par
Rafaella Arapovic
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04 Août 2021

Désistement de procédures d’expropriation : un propriétaire indemnisé pour perte de revenus locatifs

Par Rafaella Arapovic, stagiaire en droit et Yaëlle Lyman, avocate

Le propriétaire d’un immeuble commercial abritant deux commerces, tous deux occupés par le même locataire, réclame des dommages-intérêts, notamment pour perte de revenus locatifs, en vertu de l’article 52.1 alinéa 2 de la Loi sur l’expropriation suite au désistement des procédures d’expropriation du Ministère des Transports (MTQ). Dans la décision P.G.Q. / Ministre Des Transports c. 9188-9964 Québec Inc. (2021 QCTAQ 04681) le Tribunal administratif du Québec donne raison au propriétaire.

Contexte

Le 12 octobre 2017, dans le cadre de l’implantation du projet du Réseau Électrique Métropolitain (REM), le MTQ signifie un avis d’expropriation au propriétaire de l’immeuble afin d’y implanter une servitude perpétuelle de non-accès.

Le locataire, un garage de débosselage automobile, occupe les lieux en vertu d’un bail d’une durée de cinq ans se terminant le 28 février 2019 avec une option de renouvellement.

L’implantation de la servitude avait pour effet de mettre un terme aux activités du locataire puisque deux entrées charretières essentielles au commerce deviendraient inutilisables.

Un avis de notification est signifié au locataire le 14 février 2018, alors qu’il est déjà en défaut de paiement depuis un mois.

Le 25 mai 2018, la procureure du locataire écrit une lettre au MTQ mentionnant que le locataire avait signé un nouveau bail au mois d’octobre 2017. La lettre mentionne entre autres que locataire envisageait de déménager longtemps avant les procédures d’expropriation « dans le cadre d’une politique d’expansion et de développement des affaires […] À aucun moment, les nouveaux locaux n’avaient pour vocation de remplacer les locaux objet de l’expropriation. » (par. 35).

Le 5 juin 2018, alors que le locataire est en défaut de paiement depuis 10 mois, une convention de résiliation de bail suivi d’une convention de quittance sont conclues avec le propriétaire.

Au mois de septembre 2018, le MTQ se désiste de l’expropriation puisque la servitude de non-accès sera finalement remplacée par une servitude de travail d’une durée de 5 ans.

L’article 52.1, alinéa 2 de la Loi sur l’expropriation (RLRQ, c. E-24)permet à un propriétaire d’obtenir des dommages-intérêts suivant un désistement des procédures :

Sur demande de l’exproprié, du locataire ou de l’occupant de bonne foi, signifiée dans les 90 jours de la réception de l’envoi l’avisant du désistement, le Tribunal accorde, s’il y a lieu, les dommages-intérêts en réparation du préjudice résultant de ce désistement.

En vertu de cet article, le propriétaire demande au Tribunal administratif du Québec d’ordonner au Procureur général du Québec le paiement de dommages-intérêts.

Décision

L’objet du litige portait principalement sur le lien de causalité entre les procédures d’expropriation du MTQ et le départ du locataire.

Le propriétaire plaide que l’expropriation, qui était fatale au commerce occupant les lieux loués, a provoqué le départ prématuré du locataire et l’a laissé dans l’impossibilité de louer, vendre ou redévelopper la propriété. De plus n’eût été l’avis d’expropriation, le locataire aurait exercé son option de renouvellement. Le MTQ a plutôt pour position que le départ du locataire n’était pas causé par l’expropriation, mais bien par un défaut de payer son loyer pendant 10 mois qui aurait débuté avant la signification de l’avis d’expropriation au propriétaire.

La convention de résiliation de bail signée entre le propriétaire et le locataire en juin 2018 mentionnait expressément que le locataire choisissait de ne pas exercer son option de renouvellement du bail en raison de l’avis d’expropriation. Le Tribunal a également rejeté l’argument du MTQ selon lequel le propriétaire aurait fait pression sur le locataire pour accepter cette clause. De plus, le propriétaire a témoigné du fait qu’il n’était pas hors du commun que son locataire soit en défaut de paiement :

[46] D’ailleurs, c’est ce que confirme M. Laporte, lorsqu’il dit que tous ces événements sont directement liés à l’expropriation. Il mentionne qu’il faisait confiance à son locataire, qu’il connaît depuis 1977. Lorsqu’il y avait des retards dans le paiement du loyer, il était confiant d’être payé étant donné qu’il connaissait son principal client, la compagnie Enterprise, qui pouvait elle-même retarder ses paiements à un fournisseur.

[47] Ce n’est que lorsqu’il a été informé de l’ouverture d’un nouveau local sur le boulevard Hymus, alors que son locataire lui devait 5 ou 6 mois de loyer, qu’une « chicane » a éclaté, ce qui a mené à la résiliation du bail.

Le MTQ plaidait également que le locataire n’avait formulé aucune réclamation à la suite de l’avis de désistement du 30 mars 2019, ce qui portait à croire que le départ n’était pas lié à l’expropriation. Cet argument a été repoussé par le témoignage du locataire affirmant qu’il avait perdu confiance en ce processus après avoir déboursé une quantité considérable en frais juridiques sans aucun succès.

Quant à la signature d’un nouveau bail mentionné dans la lettre de l’avocate du locataire, le Tribunal s’exprime comme suit :

[50] Malgré la mention dans la lettre de Me Nehme concernant le nouveau bail du locataire, le Tribunal est d’avis que la balance de la preuve, soit la chronologie des événements ainsi que la preuve testimoniale et documentaire, pointe vers un lien de causalité entre le départ de Carrosserie et l’expropriation.

[51] Le Tribunal note que le délai de plus d’un an après l’imposition de la réserve ainsi que la visite des représentants du MTQ, et la signification de l’avis d’expropriation, ont laissé dans l’incertitude tant le propriétaire que son locataire, ce qui a provoqué un effet négatif sur leur perception de l’expropriation et sur l’avenir qui leur était réservé. M. Laporte a témoigné qu’il a tenté à maintes reprises d’avoir plus d’information du corps expropriant, et ce sans succès.

Le Tribunal juge ainsi que le départ du locataire est directement lié à l’expropriation, malgré le défaut antérieur du locataire. N’eut été de ces procédures, le locataire aurait continué d’occuper la propriété jusqu’à la fin du terme et avait l’intention de se prévaloir de son option de renouvellement. Pour cette raison, le Tribunal accorde des dommages-intérêts pour les pertes de revenus relatives au départ du locataire, et ce, de la date de l’avis d’expropriation jusqu’au terme original du bail.

Le texte intégral de la décision est disponible ici.  

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