Profilage racial à Gatineau : le Tribunal des droits de la personne condamne la Ville et ses policiers à 18 000 $ en dommages-intérêts
Par Sophie Estienne, avocate et Marc-Antoine Aubertin, étudiant à l’Université de Montréal
Depuis quelques années, le profilage racial est un enjeu qui retient l’attention au Québec. En effet, selon le rapport d’activités et de gestion de 2019-2020 de la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (« Commission ») le nombre de plaintes reçues pour ce motif a augmenté de manière significative ces dernières années[1]. Après une première décision significative en novembre dernier[2] sanctionnant le profilage racial, le Tribunal des droits de la personne (« Tribunal ») réaffirme sa volonté de lutter contre ce phénomène croissant dans Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (Nyembwe) c. Ville de Gatineau[3].
I – Contexte
Le 27 décembre 2013, à 17h09, le service de police de la Ville de Gatineau (« SPVG ») reçoit l’appel d’une victime de violence conjugale. Le suspect décrit est un homme noir mesurant 6’ 1”, aux cheveux longs, noirs et attachés, vêtu d’un manteau noir, d’un pantalon gris et armé d’un couteau. Quelques minutes plus tard, alors qu’il sort d’un dépanneur, M. Nyembwe, un homme noir, est interpellé par le sergent Bélanger. Ce dernier lui demande s’il a une arme, ce à quoi M. Nyembwe répond par la négative. Le policier effectue alors une fouille sommaire sur M. Nyembwe. Tout au long de l’intervention, le sergent Bélanger refuse de préciser à M. Nyembwe les raisons de cette interpellation, tout en lui demandant régulièrement de se taire. Finalement, M. Nyembwe remet une pièce d’identité au sergent Bélanger.
À l’arrivée sur les lieux de l’agent de police Bruneau, M. Nyembwe est menotté avec emploi de la force et mis en état d’arrestation par les deux policiers. Ces derniers le poussent contre la voiture de patrouille et procèdent à une deuxième fouille, durant laquelle ils s’emparent du portefeuille de M. Nyembwe. Après avoir constaté que M. Nyembwe n’était pas le suspect recherché, les policiers le libèrent vers 17h30. Avant de quitter les lieux, ils lui remettent un constat d’infraction pour avoir troublé la paix. M. Nyembwe refuse et jette le papier dans le véhicule de police. L’agent Bélanger lui indique alors qu’il pourrait aussi recevoir une contravention pour avoir jeté le document sur le domaine public. M. Nyembwe quitte les lieux et reçoit, quelques jours plus tard, une contravention pour avoir troublé la paix – dont il sera acquitté en octobre 2014. Finalement, la municipalité lui confirme qu’il ne recevra jamais de contravention pour avoir jeté de déchets sur le domaine public.
Ce n’est que dans le cadre de la préparation du procès relatif à l’infraction d’avoir troublé la paix que M. Nyembwe apprend, non sans surprise, la raison de son interpellation. En effet, même s’il partage certaines caractéristiques avec le suspect, comme le fait d’être grand et noir, il ne portait ni manteau noir ni pantalon gris, mais plutôt un manteau tricoté à rayures noires et grises avec capuchon, sur un jeans bleu délavé. De plus, contrairement au suspect, M. Nyembwe a les cheveux rasés, même si ceux-ci étaient couverts par le capuchon au début de l’intervention policière. Dans la plainte qu’il se décide à porter auprès du commissaire à la déontologie policière quatre jours plus tard, il indique que les deux policiers lui ont manqué de respect et qu’ils ont utilisé une force plus grande que nécessaire. Il ajoute que le sergent Bélanger a agi en fonction de sa couleur de peau et qu’il l’a fouillé par palpation en contravention du Code de déontologie des policiers du Québec[4]. Cette plainte est rejetée par le commissaire après le refus des policiers de participer à l’enquête.
À la suite des événements, M. Nyembwe se sent profondément humilié et se questionne beaucoup sur le déroulement de l’interpellation qui, selon lui, aurait pu finir de façon plus dramatique. Par la suite, M. Nyembwe développe un sentiment d’infériorité, souffre de troubles de sommeil et se demande pourquoi les policiers ont décidé « de faire durer le supplice, malgré les indices qui leur permettaient de comprendre qu’ils détenaient la mauvaise personne »[5].
