La Loi sur la protection de la jeunesse : quels changements depuis la tragédie de la fillette de Granby?
Par Josée Verreault, avocate
Le décès de la fillette de Granby, survenu en avril 2019, est l’élément déclencheur de la réforme de la Loi sur la protection de la jeunesse[1]. La Commission spéciale sur les droits des enfants et la protection de la jeunesse, dès lors mise sur pied pour examiner les dispositifs de protection de la jeunesse, dépose son rapport en avril 2021[2]. L’adoption, le 14 avril 2022, de la Loi modifiant la Loi sur la protection de la jeunesse et d’autres dispositions législatives[3] vient, notamment, répondre à certaines des recommandations émises dans ce rapport[4].
Préambule
L’article 1 de la Loi introduit un préambule visant à faciliter l’interprétation de la LPJ et son application par les différents acteurs et intervenants.
Commentaire du Législateur
Le préambule énonce les principes fondamentaux devant guider la mise en œuvre de la LPJ[5].
Intérêt de l’enfant
Selon le Législateur, le but premier de la réforme consiste à faire de l’intérêt de l’enfant la considération primordiale dans toute décision prise à son sujet et dans l’application de la LPJ[6]. Ce point est réitéré à maintes reprises dans la Loi[7].
Loi d’exception
La Loi insère dans le préambule, au troisième considérant, le principe établi voulant que l’enfant ait droit à la protection, la sécurité et l’attention que ses parents ou les personnes en tenant lieu peuvent lui donner[8]. De plus, le quatrième considérant qualifie la protection des enfants de responsabilité collective exigeant la mobilisation de l’ensemble des ressources du milieu[9].
Commentaire du Législateur
Ces principes visent à souligner que l’application de la LPJ est d’exception et que la prévention par l’aide aux familles, qui demeurent la source primaire des services pour leurs enfants, est à privilégier, sauf dans des cas exceptionnels, de même qu’à établir l’intention d’offrir plus de services aux familles, afin de limiter l’intervention de l’État[10].
Par ailleurs, la Loi modifie la Loi sur le ministère de la Santé et des Services sociaux[11] pour imposer l’obligation au ministre responsable de promouvoir les mesures propres à répondre aux besoins des enfants et des familles vulnérables ou à prévenir les situations de compromission.
Directeur national de la protection de la jeunesse
La Loi prévoit la nomination par le gouvernement d’un directeur national de la protection de la jeunesse[12] et lui confie plusieurs responsabilités[13], dont celle d’assurer le suivi des trajectoires des enfants pris en charge par un directeur et des effets des interventions ainsi que celle de déterminer les orientations et les normes de pratique clinique applicables par les directeurs.
Commentaire du Législateur
Le but de l’introduction du rôle de directeur national est l’harmonisation des pratiques auprès des enfants vulnérables[14].
Le directeur national a le pouvoir d’enquêter et de prendre diverses mesures de redressement, s’il constate qu’un directeur n’applique pas les orientations ou les normes de pratique clinique, commet une faute grave ou tolère une situation susceptible de compromettre la sécurité ou le développement d’un enfant, allant jusqu’à confier les responsabilités d’un directeur à un autre[15].
Fratrie et Projet alternatif
Le principe voulant que le maintien de l’enfant dans son milieu familial doive être privilégié demeure[16]. Cependant, la Loi ajoute que, lorsqu’un enfant est retiré de son milieu familial, le maintien de l’enfant avec sa fratrie dans un même milieu de vie substitut doit être favorisé[17].
De plus, la Loi impose au directeur l’obligation de planifier un projet alternatif visant à assurer sans délai et de façon permanente la continuité des soins et la stabilité des liens et des conditions de vie de l’enfant, dans le cas où le retour dans son milieu familial n’est pas dans son intérêt[18].
Commentaire du Législateur
« Ainsi, s’il s’avère que son retour dans son milieu familial n’est pas possible, un projet aura déjà été élaboré, l’objectif étant de prévoir ainsi un outil pour s’assurer de respecter les délais maximaux de placement »[19].
Renseignements confidentiels
La Loi permet également, dans certaines circonstances, la communication au directeur de la protection de la jeunesse de certains renseignements confidentiels détenus, notamment, par des organismes et des professionnels, et ce, à toute étape de l’intervention[20]. La définition d’organisme est, d’ailleurs, élargie afin de favoriser la divulgation d’informations[21].
