par
Gabrielle Champigny
Articles du même auteur
21 Fév 2022

La Cour d’appel rejette l’appel d’Environnement Jeunesse : l’action climatique déférée au pouvoir législatif

Par Gabrielle Champigny, avocate

Les recours climatiques se multiplient un peu partout sur la planète et le Québec n’y fait pas exception. Depuis 2019, l’organisme Environnement Jeunesse tente, par le véhicule de l’action collective, de faire reconnaître la négligence et l’inaction du gouvernement canadien en matière de lutte contre les changements climatiques, qu’il estime en violation des droits fondamentaux de la jeunesse québécoise. Rendue le 13 décembre 2021, la récente décision de la Cour d’appel dans ce dossier aborde la question de la séparation entre les pouvoirs législatif et judiciaire lorsqu’une omission d’un gouvernement d’adopter des mesures législatives appropriées est soulevée.

Contexte

Cette affaire opposeEnvironnement Jeunesse, un organisme qui a pour mission d’éduquer la jeunesse québécoise sur les enjeux environnementaux, au Procureur général du Canada (« PGC ») en sa qualité de représentant du gouvernement du Canada (« État »).

En première instance, l’organisme reprochait à l’État de ne pas avoir mis en place les mesures nécessaires pour réduire les émissions de GES, de ne pas avoir respecté les cibles auxquelles il s’était engagé et d’avoir négligé d’adopter des cibles respectant ses engagements internationaux. Ce faisant, Environnement Jeunesse plaidait que la mauvaise foi et l’inaction de l’État équivalait à une faute civile et une violation des droits fondamentaux du groupe proposé, soit les résidents du Québec de 35 ans et moins en date du 26 novembre 2018 (« Groupe »). Le recours en action collective visait ainsi à « obtenir une déclaration selon laquelle le gouvernement a failli aux obligations qui lui incombent, en vertu de la Charte canadienne des droits et libertés […] et la Charte des droits et libertés de la personne […], de protéger les droits fondamentaux de ses citoyens »[1].  La réparation recherchée était essentiellement une cessation de la violation et « la mise en place d’une mesure réparatrice pour freiner le réchauffement climatique »[2].

L’État a contesté la demande en autorisation d’exercer l’action collective et a plaidé qu’elle n’était pas justiciable puisqu’elle soulevait des questions qui relèvent du pouvoir législatif et échappent au contrôle du pouvoir judiciaire.

Le 11 juillet 2019, la Cour supérieure a rejeté la demande d’autorisation non pas au motif de la justiciabilité du recours, mais plutôt au motif que le groupe proposé était arbitraire et inapproprié.

Environnement Jeunesse s’est alors pourvu en appel contre ce jugement, en invoquant trois moyens d’appel. Selon l’appelante, le juge a erré :

  1. en concluant que la description du Groupe faisait obstacle à l’autorisation de l’action collective;
  2. en considérant que la demande en autorisation était inutile; et
  3. en omettant de se prononcer sur les autres critères d’autorisation.

Le PGC contestait ces moyens, mais contestait également la recevabilité de l’action collective en faisant valoir que le juge de première instance avait commis une erreur dans son analyse de la justiciabilité du recours. Selon l’intimé, l’appelante n’a pas démontré d’apparence de droit en vertu l’article 575(2) C.p.c. puisque : « (1) l’action n’est pas justiciable, (2) le gouvernement ne peut être poursuivi en raison de son omission de légiférer et (3) les faits allégués sont hypothétiques »[3].

Examinons comment le banc de trois juges de la Cour d’appel, de manière unanime, a tranché ces questions.

Décision

La Cour s’est d’abord penchée sur la question de la justiciabilité du recours, « prépondérante » à l’examen des moyens d’appel[4]. L’appel consistait donc dans un premier temps à déterminer si le litige était du ressort des tribunaux ou s’il ne s’agissait pas plutôt d’une question éminemment politique relevant de l’administration publique[5].

Cette question soulève le principe fondamental de la séparation des pouvoirs entre le législatif, l’exécutif et le judiciaire. Bien que les tribunaux peuvent se prononcer sur la validité d’une loi particulière et sur l’existence d’une violation d’un droit garanti par la Charte canadienne, il revient au pouvoir législatif « de choisir les orientations politiques du gouvernement et à l’exécutif de les mettre en œuvre »[6]. Il est donc « difficile à imaginer », selon la Cour, qu’un tribunal dicte à l’État une quelconque voie à suivre, en l’absence de toute contestation législative ou action positive[7].

En l’espèce, le fait qu’Environnement Jeunesse demande à la Cour de constater l’inaction de l’État et de l’obliger à légiférer pour mettre en place des mesures susceptibles de réduire les émissions de GES équivaut à demander « de dicter au pouvoir législatif les solutions les solutions à préconiser », ce qui n’est pas le rôle des tribunaux[8].

Ainsi, la Cour a mis au clair que le réchauffement climatique implique de soupeser de multiples enjeux qu’il importe de déférer au gouvernement élu, même en présence d’obligations internationales :

« [34]           Il n’est pas contesté que les accords internationaux du Canada ne deviennent exécutoires en droit interne, sauf exceptions, qu’après l’adoption, par le Parlement d’une loi leur donnant effet. La simple existence d’une obligation internationale ne permet pas de conclure à l’existence d’un principe de justice fondamentale justifiant l’immixtion du pouvoir judiciaire à ce stade. 