La Commission, agissant pour le compte de M. Nyembwe et dans l’intérêt public, allègue que ce dernier a été victime de profilage racial. Elle prétend que les policiers mis en cause ont exercé du profilage discriminatoire en interpellant et interceptant M. Nyembwe à cause de sa couleur et de sa race, et d’avoir ainsi porté atteinte de manière discriminatoire à son droit à la sauvegarde de sa dignité, son droit à la sûreté, à l’intégrité, et à la liberté de sa personne, de même qu’à son droit de ne pas faire l’objet de fouilles abusives, en contravention des articles 1, 4, 10 et 24.1 de la Charte des droits et libertés de la personne[6]. La Commission demande donc réparation sous forme de dommages moraux et punitifs en plus de demander à la Ville d’améliorer leurs systèmes de prévention et de formation du profilage racial. De leur côté, les défendeurs soutiennent que l’intervention a été effectuée dans le respect, sans égard pour la race ou pour la couleur de M. Nyembwe, les policiers ayant comme seul objectif d’arrêter un individu armé et recherché. Ils demandent également au Tribunal de rejeter le recours en raison du délai de 56 mois écoulés entre le dépôt de la plainte à la Commission et l’introduction de la demande en justice, alléguant que ce délai est abusif et déconsidère l’administration de la justice.
II – Décision
Avant de trancher sur le litige, le Tribunal doit répondre à quatre questions :
- Y a-t-il lieu d’ordonner le rejet du rapport de Mme Anne-Marie Livingstone (docteure en sociologie et présentée à titre d’experte par la Commission) ?
- Les délais écoulés entre le dépôt de la plainte et l’institution du recours sont-ils abusifs au point d’en justifier le rejet ?
- M. Nyembwe a-t-il été victime de profilage racial le 27 décembre 2013 lors de l’intervention des policiers Bélanger et Bruneau ?
- Dans l’affirmative à la dernière question,
a) M. Nyembwe a-t-il droit aux montants réclamés en sa faveur à titre de dommages moraux et punitifs ?
b) Les ordonnances recherchées contre la Ville sont-elles appropriées ?
A – Le rapport de Mme Anne-Marie Livingstone
La Commission produit le rapport d’Anne-Marie Livingstone, docteure en sociologie et codirectrice de l’équipe de recherche #MtlSansProfilage, à titre d’expertise afin de soutenir son recours, comme le permettent les articles 293 du Code de procédure civile[7] et 37 du Règlement du Tribunal des droits de la personne[8]. Les défendeurs s’opposent à l’introduction du rapport d’expertise d’Anne-Marie Livingstone, considérant que celui-ci ne traite pas du phénomène associé à l’expression « correspondre à la description » (ANWD en anglais), comme cela avait été initialement annoncé, et ne prend pas en compte la preuve et les faits relatifs au litige comme le demande l’article 231 C.p.c. À cause de cela, le texte de Mme Livingstone n’est pas, selon eux, une expertise nécessaire à la solution du litige.
Le Tribunal n’est pas d’accord. En effet, selon lui, le rapport répond aux critères de nécessité et de pertinence de l’article 231 C.p.c., même s’il ne peut établir par lui seul un lien entre la façon dont les policiers ont traité M. Nyembwe et sa couleur de peau. De son propre aveu, le Tribunal n’est pas un expert en sociologie et n’a pas pour rôle « de mener des enquêtes pour obtenir et interpréter des statistiques »[9]. Ainsi, avoir un rapport qui traite des principaux stéréotypes associés aux hommes noirs au Québec, des observations scientifiques relatives au profilage racial et du profilage racial en général au Québec, est pertinent au litige en question. De plus, il est rare qu’une preuve de profilage racial puisse se faire de façon directe. Avoir sous la main un rapport qui traite du phénomène facilite grandement le travail du Tribunal. Finalement, le Tribunal rappelle que la preuve relative au contexte social est extrêmement importante dans les litiges portant sur la Charte puisqu’elle permet au Tribunal d’analyser la situation de façon adéquate et suffisante[10]. Le Tribunal rejette donc l’objection formulée par les défendeurs et admet le rapport de Mme Livingstone à titre d’expertise.
B – Délais écoulés entre le dépôt de la plainte et l’institution du recours
Selon les défendeurs, le délai de 56 mois écoulés entre le dépôt de la plainte à la Commission et le dépôt de la demande introductive d’instance ainsi que le délai de 28 mois écoulés entre la communication de l’exposé factuel et la signature de la résolution portant sur les mesures de redressement demandées par la Commission sont abusifs et déconsidèrent l’administration de la justice. En effet, selon les défendeurs, le délai est préjudiciable en lui-même et excessif au point de heurter le sens de la justice et leur droit à une défense pleine et entière, notamment à cause des conséquences de l’écoulement du temps sur la mémoire des témoins. Finalement, les policiers Bélanger et Bruneau indiquent que, depuis 2014, les allégations de profilage racial nuisent à leurs réputations.