Violence conjugale
La Loi définit l’exposition à la violence conjugale et l’introduit à titre de motif de compromission[22]. Dans un tel contexte, la décision visant à déterminer si un signalement doit être retenu doit, entre autres, prendre en compte cinq facteurs spécifiques, dont les conséquences sur l’enfant[23].
Mesures pour faciliter le passage à la vie adulte
Une ordonnance confiant un enfant à un milieu de vie substitut cesse d’avoir effet lorsque l’enfant atteint l’âge de 18 ans[24]. L’importance de faciliter le passage d’un enfant à la vie adulte est le huitième considérant inséré dans le nouveau préambule de la LPJ[25].
La Loi prévoit, ainsi, que dans les deux années précédant les 18 ans de l’enfant, le directeur doit convenir avec lui d’un plan de transition et l’informer des services de soutien offerts et de la possibilité de rester dans son milieu de vie substitut conformément à l’article 64.1 LPJ[26].
Le directeur peut, dans les six mois précédant l’échéance pour cause de majorité de l’ordonnance confiant l’enfant à un milieu de vie substitut, autoriser des séjours prolongés de l’enfant dans un des milieux visés à l’article 62.1 al. 2 LPJ ou un autre milieu prévu au plan d’intervention[27].
La Loi modifie, d’ailleurs, la L.m.s.s.s. pour enjoindre le ministre de prendre les mesures pour faciliter le passage à la vie adulte des jeunes de moins de 26 ans ayant été pris en charge[28].
Dispositions particulières applicables aux autochtones
La Loi considère que les autochtones sont les mieux placés pour répondre aux besoins de leurs enfants de la manière la plus appropriée[29]. Le Chapitre V.1 est, dès lors, introduit[30]. Il regroupe les dispositions particulières aux autochtones et prévoit de nouvelles dispositions afin de tenir compte des facteurs historiques, sociaux et culturels qui leur sont propres[31].
Il est, notamment, prévu que toute décision prise en vertu de la LPJ, concernant un enfant autochtone, doit favoriser la continuité culturelle de cet enfant[32]. De ce fait, le recours aux soins coutumiers et traditionnels disponibles doit être considéré par les intervenants[33].
La Loi détermine également des facteurs additionnels à ceux prévus à l’article 3 LPJ qui doivent être pris en considération dans la détermination de l’intérêt d’un enfant autochtone, dont la culture de sa communauté, ses liens avec sa famille élargie et les personnes de sa communauté ainsi que les traumatismes sociohistoriques et les conditions socioéconomiques des autochtones[34].
L’ordre de priorité suivant doit être respecté à l’égard du milieu de vie substitut auquel un enfant autochtone est confié : sa famille élargie ; des membres de sa communauté ; des membres d’une autre communauté de la même nation ; des membres d’une autre nation ; tout autre milieu[35].
À consulter !
Le texte intégral de la Loi modifiant la Loi sur la protection de la jeunesse et d’autres dispositions législatives est disponible ici.
Autres références
Le texte intégral de la Loi sur la protection de la jeunesse est disponible ici.
Le texte intégral de la Loi sur le ministère de la Santé et des Services sociaux est disponible ici.
Le texte intégral du rapport de la Commission spéciale sur les droits des enfants et la protection de la jeunesse est disponible ici.
Les fascicules de l’étude détaillée du projet de loi no 15 sont disponibles ici.
[1] RLRQ, c. P-34.1 (ci-après, la « LPJ »).
[2] Commission spéciale sur les droits des enfants et la protection de la jeunesse, Instaurer une société bienveillante pour nos enfants et nos jeunes, Rapport, Québec, avril 2021.
[3] L.Q. 2022, c. 11 (ci-après, la « Loi »). Les dispositions de la Loi sont en vigueur depuis le 26 avril 2022, sauf exception (art. 73 Loi).
[4] L’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées ainsi que la Commission d’enquête sur les relations entre les Autochtones et certains services publics au Québec : écoute, réconciliation et progrès ont également émis des recommandations auxquelles la réforme tente de répondre. Voir : Ministère de la Santé et des Services sociaux, S’engager pour nos enfants – Adoption du projet de loi modifiant la Loi sur la protection de la jeunesse, Communiqué, Québec, 14 avril 2022.
[5] Québec, Assemblée nationale, Journal des débats de la Commission de la santé et des services sociaux, 2e sess., 42e légis., fasc. no 9, 22 février 2022, « Étude détaillée du projet de loi no 15, Loi modifiant la Loi sur la protection de la jeunesse et d’autres dispositions législatives » (version préliminaire), 9 h 50 (M. Carmant).
