La recherche de la vérité : l’ordonnance de prélèvement d’un échantillon d’ADN en contexte d’agression sexuelle
Par Sophie Estienne, avocate et Daphné Duval, avocate
La filiation biologique paternelle, contrairement à celle maternelle, n’est pas si évidente. Grâce aux progrès scientifiques des dernières années, et à la mise au point de test ADN, il est possible désormais de confirmer avec une certitude quasi absolue la filiation biologique. Cette vérité biologique est favorisée par le Code civil du Québec, notamment en accordant aux tribunaux québécois la compétence d’ordonner un test ADN dans le cadre d’une action relative à la filiation, pourvu qu’il y ait un commencement de preuve ou des indices suffisamment graves. Toutefois, le caractère consensuel ou non consensuel de la relation sexuelle qui mène à la naissance d’un enfant a-t-elle une portée sur l’établissement de cette filiation ? C’est la question soulevée dans l’affaire Droit de la famille – 22954, 2022 QCCS 2115.
Contexte
En 2020, le demandeur est déclaré coupable de plusieurs chefs d’accusation reliés à quatre victimes, dont l’une est la mère de l’enfant, la défenderesse. À son endroit, il est reconnu coupable d’agression sexuelle et de voies de fait commis le 5 juillet 2019[1].
Condamné à une peine de 63 mois de prison, il apprend que la victime a donné naissance à un garçon, X. Convaincu que l’enfant est le sien en raison de la relation sexuelle non protégée du 5 juillet 2019, il intente un recours en reconnaissance de paternité et ordonnance de sauvegarde[2]. Plus précisément, le 12 janvier 2022, il signifie à la défenderesse une demande interlocutoire pour l’obtention d’un test d’ADN. Évidemment, l’identité du père de X n’est pas déclarée à son certificat de naissance.
D’une part, le demandeur soumet, à titre de preuve, le témoignage de la défenderesse rendue lors des représentations sur la peine relatives aux accusations criminelles, dans lequel cette dernière fait, à son avis, un aveu judiciaire, en ces termes :
Je ne pensais pas qu’il aurait été capable de faire ça. Depuis que ça s’est passé, ça fait bientôt deux ans, j’ai eu un petit garçon à cause de cet évènement. Je l’ai gardé parce que je n’avais plus aucune raison… c’est la seule raison qui m’a aidée à continuer.
[…]
Je veux juste être sûre que mon garçon soit en sécurité. Je ne veux pas qu’il approche. C’est mon garçon à moi, pas à lui.[3]
Essentiellement, le demandeur croit avoir « le droit de savoir »[4].
D’autre part, la défenderesse exprime ses craintes vis-à-vis du demandeur et son témoignage souligne la volonté que son agresseur ne soit, en aucun cas, impliqué dans sa vie ou celle de X[5].
Décision
De manière préalable à son analyse, la Cour rappelle que l’unique demande dont elle est saisie en la présente instance est d’autoriser le prélèvement d’une substance corporelle chez l’enfant afin d’établir son identité génétique. En l’espèce, il n’est ni question de déterminer si le demandeur détient des capacités parentales adéquates ni à déterminer ses droits d’accès[6].
Afin de trancher une telle question en matière de filiation, les tribunaux appliquent les principes juridiques énoncés aux articles 532 et suivants C.c.Q. À la lumière de ces principes, l’honorable juge Isabelle Germain énonce qu’il est de la compétence de la Cour d’ordonner un test d’ADN s’il y a commencement de preuve ou si les présomptions ou indices résultant de faits déjà clairement établis par celui-ci sont assez graves pour justifier l’ordonnance recherchée[7].
En l’espèce, il existe des présomptions ou indices suffisamment graves. En plus de l’aveu judiciaire fait lors des observations sur la peine, la date de l’agression concorde avec celle de la conception de l’enfant[8]. La mère a visité à plusieurs reprises la mère du demandeur et elle a reçu de l’argent de cette dernière qui proviendrait du demandeur[9]. En outre, il faut tirer une inférence négative de son refus de soumettre son fils à un test d’ADN, en ce que ce refus est uniquement motivé par son désir de ne pas savoir qui est le père de l’enfant[10].
En droit québécois, la jurisprudence a reconnu à plusieurs reprises que le droit de l’enfant de connaître sa filiation biologique avec ses parents s’insère dans le cadre de l’article 33 C.c.Q., qui traite de l’intérêt de l’enfant. Le test d’ADN étant moins invasif qu’un prélèvement sanguin, il sera généralement ordonné au nom de ce droit, et de la recherche de la vérité[11]. L’honorable juge Germain, faisant référence à la décision A.P. c. L.D.[12], précise qu’il n’est pas exceptionnel d’ordonner ce type de prélèvement, même à un stade interlocutoire[13]. En effet, le test d’ADN constitue une preuve dite « […]fiable, dont la valeur probante est indiscutable »[14] qui garantit le droit de l’enfant de connaître ses origines.
Ainsi, au terme de son analyse, la Cour accueille la demande et conclut que « [d]ans les circonstances, seule une preuve scientifique sera de nature à satisfaire l’intérêt de l’enfant et faire la lumière sur l’identité du père »[15].
Commentaires
Cette décision a fait couler beaucoup d’encre en raison de son caractère controversé pour le non-juriste. En effet, dans l’éventualité où le test d’ADN confirme que le demandeur est le père biologique de l’enfant, ce dernier pourra notamment réclamer sa paternité et être inscrit au certificat de naissance de X. Toutefois, du point de vue juridique, il sera possible pour la mère de X d’entreprendre un recours en déchéance de l’autorité parentale, mesure exceptionnelle, ce que le Tribunal ne peut toutefois faire prématurément.
Le texte intégral de la décision est disponible ici.
[1] Droit de la famille – 22954, 2022 QCCS 2115, par. 6.
[2] Id., par. 2.
[3] Id., par. 16.
[4] Id., par. 17.
[5] Id., par. 25.
[6] Id., par. 27.
[7] Art. 535.1 C.c.Q.
[8] Id., par. 34.
[9] Id., par. 43.
[10] Id., par. 40.
[11] Id., par. 33.
[12] A.P. c. L.D., SOQUIJ AZ-50081450.
[13] Droit de la famille – 22954, 2022 QCCS 2115, par. 29.
[14] Id., par. 30.
[15] Id., par. 41.
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