Démystifier le métier de coroner : un entretien avec Me Julie-Kim Godin
Par Mylène Lafrenière Abel, avocate
Nommée en 2017, Me Julie-Kim Godin fait partie des sept coroners permanents du Bureau du coroner[1] dont la mission est de rechercher les causes probables et les circonstances des décès obscurs, violents ou survenus par suite de négligence. Elle a généreusement accepté de s’entretenir avec le Blogue du CRL afin de nous en apprendre davantage sur ce métier intriguant.
Détentrice d’une maîtrise en biologie, Me Julie-Kim Godin a toujours eu un intérêt marqué pour le droit de la santé. C’est dans le cadre de sa pratique en responsabilité médicale au sein d’un cabinet privé qu’elle a découvert la nature et l’utilité du métier de coroner.
Qu’est-ce qu’un coroner? En quoi consiste son travail?
Un coroner est un officier public nommé par le gouvernement[2]. Les coroners ont pour fonction de rechercher l’identité de la personne décédée, la date et le lieu du décès, ainsi que les causes probables et les circonstances du décès[3]. Son rôle et les contours de ses pouvoirs sont régis par la Loi sur la recherche des causes et des circonstances des décès[4].
Tout d’abord, Me Julie-Kim Godin prend le temps d’exposer les principales situations exigeant l’intervention du coroner :
- lorsqu’un décès est survenu dans des circonstances violentes, obscures ou à la suite de négligence;
- lorsque la cause d’un décès est inconnue ou que l’identité d’une personne décédée est inconnue;
- lorsque survient un décès dans un centre de réadaptions, dans un pénitencier ou un centre de détention, dans une unité d’encadrement intensif au sens de la Loi sur la protection de la jeunesse, dans un poste de police, dans une garderie, dans une famille d’accueil et sous garde dans un établissement de santé[5].
En moyenne, c’est environ 7 à 8% des décès qui surviennent au Québec qui sont, chaque année, signalés au Bureau du coroner. En 2020, les coroners sont intervenus dans 8,3 % des décès, soit 6 224 décès en tout[6].
Ensuite, Me Godin explique qu’il y a quelques coroners permanents à Montréal et Québec. La plupart des coroners sont nommés à temps partiel et sont répartis sur l’ensemble du territoire québécois[7].
Pour devenir coroner, il faut exercer la profession d’avocat, notaire ou médecin. Pour être nommé coroner permanent, il faut avoir accumulé au moins huit années d’expérience dans l’exercice de sa profession. Pour le ou la coroner à temps partiel, le nombre d’années d’expérience exigées est fixé à quatre ans. Afin d’établir une liste de personnes aptes à être nommées coroners, le Bureau du coroner lance des appels de candidatures lorsque des coroners sont requis afin de combler les besoins d’une ou de plusieurs régions.
Me Julie-Kim Godin précise que les coroners ont de larges pouvoirs et un haut niveau d’indépendance compte tenu de leur mandat. Leur Code de déontologie leur impose en effet d’exigeants devoirs en cette matière[8].
Elle explique également qu’afin de réaliser leur mandat, les coroners procèdent par investigation privée ou par enquête publique.
La majorité des décès signalés au coroner font l’objet d’une investigation privée, laquelle est, la plupart du temps, réalisée par un coroner à temps partiel[9]. Il s’agit d’un processus privé par lequel le ou la coroner s’active à récolter toute l’information nécessaire à la réalisation de son mandat. Pour ce faire, il ou elle est investie de grands pouvoirs, comme celui de pénétrer dans un lieu où il ou elle a des motifs raisonnables et probables de croire que s’y trouve un corps afin d’en prendre possession, d’exiger qu’un ou une agente de la paix procède à une enquête ou à un complément d’enquête, ou celui d’autoriser un ou une agente de la paix à pénétrer dans un lieu afin de rechercher et de saisir un objet ou un document, etc.
Quant à l’enquête publique, elle sera déclenchée par la coroner en chef si elle a des raisons de croire en l’utilité d’une telle enquête, laquelle ne doit cependant pas nuire au déroulement d’une enquête policière en cours. L’enquête peut également se tenir sur ordre de la ministre de la Sécurité publique. En plus des pouvoirs détenus lors d’une investigation, le ou la coroner présidant une enquête publique[10] détient certains pouvoirs nécessaires à la tenue de celle-ci, tels que celui de contraindre une personne à témoigner. À l’instar d’une commission d’enquête ou d’un procès, le ou la coroner qui procède à une enquête ne préside pas un procès civil ou criminel en vue d’apprécier la responsabilité de quiconque[11]. L’objectif est de faire la lumière sur les causes et les circonstances d’un ou de plusieurs décès, dans un contexte où le public a avantage à entendre l’information qui sera présentée au coroner.
Au terme d’une investigation ou d’enquête publique, le ou la coroner rédige son rapport et peut faire des recommandations. Dans les deux cas, le rapport est un document public, qui peut être consulté par qui en fait la demande[12].
De quoi est fait le quotidien d’un coroner?
Le métier de coroner est fait d’imprévus et de défis stimulants. C’est un métier qui exige, au jour le jour, de faire preuve de rigueur et de minutie, tout en accompagnant les familles endeuillées avec l’empathie qu’exige cette situation.
