par
Gabrielle Robert
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31 Mai 2021

7 décisions essentielles en matière de clause de réserve

Par Gabrielle Robert, avocate

Les documents d’appel d’offres des donneurs d’ouvrage publics contiennent souvent une clause de réserve à l’effet qu’ils ne s’engagent à accepter aucune des soumissions reçues. Le gouvernement du Québec a même l’obligation de prévoir une telle clause dans certains de ses contrats[1]. Quels principes de droit entourent l’usage d’une clause de réserve? Voici les décisions essentielles qui traitent de la question.

1- M.J.B. Enterprises Ltd. c. Construction de Défense (1951) Ltée, [1999] 1 RCS 619

Cet arrêt de la Cour suprême constitue l’arrêt de principe en matière de clause de réserve. Il reconnaît la possibilité pour un donneur d’ouvrage de prévoir une telle clause dans ses documents d’appel d’offres. La Cour suprême y établit que la décision de se prévaloir d’une clause de réserve relève du pouvoir discrétionnaire du donneur d’ouvrage (paragr. 46). Elle précise que la décision de rejeter la soumission la plus basse peut être motivée par la prise en compte de facteurs qui ont une incidence sur le coût final du projet (paragr. 45).

Le texte intégral de la décision est disponible ici.

2- Martel Building Ltd. c. Canada, [2000] 2 RCS 860

Dans cet arrêt, la Cour suprême enseigne qu’une clause de réserve peut permettre à un donneur d’ouvrage de ne pas accorder le contrat au plus bas soumissionnaire. Toutefois, l’exercice d’un tel pouvoir n’exclut pas l’obligation de traiter tous les soumissionnaires équitablement.

La Cour s’exprime ainsi :

[83] Il est désormais bien établi que les parties à un appel d’offres peuvent avoir des obligations synallagmatiques en vertu du contrat A et que ces obligations peuvent être explicites ou implicites.  Dans la présente affaire, le juge Desjardins, de la Cour d’appel fédérale, a estimé que, suivant le droit de la responsabilité civile délictuelle, l’appelante avait envers l’intimée une obligation de diligence selon laquelle elle devait traiter tous les soumissionnaires équitablement et sur un pied d’égalité.  Elle a cependant expliqué qu’une telle obligation découlait d’une obligation contractuelle implicite concomitante.

(…)

[89] Une clause de réserve selon laquelle ni la soumission la plus basse ni aucune soumission ne sera nécessairement retenue n’exclut pas l’obligation de traiter tous les soumissionnaires équitablement.  Il faut néanmoins soumettre le dossier d’appel d’offres à un examen attentif pour déterminer toute la portée de cette obligation.  Afin de respecter l’intention des parties et leurs attentes raisonnables, il faut circonscrire cette obligation en tenant dûment compte des conditions contractuelles expresses de l’appel d’offres.  L’administration adjudicative a [TRADUCTION] «le droit, en établissant le dossier d’appel d’offres, de stipuler des conditions et des restrictions et de s’accorder des privilèges» (Colautti Brothers, précité, au par. 6).

Le texte intégral de la décision est disponible ici.

3- MYG Informatique inc. c. Commission scolaire René-Lévesque inc., 2006 QCCA 1248 

Au Québec, l’arrêt MYG Informatique de la Cour d’appel est celui de référence en matière de clause de réserve. Il confirme que les principes établis par la Cour suprême dans M.J.B. Entreprises et dans Martel Building trouvent application en droit québécois.