[35]           La réalité, c’est qu’en matière de réchauffement climatique, ce que souhaite l’appelante ne peut se décider dans l’abstrait. Il faut tenir compte du rôle que pourraient être appelées à jouer les provinces qui détiennent des compétences constitutionnelles concurrentes, notamment en matière environnementale. La collaboration des instances gouvernementales implique souvent de délicates négociations. Au-delà de ces obstacles politiques, la recherche d’une solution nécessite d’apprécier des facteurs scientifiques, de pondérer ses impacts en matière de santé, de transport, de développement économique et régional, d’emploi, etc. Il n’appartient pas aux tribunaux de se livrer à une telle analyse. Même si c’était le cas, les mesures préconisées doivent se traduire en priorités budgétaires puisque leur mise en œuvre exigera nécessairement des investissements financiers et une mobilisation des ressources de l’État. Encore une fois, il n’appartient pas aux tribunaux de faire de tels choix en priorisant les moyens pour faire face au défi des changements climatiques au détriment d’autres dépenses gouvernementales.

[36]           Les réponses aux questions communes soulevées se situent clairement au centre des enjeux de la société tant sur le plan national qu’international. Il appartient au gouvernement élu démocratiquement d’y répondre et non aux tribunaux de dicter à l’État les choix qu’il doit faire. »[9]

La Cour d’appel conclut donc que le juge de première instance a commis une erreur en concluant à la justiciabilité du recours et, pour ce motif, rejette l’appel.

Notons toutefois que la Cour prend soin de ne pas fermer complètement la porte à l’examen, par les tribunaux, du comportement de l’État en matière de réchauffement climatique. Ce sont les circonstances en l’espèce, notamment la nature des questions soumises, qui font en sorte d’inviter le tribunal dans la sphère du pouvoir législatif et de choix sociétaux complexes[10]. Le caractère très général des conclusions recherchées, notamment la « cessation de l’inaction » et de « mettre en place les mesures nécessaires pour limiter le réchauffement planétaire à 1,5°C », a également été fatal[11].

Commentaire

La décision Environnement Jeunesse c. PGC offre un éclairage important de la Cour d’appel sur les paramètres qui expliquent l’échec du recours et sur la relation entre les champs d’action du pouvoir législatif et du pouvoir judiciaire dans le contexte des changements climatiques. Par ailleurs, elle s’ajoute également à deux décisions récentes de la Cour fédérale[12], qui ont elles aussi rejeté des recours portant sur l’insuffisance des actions des gouvernements en matière de lutte aux changements climatiques en raison de l’absence de justiciabilité.

Ces actions judiciaires en matière climatique rappellent le dossier Fondation Urgenda c. État des Pays-Bas, qui s’était conclu en décembre 2019 par un résultat tout autre. Dans cette affaire, la Cour suprême néérlandaise avait conclu que le gouvernement des Pays-Bas avait une obligation de diligence envers ses citoyens compte tenu de leurs droits à la vie et à la vie privée et familiale, garantis par la Convention européenne des Droits de l’homme. L’État s’est donc vu reconnaître le devoir d’adopter des « mesures concrètes raisonnables » en réponse à la « menace réelle d’un changement climatique dangereux » [13].

Bref, il sera intéressant de rester à l’affût des retombées que pourraient entrainer cette importante décision de la Cour d’appel et les nombreuses clarifications qui y sont contenues.

À noter qu’une demande d’autorisation d’appel en Cour suprême a été déposée le 11 février 2022 par Environnement Jeunesse : https://www.ledevoir.com/societe/environnement/673131/de-jeunes-quebecois-font-appel-a-la-cour-supreme-pour-agir-contre-les-changements-climatiques.

Le texte intégral de la décision est disponible ici.


[1] Environnement Jeunesse c. Procureur général du Canada, 2021 QCCA 1871,par. 8.

[2] Id., par. 10.

[3] Id., par. 17.

[4] Id., par. 21.

[5] Id., par. 2.

[6] Id., par. 29.

[7] Id., par. 31.

[8] Id., par. 32.

[9] Id., par. 34 à 36.

[10] Id., par. 40 à 42.

[11] Id., par. 42.

[12] La Rose c. Canada, 2020 CF 1008 et Misdzi Yikh c. Canada, 2020 FC 1059.

[13] Fondation Urgenda c. État des Pays-Bas, [2015] HAZA C/09/00456689, en ligne (anglais) : http://climatecasechart.com/climate-change-litigation/wp-content/uploads/sites/16/non-us-case-documents/2020/20200113_2015-HAZA-C0900456689_judgment.pdf.

Commentaires (0)

L’équipe du Blogue vous encourage à partager avec nous et nos lecteurs vos commentaires et impressions afin d’alimenter les discussions sur le Blogue. Par ailleurs, prenez note du fait qu’aucun commentaire ne sera publié avant d’avoir été approuvé par un modérateur et que l’équipe du Blogue se réserve l’entière discrétion de ne pas publier tout commentaire jugé inapproprié.

Laisser un commentaire

À lire aussi...