Pour sa défense, la Commission invoque la « complexité inhérente des dossiers de profilage racial avec mesure systémique […] l’augmentation du nombre de plaintes qu’elle reçoit et son sous-financement pour traiter les dossiers[11] ».
Sans citer le test de l’arrêt Blencoe[12] à proprement parler, le Tribunal s’y fie afin de juger si le délai de traitement de la plainte de discrimination est excessif. Selon le test de cet arrêt, pour qu’il soit considéré comme excessif, un délai doit causer un préjudice important aux défendeurs « au point de déconsidérer le régime de protection des droits de la personne et de heurter ainsi le sens de l’équité de la collectivité »[13].
Le Tribunal arrive à la conclusion que les défendeurs n’ont pas démontré avoir subi un préjudice important à cause du délai. La mémoire ainsi que le bien-être de M. Nyembwe ont été tout autant affectés que ceux des policiers par l’écoulement du temps. De plus, le Tribunal rappelle que les défendeurs auraient pu coucher les faits sur papier, compte tenu du fait qu’ils avaient été avertis par M. Nyembwe du dépôt d’une plainte. Ils ont eu, par ailleurs, de nombreuses occasions de retranscrire les événements par écrit, notamment dans le constat de l’infraction du 27 décembre 2013 ou lors de la plainte initiale auprès du Comité de déontologie policière du 31 décembre 2013. De surcroît, cet entêtement à ne rien mettre sur papier renforce la croyance du Tribunal en la nonchalance des défendeurs. À cause de tout cela, le Tribunal rejette l’argument des défendeurs et considère plutôt que c’est leur manque de considération à l’égard de l’affaire qui les empêche de se remémorer les faits avec exactitude. De plus, le rejet du recours nierait à toutes fins pratiques la reconnaissance des droits de M. Nyembwe et serait contraire à l’intérêt public, compte tenu du problème sérieux qu’est le profilage.
Malgré cela, le Tribunal admet que le délai de 28 mois entre la communication de l’exposé factuel et la signature de la résolution par la Commission est trop long. Celle-ci est incapable de le justifier, ce que le Tribunal qualifie d’inacceptable, nonobstant la complexité des cas de profilage racial. Le Tribunal conclut que la longueur du délai est imputable au dysfonctionnement de la Commission et adjuge, malgré le fait que les défendeurs n’ont subi aucun préjudice important, les frais de justice contre la Commission, peu importe le résultat du recours.
C – Le profilage racial
La Commission accuse les défendeurs, lorsqu’ils ont interpellé, détenu, arrêté et donné une contravention à M. Nyembwe à cause de sa race et de sa couleur de peau, d’avoir exercé du profilage discriminatoire.
Afin d’établir ce profilage, la Commission doit prouver l’existence d’une distinction, exclusion ou préférence fondée sur l’un des motifs énumérés au premier alinéa de l’article 10 de la Charte, ici la race ou la couleur de peau, qui a pour effet de détruire ou compromette le droit à la pleine égalité dans la reconnaissance et l’exercice d’un droit de la personne. Si la Commission prouve que la race ou la couleur de peau a été un des facteurs ayant menés à la décision prise le 27 décembre 2013 par les policiers, ces derniers ont ensuite la possibilité de justifier la décision qu’ils ont prise en invoquant les exceptions prévues par la loi ou la jurisprudence, en l’espèce que leurs actions étaient basées sur des motifs raisonnables et non sur la race ou la couleur de peau.
Le Tribunal rappelle alors qu’il est souvent impossible d’établir le profilage racial par preuve directe, les policiers admettant rarement avoir été influencés par des stéréotypes raciaux, souvent inconscients et appliqués de façon systémique. Le profilage racial demeure le plus souvent étayé par des éléments de preuves circonstancielles et des présomptions de fait.
Le Tribunal souligne qu’il est important de trouver un équilibre entre le pouvoir discrétionnaire des policiers et le respect des libertés individuelles. Ainsi, il est important que le policier qui agit de façon discrétionnaire justifie son action par des décisions fondées sur des soupçons rationnels et des faits à sa connaissance. Ici, le sergent Bélanger devait avoir des motifs raisonnables de croire que M. Nyembwe avait commis une infraction avant de le maintenir immobilisé.
La détention d’un suspect doit également être proportionnée à la gravité des actes dont on le soupçonne et la libération dudit suspect doit survenir dès l’obtention par les policiers des renseignements nécessaires. Enfin, la fouille par palpation ne doit être effectuée qu’à la condition que les policiers aient des motifs raisonnables de croire que leur sécurité ou celle d’autrui est menacée.
