par
Anne-Geneviève Robert
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07 Sep 2021

La défense de valeur artistique est-elle recevable face à une accusation de pornographie juvénile?

Par Anne-Geneviève Robert, avocate

Dans quel cas une image est-elle qualifiée comme étant une œuvre artistique et non de la pornographie juvénile? Après avoir statué sur la possession ainsi que sur la définition de la pornographie juvénile, le Tribunal, dans la décision R. c. Joly, 2021 QCCQ 6854, se penche sur cette question en expliquant les critères applicables à cette défense tant sous son ancien régime que sous son nouveau régime. La ligne peut parfois être mince entre une infraction criminelle et la liberté d’expression.

Contexte

L’accusé, M. Joly, se présentant comme photographe professionnel, prend des photos à caractère sexuel de jeunes filles âgées de 15-16 ans. Les séances de photographie semblant tout à fait normal au départ, deviennent rapidement suggestives. Un autre photographe, après avoir été témoin de ses pratiques, fait un signalement sur le site cyberaide.ca. Dans le cadre de leur enquête, les agents obtiennent un mandat de perquisition et saisissent plus de vingt items chez l’accusé, notamment un disque dur externe et un lot de quinze CD/DVD. L’enquêteur classe les milliers de fichiers trouvés en deux catégories, soit (1) les fichiers qui représentent de la pornographie juvénile au sens du paragraphe 163.1(1) du Code criminel et (2) les fichiers qui ne représentent pas tout à fait de la pornographie juvénile, mais qui demeurent de nature aggravante et qui sont utiles à l’analyse du Tribunal. Sur ces derniers fichiers, les enfants peuvent être habillés, partiellement nus ou complètement nus. Il s’agit aussi des fichiers quant auxquels les agents ne sont pas en mesure de déterminer l’âge des personnes qui s’y trouvent.

Dans cette affaire, l’accusé faisait au départ face à des accusations de possession de pornographie juvénile, de production de pornographie juvénile et de leurre. Durant le procès, la poursuite a toutefois abandonné les chefs d’accusation de production et de leurre pour continuer les procédures sur la possession de pornographie juvénile uniquement. Suite à la preuve de la couronne, l’accusé décide de ne pas présenter de preuve en défense.

Décision

La Cour analyse ce dossier en trois étapes : la possession de pornographie juvénile, la qualification de la pornographie juvénile et la valeur artistique des images. Après avoir affirmé que l’accusé avait effectivement la possession de ce qui a été caractérisé comme de la pornographie juvénile, la juge se questionne sur le moyen de défense soulevé relatif à l’art et la liberté d’expression.

Puisque les faits se sont déroulés sur une longue période, tant les moyens de défense existant avant les modifications pertinentes au Code criminel du 1er novembre 2005 que ceux après peuvent être présentés par l’accusé.

Concernant l’ancien régime, il existe deux moyens de défense, soit celui fondé sur la valeur artistique et celui fondé sur le bien public. Pour que le premier soit recevable, il est nécessaire que le matériel puisse être raisonnablement considéré comme un art. Sinon, il doit servir à un objectif d’éducation, de science ou de médecine. Quant au deuxième moyen de défense, il sera recevable si le matériel sert effectivement le bien public sans toutefois excéder ce qui est nécessaire au bien public. Ce n’est toutefois pas de ce régime dont il est question dans la présente affaire.

Qu’en est-il du régime applicable depuis le 1er novembre 2005? La Cour s’exprime ainsi :

« [57] Sous le nouveau régime, l’accusé peut invoquer un moyen de défense si l’acte qui constituerait l’infraction : (1) a un but légitime lié à l’administration de la justice, à la science, à la médecine, à l’éducation ou aux arts, et (2) ne pose pas de risque indu pour les personnes âgées de moins de 18 ans. » (références omises) 

La Cour rappelle que ces moyens de défense doivent bénéficier d’une interprétation large favorisant la liberté d’expression. Toutefois, ils ne doivent pas être interprétés de manière à faire obstacle aux objectifs visés par le législateur dans la criminalisation de la pornographie juvénile et la protection des enfants.

Le Tribunal se prononce alors sur les facteurs applicables dans la caractérisation de la valeur artistique :

« [59] La question de savoir si les images ont une valeur artistique dépend de plusieurs facteurs, dont la forme et la teneur de l’œuvre, ses liens avec des conventions, traditions ou styles artistiques, et le mode de production, de présentation et de distribution. L’opinion d’un expert sur le sujet peut être utile. » (références omises) 

La Cour reprend les enseignements de la Cour suprême du Canada dans l’affaire Katigbak selon lesquels la personne raisonnable doit conclure « (1) qu’il y a un lien objectif entre les actes de l’accusé et le but qu’il dit poursuivre, et (2) qu’il y a un lien objectif entre ce but et une des activités protégées (administration de la justice, science, médecine, éducation ou arts) ».[1]

La juge est d’avis qu’en l’espèce, et peu importe le régime, la défense n’a pas été en mesure de soulever un doute raisonnable quant à la valeur artistique du matériel. En effet, aucune preuve n’a été fournie quant au caractère artistique du matériel retrouvé. La Cour ajoute :

« [63] Il ne subsiste aucun doute raisonnable quant à savoir si, d’un point de vue subjectif, l’accusé avait un motif valable et de bonne foi de posséder de la pornographie juvénile dans un but légitime lié aux arts. » (références omises)

En fait, en l’absence de faits soutenant un tel but, la juge ne peut en évaluer la légitimité. La Cour ne peut donc pas conclure à un lien « objectivement vérifiable » (par. 64) entre l’infraction alléguée et le but qui serait poursuivi par l’individu.

En plus du fait que la Cour ne soit pas en mesure de conclure à un but légitime, par manque de preuve à cet égard, la preuve révèle par ailleurs que le défendeur avait admis dans un interrogatoire vidéo qu’il aurait dû détruire les images saisies.

Pour la Cour, « il ne peut s’agir ici d’une forme d’expression pouvant raisonnablement être considérée comme de l’art » (par. 66, références omises). Objectivement, la personne raisonnable ne peut y voir une valeur artistique.

L’intention subjective du créateur est pertinente dans l’analyse que doit faire la Cour. Toutefois, elle n’est pas déterminante en soi. Encore une fois, en l’espèce, le Tribunal ne bénéficie d’aucune information à ce sujet.

La juge conclut donc que la couronne s’est déchargée de son fardeau preuve et qu’aucun doute raisonnable ne subsiste quant à la possession de pornographie juvénile par l’accusé. M. Joly est donc reconnu coupable de l’infraction reprochée.

Le texte intégral de la décision est disponible ici.

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