SÉLECTION SOQUIJ : Hébert c. Desjardins Sécurité financière, 2022 QCCS 1886
Par SOQUIJ, Intelligence juridique
ASSURANCE : L’intensité du préjudice moral de l’assuré causé par la violation du contrat d’assurance-invalidité par l’assureur justifie de condamner ce dernier à payer 20 000 $ à titre de dommages moraux.
2022EXP-1486
Intitulé : Hébert c. Desjardins Sécurité financière, 2022 QCCS 1886
Juridiction : Cour supérieure (C.S.), Montréal
Décision de : Juge Janick Perreault
Date : 17 mai 2022
Références : SOQUIJ AZ-51854929, 2022EXP-1486 (24 pages)
ASSURANCE — assurance de personnes — assurance-invalidité — médecin dermatologue — infarctus du myocarde — trouble à symptomatologie somatique chronique — maladie — cessation des prestations — interprétation de «invalidité totale» — incapacité d’accomplir les tâches importantes liées à la profession — intention des parties — fardeau de la preuve — appréciation de la preuve — droit aux prestations — congé de primes — obligation d’agir de bonne foi — souffrance morale découlant d’une violation du contrat — prévisibilité raisonnable lors de la conclusion du contrat — dommage non pécuniaire.
ASSURANCE — assureur et représentant — assureur — assurance-invalidité — refus d’indemniser — obligation d’agir de bonne foi — souffrance morale découlant d’une violation du contrat — prévisibilité raisonnable lors de la conclusion du contrat — dommage non pécuniaire.
DOMMAGE (ÉVALUATION) — dommage moral — assureur — assurance-invalidité — refus d’indemniser — obligation d’agir de bonne foi — souffrance morale découlant d’une violation du contrat — prévisibilité raisonnable lors de la conclusion du contrat.
CONTRAT — interprétation — intention des parties — contrat d’assurance — assurance-invalidité — interprétation libérale — incapacité d’accomplir les tâches importantes liées à la profession.
Demande en réclamation d’une indemnité d’assurance-invalidité et en dommages moraux (20 000 $). Accueillie.
Le 2 novembre 2014, l’assuré a subi un infarctus du myocarde sévère. À cette époque, il exerçait la profession de médecin dermatologue au sein de sa clinique privée. Ayant été contraint d’arrêter de travailler, il a déposé une demande de prestations d’assurance-invalidité auprès de son assureur. Celui-ci a reconnu une invalidité totale pour la période du 3 février au 31 mars 2015. Par la suite, il a admis une invalidité partielle temporaire jusqu’au 7 octobre, inclusivement. L’assuré soutient être encore dans un état d’invalidité totale puisqu’il est incapable d’accomplir les principales tâches liées à ses fonctions professionnelles habituelles de médecin spécialiste exploitant une clinique privée de dermatologie. Il réclame donc les prestations d’invalidité totale prévues à sa police d’assurance pour la période du 1er avril 2015 jusqu’à la date du présent jugement ainsi que celles qu’il recevra à l’avenir. En plus de l’exonération des primes, l’assuré souhaite également obtenir 20 000 $ en raison du préjudice moral occasionné par le traitement de sa réclamation par l’assureur.
Décision
Lorsqu’une police d’assurance fait référence, comme en l’espèce, à la «propre profession», l’analyse doit être particularisée à la situation de l’assuré (in concreto), et non par rapport à l’exercice de la profession médicale en général (in abstracto). L’analyse doit porter sur la capacité de ce dernier à exécuter les tâches qu’il accomplissait auparavant, et non sur sa capacité à exécuter celles accomplies habituellement par une personne ayant la même occupation. Par ailleurs, selon la jurisprudence, la notion d’«invalidité totale» doit être analysée dans le sens d’une incapacité «substantielle» de l’assuré à accomplir les tâches importantes et régulières de sa profession soit, autrement dit, les tâches qui ne sont pas occasionnelles, mais plutôt habituelles.
En l’espèce, la preuve démontre que la condition cardiaque de l’assurée n’est pas invalidante en soi. Cependant, depuis son infarctus, ce dernier éprouve divers problèmes, dont l’étiologie pour plusieurs est de nature psychiatrique. Son trouble à symptomatologie somatique chronique, en lien avec l’antécédent d’infarctus du myocarde, d’intensité modérée, l’invalide et le rend incapable d’accomplir les principales tâches associées à ses fonctions professionnelles habituelles. En outre, la preuve non contredite démontre que l’assuré souffre d’une maladie aux termes de la police d’assurance, à savoir une détérioration de la santé ou un désordre de l’organisme constaté par un autre médecin. Il y a donc lieu de conclure qu’il est totalement invalide au sens de la police d’assurance, et ce, depuis son infarctus. En conséquence, il avait droit à des prestations d’invalidité à compter du 1er avril 2015 ainsi qu’à l’exonération des primes prévues au contrat d’assurance.
Quant à la réclamation de dommages moraux, il faut d’abord déterminer si le contrat d’assurance-invalidité visait notamment à procurer un avantage psychologique qui ferait en sorte que, au moment de sa conclusion, les parties pouvaient raisonnablement prévoir que la violation du contrat leur causerait une souffrance morale. Or, un contrat qui stipule que l’assureur, en contrepartie du paiement de primes, versera des prestations à un assuré en cas d’invalidité ne constitue pas un simple contrat commercial. Il s’agit plutôt d’un contrat procurant des avantages matériels. Si l’assuré devient invalide et que l’assureur omet de verser les prestations prévues à la police, ce dernier porte atteinte à cette expectative raisonnable de sécurité. La souffrance morale est donc une conséquence que les parties liées par un contrat d’assurance-invalidité peuvent raisonnablement prévoir, advenant un manquement à l’obligation de verser les prestations prévues. En outre, il faut évaluer si la souffrance morale est suffisamment importante pour justifier une indemnisation. En l’espèce, le contrat visait notamment à assurer un avantage psychologique puisque, en adhérant au contrat d’assurance délivré par l’assureur, l’assuré cherchait à se prémunir contre les risques financiers associés à la survenance d’une invalidité. Or, il a été démontré que, après avoir reconnu l’invalidité totale à l’expiration du délai de carence, l’assureur n’a informé son assuré que le 7 août 2015 du fait qu’il cessait de le reconnaître comme invalide depuis le 31 mars précédent. À aucun moment avant l’introduction des procédures l’assureur n’a fourni de motifs détaillés de refus à l’assuré, malgré les demandes claires et précises de celui-ci en ce sens. De plus, l’assureur n’a pas cherché à enquêter sur les causes des symptômes rapportés par ce dernier ni sur l’effet de ceux-ci sur sa capacité à accomplir ses principales tâches.
L’assureur a l’obligation contractuelle de gérer les réclamations de bonne foi et de manière objective en effectuant une enquête complète. Dans le présent dossier, l’opacité du processus décisionnel de l’assureur et l’absence de motivations quant à la décision ont obligé l’assuré à entreprendre des procédures judiciaires. Même si les dommages-intérêts réclamés pour la souffrance morale causée par la violation du contrat sont indépendants de toute circonstance aggravante et reposent entièrement sur les attentes qu’avaient les cocontractants au moment de la formation du contrat, la conduite de l’assureur, jumelée à la détresse morale ressentie par l’assuré en raison des agissements de ce dernier, justifie l’attribution d’une somme de 20 000 $ à titre de dommages moraux.
Le texte intégral de la décision est disponible ici
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