Servitude de passage : la Cour d’appel précise le critère de l’usage utile
Par Arpiné Danielyan, étudiante à la Faculté de droit de l’Université de Montréal et Carolyne Valois, avocate
Une servitude grevant un lot s’éteint par prescription extinctive en cas de non-usage utile sur une période de 10 ans. Dans l’affaire Hilborn c. De Koven[1], la Cour d’appel se prononce précisément sur le caractère que doit prendre cet usage utile et sur l’étendue d’une servitude octroyant un droit de passage donnant accès à un lac.
Contexte
Une servitude se trouve dans l’acte d’achat de la propriété acquise par l’intimée (De Koven) et confère au lot dominant un droit de passage sur le lot servant (appartenant à l’appelante) afin d’accéder aux eaux du lac Hugues. L’appelante intente un recours afin de faire déclarer éteinte par prescription extinctive la servitude de passage grevant le lot pour cause de non-usage, cela conformément à l’article 1191 C.c.Q. La Cour supérieure rejette la demande dans un jugement rendu le 26 novembre 2018 au motif qu’il y a eu usage utile de la servitude.
Décision
Pour que la prescription extinctive prévue à l’article 1191 (5°) C.c.Q trouve application, l’appelante a le fardeau de prouver l’absence d’usage utile du droit de passage entre 1995 et 2015 par les intimés.
À cet égard, la Cour précise que l’usage utile de la servitude, en l’instance le droit de passage donnant accès aux eaux du Lac Hughes, ne requiert pas un usage fréquent ou régulier du passage en question. Exercer un usage conforme de la servitude au moins une fois pendant la période visée suffit. Ainsi, dans la présente affaire, la servitude n’est pas éteinte, le passage ayant été emprunté au moins une fois par année pour puiser l’eau du lac, alimenter ou activer la pompe et pêcher.
Quant à l’étendue du droit de passage, le tribunal y apporte des clarifications en précisant que le droit de passage inclut du droit de pratiquer certaines activités temporaires, mais que le droit de séjourner sur les abords du lac est interdit.
[32] Par conséquent, l’avantage conféré par la servitude en l’espèce me semble sans contredit celui de permettre un accès au plan d’eau et son usage à un endroit précis qui est plus reclus, mais moins commode.
[…]
[46] La jurisprudence reconnaît d’ailleurs que des activités momentanées, comme puiser de l’eau pour la pompe, installer des pièges pour la pêche puis repartir, venir admirer le coucher du soleil puis repartir ou pratiquer des activités aquatiques, telles que la baignade ou le canot, ne sont pas suffisamment longues pour s’apparenter à un séjour et doivent être permise
[47] Par contraste, il ne s’agit pas d’étendre la servitude au droit d’occuper les abords du lac pour une longue période de temps (en excédant de quelques heures), d’y laisser des chaises ou des embarcations sur place après utilisation, ce qui serait plutôt de la nature d’un accessoire à un droit de plage, ni de permettre d’installer un quai à demeure ou de stationner sa voiture.
Le tribunal se prononce également sur la possibilité de déclarer partiellement éteint le droit de passage pour n’y permettre que la circulation à pied en plus de limiter son usage qu’au puisage de l’eau et à la pêche au mené. Sur ce point, les juges de la Cour d’appel rappellent le principe qu’une servitude ne précisant pas, au moment de sa constitution, les limites du droit d’usage doit être interprétée largement. C’est le cas en l’espèce, la servitude ne prévoit pas de restrictions quant à l’usage ni au moyen de locomotion à utiliser afin de circuler dans le passage. Les parties semblaient plutôt envisager initialement une utilisation de la servitude peu importe le moyen de locomotion.
[66] Il n’y a donc pas lieu de déclarer partiellement éteint le droit de passage par voiture, non plus que d’ajouter au texte de la servitude comme le propose l’appelant pour préciser qu’il ne s’agit que d’un droit de passage à pied, puisque cela reviendrait à prescrire par le fait même les autres moyens de locomotion.
[67] Par contre, l’appelant a raison de soutenir que le droit de passage en l’espèce exclut la notion de « séjour » et les autres usages associés au droit de plage, tel le droit d’y installer des objets ou des embarcations en permanence et qu’il exclut le droit d’installer un quai.
L’appel est accueilli en partie seulement afin de préciser que la servitude de passage n’inclut pas le droit de séjourner sur les lieux pour plus de quelques heures ni d’y aménager des installations. L’extinction partielle de la servitude est, elle, rejetée.
Conclusion
Finalement, ce jugement précise le critère de l’usage utile d’une servitude. Pour qu’un usage soit reconnu utile, il suffit que la servitude en question soit utilisée au moins une fois conformément aux modalités d’utilisation prévu lors de sa constitution. Quant à l’étendue d’un tel droit, une servitude octroyant un droit de passage portant sur un lac peut généralement inclure un droit d’accès au plan d’eau et à son usage, mais pas le droit d’y séjourner.
Le texte intégral de la décision se trouve ici.
[1] Hilborn c. De Koven, 2021 QCCA 58
Merci pour votre article. Il m’a aidé à y voir plus claire dans mes droits.