bien, en tout ou en partie et même indirectement, à une activité illégale ou à l’exercice d’une activité illégale;
x ) une fois prouvé que le bien provient d’activités illégales, le défendeur est admis à prouver sa bonne foi.
Au final, le juge en vient à la conclusion suivante :
[141] Le Tribunal en vient donc à la conclusion que le Procureur général a assumé le fardeau d’établir par prépondérance de preuve que la somme de 123 342 $ provient en tout ou en partie d’activités liées au commerce du cannabis. La preuve est concluante et ne permet pas de tirer d’autres conclusions à moins de vouloir se fermer les yeux. La défenderesse de son côté s’est enferrée dans des explications farcies d’invraisemblances avant de choisir de ne pas témoigner ou de ne pas faire témoigner certaines personnes de son entourage qui auraient pu donner un semblant de crédibilité à certaines parties de son récit.
[…]
[166] Mme Pham a beau plaidé que, malgré l’arrêt de la Cour suprême dans l’affaire Chatterjee déjà citée[39], la LCC crée un régime d’exception qui se situe à la marge du droit criminel, le Tribunal n’en demeure pas moins lié par le dernier alinéa de l’article 4 de celle-ci qui veut que la preuve est régie par les règles applicables en matière civile.
[167] Exiger du Procureur général qu’il administre une preuve allant au-delà de ce qui est attendu devant un tribunal civil ou durcir la règle de droit de la prépondérance de preuve parce qu’on se trouverait dans une zone contigüe au droit criminel irait à l’encontre de ce que le législateur a écrit et qui n’appelle pas d’interprétation.
[168] Bref, le Tribunal est convaincu que la somme de 123 342 $ retrouvée dans le sac à main de la défenderesse le 23 juin 2010 est le produit d’activités illégales.
Le texte intégral de la décision est disponible ici
[1] Loi sur la confiscation, l’administration et l’affectation des produits et instruments d’activités illégales, RLRQ c C-52.2.
[2] Art. 2 LCC
[3] Art. 4 LCC
[4] Art. 5 LCC
[5] Art. 11 LCC
[6] Art. 16 LCC
[7] Art. 20 LCC
[8] Art. 25 LCC
[9] Art. 1 LCC
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