Suggestion commune d’une peine : un juge peut-il faire ses propres recherches internet ?
Par Jeremy van Doorn, avocat
La Cour d’appel, dans la décision Baptiste c. R.[1],rappelle la nature contradictoire du processus criminel et l’importance pour un juge d’avertir les parties lorsqu’il désire s’écarter d’une suggestion commune ou qu’il a des questionnements de nature à affecter sa décision.
Contexte
Les parties avaient soumis une suggestion commune de 16 mois d’emprisonnement au juge[2]. Au cours de l’audience, le juge a demandé si les articles récents de médias sur les fusillades à Montréal pourraient avoir un impact sur le processus de détermination de la peine[3]. La Couronne a répondu que les parties ont considéré la tendance à la hausse de ces infractions lors de l’évaluation de la suggestion commune et que ces articles pourraient avoir un impact de manière générale sur la décision du juge[4]. Le juge a par la suite demandé s’il y avait eu des quid pro quo, échanges ou concessions faites par une partie ou l’autre. Les parties ont informé le juge qu’ils se sont rencontrés à mi-chemin de leurs positions initiales[5]. Quatre jours plus tard, le juge a rendu une décision de 47 pages condamnant l’accusé au double de la peine suggérée[6].
Le requérant se pourvoit contre le jugement de première instance, lequel le condamne à 32 mois d’emprisonnement à la suite d’une déclaration de culpabilité pour des infractions liées à la possession d’armes à feu.
Les parties admettent que le juge ne les a jamais informées de ses préoccupations en lien avec cette suggestion. Les parties admettent également que le juge a mal caractérisé la nature des infractions et a donc mal choisi la fourchette de peines applicable[7].
Le ministère public répudie cependant l’offre de 16 mois et plaide plutôt qu’une peine de 24 mois serait appropriée et demande à la Cour d’appel de définir une nouvelle direction en ce qui concerne les peines d’infractions d’armes à feu[8].
Décision
La Cour d’appel est d’avis qu’il est clair que les préoccupations du juge par rapport à la suggestion faite par les parties étaient bien présentes depuis un certain temps, mais qu’il ne leur en a pas fait part[9]. De plus, le juge a fait ses propres recherches internet pour conclure qu’il y avait une augmentation de crimes liés aux armes à feu à Montréal et que cette situation nécessitait une plus grande dissuasion générale[10]. Cependant, les données du juge établissaient seulement une perception d’augmentation de ces crimes[11]. Dans tous les cas, il devenait nécessaire de permettre aux parties de présenter de la preuve et de plaider concernant cet élément surtout dans le contexte que la couronne avait informé le juge que cet aspect avait été pris en compte[12].
La Cour rappelle qu’un juge ne peut pas assumer le rôle à la fois de juge, partie et témoin. Il ne peut devenir la source principale d’information sur les questions en lien avec la peine ni devenir « the driving force pursuing those issues during the proceedings »[13].
La Cour d’appel note qu’elle ne s’attend pas à ce que les juges se rendent sur internet pour déterminer qu’elle est la prévalence d’un crime surtout sans en informer les parties[14]. De plus, bien que les règles découlant de l’arrêt Anthony-Cook[15]quant à la discrétion du juge soient potentiellement différentes en présence d’un plaidoyer ou d’une déclaration de culpabilité, la Cour est d’avis qu’il demeure que la prévisibilité des suggestions communes est importante afin d’éviter des sentences contestées non nécessaires[16].
La Cour est également d’avis que le juge a complètement ignoré tous les facteurs atténuants et a commis des erreurs de faits et considère que la peine de 16 mois suggérée par les parties était raisonnable[17]. En ce qui concerne la proposition de la Couronne de rendre une peine de 24 mois en appel, la Cour conclut qu’il n’y a pas de circonstances exceptionnelles qui justifient que la Couronne retire son offre initiale de 16 mois d’emprisonnement[18]. La Cour refuse de se prononcer sur la question de la modification de la fourchette de peines en lien avec les armes à feu[19].
L’appel est accordé et la peine est modifiée à 16 mois d’emprisonnement.
Le texte intégral de la décision est disponible ici.
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