[6] Id.
[7] Art. 1, 5, 6, 11, 40, 55 et 60 Loi ; préambule, deuxième considérant, et art. 3, 4, 4.1, 4.2, 4.6, 9.1, 72.6, 91.1, 131.4, 131.5 et 131.18 LPJ.
[8] Voir : Charte des droits et libertés de la personne, RLRQ, c. C-12, art. 39 ; Code civil du Québec, RLRQ, c. CCQ-1991, art. 32.
[9] Voir, d’ailleurs, le nouvel objet inséré à l’article 2 al. 1 LPJ.
[10] Québec, Assemblée nationale, Journal des débats, préc., note 5, 11 h 00 et 12 h 10 (M. Carmant).
[11] RLRQ, c. M-19.2, art. 3 al. 1, s.-al. p) (ci-après, la « L.m.s.s.s. ») ; art. 65 Loi.
[12] Art. 66 Loi ; art. 5.1.1 L.m.s.s.s.
[13] Art. 16 Loi ; art. 29 LPJ.
[14] Québec, Assemblée nationale, Journal des débats, préc., note 5.
[15] Art. 16 Loi ; art. 30.2 à 30.4 LPJ.
[16] Art. 4 LPJ.
[17] Art. 6 Loi ; art. 4.1 LPJ.
[18] Art. 6 Loi ; art. 4.2 LPJ.
[19] Québec, Assemblée nationale, Journal des débats, préc., note 5, fasc. no 10, 23 février 2022, 15 h 35 (M. Carmant). Voir les délais maximaux de placement prévus à l’article 53.0.1 LPJ.
[20] Art. 20 Loi ; art. 35.4 LPJ. L’article 35.4 entre en vigueur le 26 avril 2023 (art. 73 (1) Loi). Voir également l’article 6 de la Loi, qui précise que les conditions d’une loi qui doivent être remplies pour communiquer des renseignements confidentiels concernant l’enfant ou ses parents doivent être interprétées de manière à favoriser cette communication, lorsqu’elle est dans l’intérêt de cet enfant ou qu’elle vise à assurer la protection d’un autre enfant (art. 4.6 LPJ). Voir : Québec, Assemblée nationale, Journal des débats, préc., note 5, fasc. no 14, 22 février 2022, 16 h 10 (M. Carmant).
[21] Art. 2 Loi ; art. 1 al. 1, s.al. d) LPJ ; Québec, Assemblée nationale, Journal des débats, préc., note 5, 17 h 22 (M. Carmant et M. Zanetti). L’élargissement de la définition d’organisme a également une conséquence sur la divulgation de renseignements confidentiels prévue à l’article 72.7 LPJ in fine. À ce sujet, voir : Québec, Assemblée nationale, Journal des débats, préc., note 5, fasc. no 16, 22 février 2022, 16 h 50 (M. Carmant, Mme Weil et M. Provençal).
[22] Art. 27 Loi ; art. 38 al. 1 et al. 2, s.-al. c.1) LPJ. Ces dispositions entrent en vigueur le 26 avril 2023 (art. 73 (1) Loi).
[23] Art. 28 Loi ; art. 38.2.2 al. 1, s.-al. a) LPJ.
[24] Art. 64.1 LPJ.
[25] Art. 1 Loi.
[26] Art. 36 Loi ; art. 57.2.2 LPJ. Cet article entre en vigueur le 26 avril 2023 (art. 73 (1) Loi). L’article 64.1 LPJ n’est, cependant, pas de droit nouveau.
[27] Art. 37 Loi ; art. 62.1 al. 3 LPJ. Cette disposition entre en vigueur le 26 avril 2023 (art. 73 (1) Loi).
[28] Art. 65 Loi ; art. 3 al. 1, s.-al. q) L.m.s.s.s.
[29] Art. 1 Loi ; préambule, 10e considérant, LPJ.
[30] Art. 60 Loi ; art. 131.1 à 131.26 LPJ. Les articles 131.6, 131.7 et 131.9 à 131.13 entrent en vigueur à la date déterminée par le gouvernement (art. 73 (2) Loi).
[31] Art. 60 Loi ; art. 131.1 LPJ. Ce principe fondamental constitue également le 12e considérant du préambule.
[32] Art. 131.3 al. 1 LPJ. Voir également l’article 131.1 al. 1, s.-al. b) LPJ.
[33] Art. 131.3 al. 2 LPJ.
[34] Art. 131.4 LPJ.
[35] Art. 131.5 LPJ.
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