En l’espèce, le Tribunal commence son analyse par l’interpellation et la détention de M. Nyembwe. Il reconnaît d’abord le caractère approximatif de la description du suspect fournie aux policiers, ce qui réduisait les chances d’interpeller le bon suspect. Il est toutefois important de ne pas écarter certains éléments de la description. Il serait en effet contraire aux articles 1 et 10 de la Charte d’interpeller tous les hommes noirs de 6’ 1’’ du secteur, de la même façon qu’il le serait pour un homme blanc de 6’ 1’’. La grandeur et la couleur de peau ne sont que deux des caractéristiques données. Le Tribunal considère alors que le comportement des policiers était basé sur les préjugés qu’ils entretenaient à l’égard des hommes noirs et non sur des renseignements fiables, comme la longueur des cheveux ou la description du manteau. Le Tribunal observe donc qu’au moment où le sergent Bélanger décide d’interpeller M. Nyembwe, les seules caractéristiques que celui-ci a en commun avec le suspect sont sa couleur de peau et le port de vêtements foncés. M. Nyembwe ne se dirige pas non plus dans la direction indiquée par la victime. Les policiers présentent les comportements de M. Nyembwe (port d’un capuchon, regard au sol et mains dans les poches) comme suspects, alors qu’il s’agit de comportements largement répandus, surtout en hiver. Selon le Tribunal, les policiers tentent tant bien que mal de transformer les comportements normaux de M. Nyembwe en comportements suspects, renforçant ainsi les présomptions de profilage racial. En conclusion, le Tribunal juge que, lorsque les policiers décident de se baser sur leur intuition et des « comportements suspects » plutôt que de faire enquête avant de détenir M. Nyembwe, les actions de ceux-ci étaient empreintes de profilage racial.
Le Tribunal est ensuite amené à déterminer si M. Nyembwe s’est identifié ou non. Selon M. Nyembwe, le sergent Bélanger le fouille avant même de l’identifier. Ce dernier affirme plutôt avoir demandé à M. Nyembwe de s’identifier et de sortir les mains de ses poches avant de procéder à une fouille sommaire. Le sergent Bélanger indique que M. Nyembwe a vivement refusé, avant de commencer à s’agiter. Le Tribunal refuse d’accorder de la crédibilité à ce témoignage. En effet, il aurait été dangereux et illogique qu’un policier procède à une fouille sommaire sur un suspect agressif potentiellement armé. Le Tribunal rappelle qu’une personne peut refuser de s’identifier tant qu’elle n’a pas été informée de l’infraction qu’on lui reproche, ce que le sergent Bélanger n’aurait pas fait. Ainsi, il n’est pas important de savoir si M. Nyembwe s’est identifié ou non puisqu’il n’y était pas tenu. Il sera par la suite établi que M. Nyembwe a bel et bien donné sa pièce d’identité au policier ; ce dernier pouvait donc l’identifier et comprendre qu’il n’était pas le suspect. Toute vérification faite par la suite alors que M. Nyembwe était détenu relevait d’un traitement discriminatoire contre celui-ci en raison de sa couleur de peau.
Par la suite, le Tribunal analyse l’arrestation dont M. Nyembwe a été victime. Selon les policiers, M. Nyembwe a été arrêté pour avoir troublé l’ordre public alors qu’il s’agitait et criait. Ils indiquent ensuite que M. Nyembwe ne résiste pas à l’arrestation, en contradiction avec leur propre témoignage. À cause de cela, le Tribunal rejette l’explication des policiers et indique plutôt que celui-ci a été arrêté sans motif raisonnable. Après avoir arrêté M. Nyembwe, les policiers procèdent à une deuxième fouille, que le Tribunal considère aussi comme non justifiée et abusive puisque M. Nyembwe avait déjà été identifié et n’était pas le suspect. Le Tribunal considère finalement que ces deux abus de pouvoir constituent un traitement discriminatoire envers M. Nyembwe.
Ensuite, le Tribunal se prononce sur l’émission du constat pour avoir troublé la paix afin de savoir s’il s’agit d’un indice de profilage racial. Le Tribunal soulève d’abord que la législation visant à préserver l’ordre public n’empêche pas une personne qui se sait innocente de manifester son mécontentement et hausser la voix lorsqu’elle est détenue, fouillée et arrêtée sans motif raisonnable. Ce sentiment est renforcé lorsqu’il s’agit d’une personne racisée, davantage consciente des risques associés aux interventions policières. L’intensité et la longueur de l’intervention à l’encontre de M. Nyembwe, malgré son innocence établie, ne font qu’accroître son sentiment d’humiliation. Il est alors en droit de faire valoir ses droits garantis par la Charte. Les policiers ont utilisé la réglementation municipale mise à leur disposition afin de justifier une interpellation illégale et non motivée, ce qui « dénote un manque de respect flagrant des droits de [la] personne »[14] et ne fait que participer au phénomène du profilage racial, selon le Tribunal.