La Cour d’appel s’exprime ainsi à cet égard :

[35] (…) Cependant, revenant dans l’arrêt M.J.B. Enterprises Ltd. sur la portée de l’arrêt Ron Engineering, la Cour suprême a nié y avoir statué « que le contrat A est toujours formé ou qu’il stipule toujours l’irrévocabilité de la soumission. La formation d’un contrat préalable dans le cadre de l’appel d’offres dépend toujours des conditions de ce dernier. »[21] Il est donc particulièrement important de tenir pleinement compte de tout ce qui a été stipulé dans les documents qui régissent l’appel d’offres. En outre, même lorsque se forme un contrat A entre les parties, cela ne signifie pas que le pollicité soit toujours tenu aux termes de ce contrat d’accepter l’offre venant du plus bas soumissionnaire. La pratique courante des clauses dites « de réserve[22] » empêche dans beaucoup de cas qu’une telle obligation prenne naissance. Mais le pollicité qui est en mesure d’invoquer une telle clause n’est pas pour autant affranchi de son obligation de traiter les soumissionnaires sur un pied d’égalité, avec équité et bonne foi[23]. En particulier, malgré la présence d’une clause de réserve, on peut lui reprocher, comme ce fut le cas dans l’arrêt M.J.B. Enterprises Ltd., d’avoir manqué aux obligations qui lui incombent en vertu du contrat A en retenant une soumission non conforme. Ces contraintes balisent l’exercice par le pollicité de la discrétion qu’il s’est réservée dans les documents d’appel d’offres. Cela dit, une clause de réserve complète comme l’article 13 des Règles de la soumission citées plus haut[24] empêche habituellement de conclure que le pollicité est implicitement tenu par le contrat A de conclure un contrat B dès lors qu’il a reçu au moins une soumission conforme[25].

La Cour conclut également que le fait de procéder à un second appel d’offres n’a pas pour effet de créer un déséquilibre entre les soumissionnaires ou de porter atteinte à l’égalité des soumissionnaires (paragr. 43) :

[43] Contrairement à ce qui était plaidé dans l’affaire 9073-4237 Québec inc. c. École nationale de police, J.E. 2004-2115 (C.S.), paragr. 16, je ne crois pas, par exemple, que la divulgation des prix offerts par les soumissionnaires lors d’une première soumission annulée soit en soi constitutive d’une irrégularité; tous sont amenés à divulguer leurs prix et aucun n’a l’assurance de se voir adjuger le contrat B s’il est le plus bas soumissionnaire conforme.

Le texte intégral de la décision est disponible ici.

4- Roxboro Excavation inc. c. Québec (Procureur générale), 2015 QCCS 2829, confirmée par 2016 QCCA 1908

En première instance, la Cour supérieure dans Roxboro identifie les obligations qui incombent au donneur d’ouvrage lorsqu’il se prévaut d’une clause de réserve. Le donneur d’ouvrage n’engage pas sa responsabilité s’il possède un motif valable de procéder à l’annulation d’un appel d’offres et s’il agit avec équité et bonne foi.

La Cour supérieure s’exprime ainsi à cet égard (paragr. 62):

« [62] Il est reconnu que lorsque l’administration énonce une clause de réserve dans un appel d’offres, à moins de contrevenir à la loi ou aux règlements et sauf dans les cas de fraude, de mauvaise foi ou de faute intentionnelle, on ne pourra lui reprocher de s’en prévaloir. Elle doit, en quelque sorte, le faire de façon raisonnable, dans le respect des grands objectifs de la Loi sur les contrats des organismes publics et en fonction du meilleur intérêt des contribuables. »

La Cour ajoute que l’obligation première des donneurs d’ouvrage public est envers le trésor public (paragr. 64). Dans cette affaire, le MTQ avait soupçonné de la collusion entre les soumissionnaires. La Cour d’appel a confirmé que l’obligation pour le MTQ d’agir équitablement ne visait pas à garantir à Roxboro l’adjudication du contrat public, mais plutôt à assurer aux citoyens que les fonds publics serviraient à réaliser un projet au meilleur coût possible par le meilleur soumissionnaire possible (paragr. 12).

Le texte intégral de la décision de la Cour supérieure est disponible ici.

Le texte intégral de la décision de la Cour d’appel est disponible ici.

5- Entreprises R & G St-Laurent inc. c. Québec (Procureur général), 2011 QCCS 6888, confirmée par 2013 QCCA 953

Dans cette décision, la Cour supérieure établit comment doit être analysé le caractère raisonnable de la décision du donneur d’ouvrage de se prévaloir d’une clause de réserve. Elle précise que cette analyse ne doit pas être faite de manière rétrospective, mais plutôt en se plaçant au moment où cette décision est prise (paragr. 47).

