par
Ariane Bélanger
Articles du même auteur
18 Jan 2022

Demande d’autorisation d’exercer une action collective à l’encontre d’une municipalité : attention au respect des exigences relatives à l’avis de réclamation prévues à la Loi sur les cités et villes

Par Ariane Bélanger, avocate

Les exigences prévues à l’article 585 de la Loi sur les cités et villes (ci-après la « LCV ») permettant d’entreprendre une action en responsabilité civile à l’encontre d’une municipalité s’appliquent-elles à une demande d’autorisation d’exercer une action collective ? La Cour d’appel du Québec, dans l’arrêt Ville de Sainte-Marthe-sur-le-Lac c. Lauzon[1], répond positivement à cette question et accueille en partie l’appel de la Ville de Sainte-Marthe-sur-le-Lac (ci-après la « Ville appelante ») dans le cadre duquel elle se pourvoit contre un jugement de la Cour supérieure rejetant sa demande en irrecevabilité fondée sur le non-respect par l’intimé, Richard Lauzon, des exigences prévues à l’article 585 de la LCV.  

Contexte

En avril 2019, de graves inondations causées par la rupture d’une digue surviennent à Sainte-Marthe-sur-le-Lac. Treize (13) jours suivant la rupture de la digue ayant causé ces inondations, une demande d’autorisation d’exercer une action collective à l’encontre de la Ville appelante est déposée pour le compte des propriétaires et des locataires inondés.

Conformément à l’article 585 de la LCV, certaines actions en responsabilité civile ne peuvent être intentées à l’encontre d’une municipalité avant l’expiration d’un délai de quinze (15) suivant la transmission d’un avis de réclamation faisant état de l’intention de la partie demanderesse de la poursuivre en justice, lequel doit lui-même être transmis dans les quinze (15) jours suivant la date de l’événement fondant une telle action. 

Selon les prétentions de la Ville appelante, même si l’avis de réclamation a été transmis dans les jours suivant la rupture de la digue, comme la demande d’autorisation d’exercer une action collective de l’intimé est à son avis une « action » au sens de l’article 583 al. 3 de la LCV, celle-ci devrait être rejetée pour cause d’irrecevabilité puisqu’elle a été déposée avant l’expiration du délai de quinze (15) jours prévu à cet article.  L’intimé, quant à lui, soutient plutôt qu’une demande d’autorisation d’exercer une action collective n’est pas une « action » au sens de l’article précité puisqu’il s’agit d’une démarche préalable à l’institution d’une action collective, laquelle survient uniquement si la demande d’autorisation est accueillie.

La position de l’intimé ayant été retenue en première instance et la demande en rejet de la Ville appelante pour cause d’irrecevabilité de la demande d’autorisation ayant été rejetée, cette dernière requiert l’intervention de la Cour d’appel qui doit donc trancher les questions suivantes: les actions auxquelles réfère l’article 585 al. 3 de la LCV comprennent-elles une demande d’autorisation d’exercer une action collective ? Le cas échéant, en cas de défaut de respecter les exigences posées par cet article, la demande d’autorisation doit-elle être rejetée ?

Décision

À la lumière des motifs des juges saisis de la présente affaire, l’intimé n’ayant pas attendu l’expiration du délai de quinze (15) jours suivant la transmission de l’avis de réclamation avant de déposer sa demande d’autorisation, celle-ci s’avère prématurée et pourrait être rejetée.

Selon les motifs du juge Bachand, dissident en l’espèce, la demande d’autorisation d’exercer une action collective constitue une « action » au sens du troisième alinéa de l’article 585 de la LCV en raison de son cadre contextuel et des objectifs qui sous-tendent la nécessité de transmettre un avis de réclamation[2]. En effet, comme le dépôt d’une demande d’autorisation d’exercer une action collective entraîne la judiciarisation d’un différend, et ce, malgré son caractère préliminaire à l’introduction officielle de l’action collective[3], les exigences qui sont prévues à l’article 585 de la LCV s’appliquent à une telle demande.

Bien que le juge Bachand aurait rejeté la demande pour ces raisons, les juges Schrager et Baudouin, se disant disposés à accepter, « pour la résolution de la présente affaire, que la demande d’autorisation d’exercer une action collective constitue une « action » au sens de l’article 585 de la LCV »[4], concluent plutôt que le rejet n’est pas approprié dans le contexte de la présente affaire et qu’il vaudrait mieux suspendre l’action pour une durée de quinze (15) jours afin de permettre à l’intimé de remédier au défaut soulevé dans la demande en irrecevabilité.

Cette dernière solution tient compte des objectifs liés à l’avis de réclamation et les principes afférents posés par la Cour suprême dans l’arrêt Méthot c. Commission de Transport de Montréal[5]. À ce sujet, les juges Schrager et Beaudouin rappellent :

« [38] L’objectif de l’avis est de donner à la municipalité le temps d’enquêter sur les faits à l’origine de l’action afin de vérifier le fondement de la demande et l’ensemble des circonstances qui y sont décrites.

[39] Dans Méthot, la Cour suprême a déclaré que l’intimé avait « un droit en puissance ou imparfait » qui « ne devient pas un droit incontestable de poursuivre » avant l’expiration des 15 jours, de sorte que, pendant ce temps, bien qu’il n’existe pas encore, formellement, le « droit d’action était suspendu », ne pouvant être exercé qu’après ce délai. Il faut se rappeler que les motifs du juge Hall ont été rendus dans le but de reconnaître le droit d’action des victimes et de réfuter le moyen de prescription plaidé par la municipalité. Si la Cour suprême avait considéré que le droit d’action avait pris naissance avant l’expiration du délai de préavis, l’action dans Méthot aurait été prescrite. Une lecture contextuelle correcte de l’arrêt révèle une inclination judiciaire à reconnaître les droits des requérants plutôt qu’à donner à la municipalité un motif de contestation basé sur une interprétation stricte de la loi. Ces principes sont encore plus d’actualité de nos jours, compte tenu notamment, des principes directeurs de la procédure. »

Selon les motifs de la majorité, il appert que cette solution, par opposition au rejet de l’action qui aurait engendré des procédures et des coûts supplémentaires pour l’intimé, respecte d’ailleurs davantage les principes de la proportionnalité et de l’intérêt de la justice considérant que la Ville appelante aura l’occasion de faire une enquête dans le délai prévu à la LCV.[6] 

Compte tenu de ce qui précède, l’appel de la Ville de Sainte-Marthe-sur-le-Lac est accueilli en partie, uniquement pour ajouter au jugement de première instance une ordonnance visant à suspendre l’instance pour une période de quinze (15) jours à compte du présent jugement.

Le texte intégral de la décision est disponible ici.


[1] Ville de Sainte-Marthe-sur-le-Lac c. Lauzon, 2021 QCCA 1791.

[2] Id., par. 23.

[3] Id., par. 27 et 28.

[4] Id., par. 36.

[5] Méthot c. Commission de Transport de Montréal, [1972] R.C.S. 387.

[6] Ville de Sainte-Marthe-sur-le-Lac c. Lauzon, préc. note 1, par. 41.

Commentaires (0)

L’équipe du Blogue vous encourage à partager avec nous et nos lecteurs vos commentaires et impressions afin d’alimenter les discussions sur le Blogue. Par ailleurs, prenez note du fait qu’aucun commentaire ne sera publié avant d’avoir été approuvé par un modérateur et que l’équipe du Blogue se réserve l’entière discrétion de ne pas publier tout commentaire jugé inapproprié.

Laisser un commentaire

À lire aussi...