Me Godin nous parle du fonctionnement du système de garde. Pour chaque région du Québec, un ou une coroner est assignée à une « garde », de 8h00 le matin à 8h00 le lendemain matin. Pendant ce temps, chaque décès signalé au Bureau du coroner (1-888-Coroner) est pris en charge par le ou la coroner de garde. Qu’est-ce que ça veut dire concrètement? Me Godin nous en offre une illustration :
Par exemple, hier, j’étais de garde et un décès a m’a été signalé. Mon travail débute alors. J’ai dû procéder à la saisie de la dépouille, demander que les examens physiques de celle-ci soient faits, ainsi que les analyses toxicologiques. J’ai envoyé des policiers pour prendre des photos du lieu, saisir certains objets et prendre des déclarations. Je dois faire le suivi avec la famille. Par la suite, je vais devoir commander les dossiers médicaux de la personne décédée afin de faire la lumière sur les circonstances du décès.
Lorsqu’un ou une coroner est « de garde », il ou elle doit être prête à répondre à un appel à tout moment de la journée, puisque la mort, bien sûr, est imprévisible :
On ne prévoit pas quand les gens meurent. Les cas peuvent être signalés de jour comme de nuit, le plus souvent quand on s’assoit pour souper ou quand on ouvre la porte de la garderie… C’est un métier de l’urgence et il faut bien sûr prendre les moyens pour se rendre disponible lorsqu’on est de garde.
Le travail de coroner en est également un de collaboration : dans le cadre de leur mandat, les coroners sont appelés à collaborer étroitement avec les corps policiers et plusieurs professionnels de la santé.
Travailler « pour la vie »
Bien que les coroners côtoient la mort, Me Godin précise qu’ils et elles travaillent « pour la vie »[13]. En effet, lorsque cela est opportun, les coroners peuvent formuler des recommandations visant une meilleure protection de la vie humaine. Me Godin nous fait remarquer qu’historiquement, certains changements législatifs sont intervenus à la suite de recommandations de coroner, par exemple l’interdiction du cellulaire au volant.
Le Bureau du coroner joue également un rôle de prévention à l’égard de certaines problématiques sociétales. Un exemple de ce volet du mandat du Bureau est la création du Comité d’examen des décès liés à la violence conjugale, dont l’objectif est de rassembler différentes expertises afin de mieux comprendre et prévenir les décès survenus dans un tel contexte[14].
Quant à Me Godin, ce qui l’a particulièrement marquée depuis qu’elle exerce son métier, c’est à quel point le suicide est devenu, au sein de notre société, un problème de santé publique :
J’ai remarqué une tendance frappante : le nombre de suicides ne cesse d’augmenter d’année en année. À Montréal, c’est presque un suicide par jour qui est comptabilisé. Il s’agit d’une des causes principales de décès que nous devons investiguer. Ce qui me bouleverse, c’est que cette problématique de santé publique affecte tous les âges et toutes les strates de la société.
Elle préside d’ailleurs une enquête sur la thématique du suicide[15]. Cette enquête permettra d’entendre des témoins et des acteurs et actrices impliquées dans la prévention du suicide au Québec, d’informer le public et de formuler des recommandations visant une meilleure protection de la vie humaine.
En somme, selon Me Godin, le métier de coroner exige rigueur, empathie, écoute et dévouement. Ce qui la motive dans son travail est le fait de pouvoir participer, à sa manière, à la protection de la vie humaine et au processus de deuil des familles en leur apportant réponses à certaines de leurs questions.
Pour celles et ceux qui voudraient en apprendre plus sur le travail de coroner au quotidien, Me Godin vous invite à visionner le documentaire intitulé « Coroner, la voix des victimes », disponible ici.
[1] Incluant la coroner en chef, Me Pascale Descary.
[2] Voir, à ce sujet le Règlement sur les critères et procédures de sélection des personnes aptes à être nommées coroner, RLRQ c R-02, r.2.
[3] Loi sur la recherche des causes et des circonstances des décès, préc., note , article 2.
[4] RLRQ, c R-0.2.
[5] Pour la liste exhaustive des situations exigeant l’intervention du coroner, voir le site web du Bureau du coroner ici : https://www.coroner.gouv.qc.ca/les-coroners/quest-ce-quun-coroner.html
[6] Rapport annuel de gestion du Bureau du coroner, 2020-2021, p. 54.
[7] Voir la liste des coroners : https://www.coroner.gouv.qc.ca/les-coroners/repertoire-des-coroners.html
[8] Voir plus précisément la section « Objectivité, rigueur et indépendance » : articles 15 et suiv. du Code de déontologie des coroners, RLRQ, c R-0.2, r.1.
[9] En 2020, 93,5% des investigations ont été réalisés par des coroners à temps partiel : Rapport annuel de gestion du Bureau du coroner, 2020-2021, p. 54.
[10] Celui-ci doit nécessairement être détenir une formation juridique : Loi sur la recherche des causes et des circonstances des décès, préc., note, article 108.
[11] La loi prévoit par ailleurs formellement que le coroner ne peut se prononcer sur la responsabilité civile ou criminelle d’une personne : Loi sur la recherche des causes et des circonstances des décès, préc., note, article 4.
[12] À ce sujet voir : https://www.coroner.gouv.qc.ca/rapports-et-recommandations/demander-un-rapport-de-coroner.html
[13] Il s’agit de la « devise » du Bureau du coroner.
[14] Voir le premier rapport annuel du Comité, datant de décembre 2020 : https://www.coroner.gouv.qc.ca/bureau-du-coroner/publications-administratives.html
[15] Les prochaines audiences, sur le volet recommandations, auront lieu du 31 mai au 3 juin et du 6 au 10 juin 2022 au palais de justice de Trois-Rivières, salle 220.
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