La Cour d’appel confirme cette position (paragr. 12) :

[12] Alors que l’appelante nous invite à procéder à une analyse rétrospective de la preuve, la Cour croit au contraire, à l’instar du juge de première instance, qu’il faut se replacer au moment où la décision du ministère de n’accepter aucune soumission est prise pour en évaluer la raisonnabilité. (…)

La Cour d’appel ajoute que le lancement d’un second appel d’offres à l’aide des mêmes documents contractuels n’a pas pour effet de violer le principe de l’égalité des soumissionnaires (paragr. 4) :

[14] Le juge de première instance n’a pas erré non plus en concluant que le second appel d’offres (lancé par le ministère des Transports sans modification des documents contractuels) n’avait pas violé le principe d’égalité des soumissionnaires. Comme le précise l’auteur Pierre Giroux4 :

Même si le lancement d’un nouvel appel d’offres permet à un soumissionnaire de connaître le prix qu’avait présenté un concurrent pour le premier appel d’offres, cette situation n’est pas inéquitable car elle inhérente à toute clause de réserve qui réserve cette possibilité à l’Administration.

Le texte intégral de la décision de la Cour supérieure est disponible ici.

Le texte intégral de la décision de la Cour d’appel est disponible ici.

6- 9075-5719 Québec inc. c. Longueuil (Ville de), 2012 QCCA 246

Cet arrêt de la Cour d’appel est à conserver sous la main puisqu’il recense plusieurs principes établis en matière de clause de réserve :

  1. Il rappelle que la clause de réserve attribue au donneur d’ouvrage le pouvoir discrétionnaire de ne pas adjuger de contrat à la suite d’un appel d’offres et de faire une nouvelle demande de soumission (paragr. 6);
  2. Il souligne de nouveau que cette discrétion doit être exercée de bonne foi (paragr. 6) et motivée par un motif valable (paragr. 9).
  3. Il réitère que le principe d’égalité des soumissionnaires n’est pas enfreint si les soumissionnaires disposent des mêmes informations à la suite de l’annulation du premier appel d’offres (paragr. 13-17).

Le texte intégral de la décision est disponible ici.

7- Sani-Éco inc. c. Brossard (Ville de), 2014 QCCS 4405

Dans cette décision, la Cour supérieure indique que le fardeau de preuve de démontrer que la clause de réserve a été utilisée de mauvaise foi repose sur celui qui soutient cette prétention. Elle rappelle le principe selon lequel le donneur d’ouvrage est présumé de bonne foi lorsqu’il use de la clause de réserve. Il incombe à celui qui allègue la mauvaise foi d’en faire la preuve.

La Cour s’exprime ainsi :

[61] L’allégation que le deuxième appel d’offres visait à opposer Matrec à Sani-Éco est sans fondement tel que mentionné précédemment.  En l’absence de mauvaise foi, de fraude, d’influence indue, de considérations étrangères (but illicite) ou d’autres comportements illégaux – soit dit en passant qu’il n’y a pas l’ombre d’une preuve à cet égard –, le Tribunal est d’avis que les motifs retenus par la Ville pour rejeter les soumissions et retourner en deuxième appel d’offres étaient légitimes eu égard aux documents contractuels P-2 (…).

Le texte intégral de la décision est disponible ici.

Conclusion

Pour conclure, les clauses de réserve sont légales et peuvent être prévues dans les documents d’appel d’offres. Un donneur d’ouvrage n’engagera pas sa responsabilité dans la mesure où il exerce son pouvoir discrétionnaire pour un motif valable, de bonne foi et avec équité. À titre d’exemple, ont été considérés par les tribunaux comme étant des motifs valables le prix excessif des soumissions[2], des indices de collusion[3] ou encore un imbroglio survenu dans le cours du processus d’appel d’offres[4].

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