Finalement, le Tribunal résume l’atteinte aux différents droits de M. Nyembwe comme suit :
Le traitement différencié dont M. Nyembwe a ainsi été la cible de la part des policiers dans l’exercice de leurs fonctions pour un motif interdit par la Charte, constitue un traitement préjudiciable dans l’exercice de ses droits à la sauvegarde de sa dignité, à la sûreté, à l’intégrité, à la liberté de sa personne, et de ne pas faire l’objet de fouilles abusives, en violation des articles 1, 4, 10 et 24.1 de la Charte.
D – Les réparations recherchées
Le Tribunal condamne la Ville de Gatineau et les deux policiers à verser 15 000 $ à titre de dommages moraux à M. Nyembwe pour le préjudice qu’il a subi. En effet, celui-ci s’est senti humilié et dégradé par le comportement des policiers en plus de vivre dans un questionnement permanent depuis l’événement. À cause du manque d’introspection des policiers par rapport à leurs comportements vis-à-vis de M. Nyembwe, le Tribunal condamne le sergent Bélanger à verser 2 000 $ et l’officier Bruneau à verser 1 000 $ à titre de dommages punitifs à la victime. Le Tribunal refuse toutefois d’exécuter les directives demandées par la Commission envers la Ville de Gatineau, les jugeant trop peu précises et sans garantie de résultats concrets sur le système de formation actuel. Il recommande toutefois à tous les membres du SPVG de consulter le rapport remis au SPVM en 2019 concernant le profilage racial ainsi que de mettre en place une équipe de chercheurs indépendants qui analyse les données portant sur de telles interpellations.
Conclusion
Cette longue décision rappelle que le profilage racial est un phénomène encore trop peu discuté au Québec, bien qu’il demeure répandu, car souvent fondé sur des stéréotypes raciaux ou des biais inconscients. Heureusement, il semble que le Tribunal des droits de la personne n’hésite pas à accorder des dommages-intérêts importants aux victimes de tels actes, comme M. Nyembwe ou encore M. DeBellefeuille, une autre victime de profilage racial qui a obtenu un jugement similaire en novembre 2020[15].
Le texte intégral de la décision est disponible ici.
[1] Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse, « Rapport d’activités et de gestion – 2019/2020 », 2020, p. 22.
[2] Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (DeBellefeuille) c. Ville de Longueuil, 2020 QCTDP 21 ; voir aussi Marc-Antoine AUBERTIN et Sophie ESTIENNE, « Du profilage racial qui coûte cher à la Ville de Longueuil et à ses policiers », Blogue du CRL, en ligne : <https://www.blogueducrl.com/2020/12/du-profilage-racial-qui-coute-cher-la.html>.
[3] Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (Nyembwe) c. Ville de Gatineau, 2021 QCTDP 1.
[4] Code de déontologie des policiers du Québec, RLRQ, c. P-13.1, r. 1.
[5] Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (Nyembwe) c. Ville de Gatineau, 2021 QCTDP 1, par. 55.
[6] Charte des droits et libertés de la personne, RLRQ, c. C-12 (« Charte »).
[7] Code de procédure civile, RLRQ, c. C-25.01 (« C.p.c. »).
[8] Règlement du Tribunal des droits de la personne, RLRQ, c. C-12, r. 6.
[9] Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (Nyembwe) c. Ville de Gatineau, 2021 QCTDP 1, par. 159.
[10] R. c. Le, 2019 CSC 34.
[11] Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (Nyembwe) c. Ville de Gatineau, 2021 QCTDP 1, par. 201.
[12] Blencoe c. Colombie-Britannique (Human Rights Commission), 2000 CSC 44.
[13] Ibid., par. 115.
[14] Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (Nyembwe) c. Ville de Gatineau, 2021 QCTDP 1, par. 480.
[15] Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (DeBellefeuille) c. Ville de Longueuil, 2020 QCTDP 21 ; voir aussi Marc-Antoine AUBERTIN et Sophie ESTIENNE, « Du profilage racial qui coûte cher à la Ville de Longueuil et à ses policiers », Blogue du CRL, en ligne : <https://www.blogueducrl.com/2020/12/du-profilage-racial-qui-coute-cher-la.html>.
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