SÉLECTION SOQUIJ : V.M. c. Directeur de l’état civil, 2022 QCCS 3175
Par SOQUIJ, Intelligence juridique
FAMILLE (DROIT) : Dans un contexte de triparentalité, la maternité de l’épouse du père biologique ne peut être établie au stade de l’ordonnance de sauvegarde.
2022EXP-2534 **
Intitulé : V.M. c. Directeur de l’état civil, 2022 QCCS 3175
Juridiction : Cour supérieure (C.S.), Montréal
Décision de : Juge J. Sébastien Vaillancourt
Date : 26 août 2022
Références : SOQUIJ AZ-51876210, 2022EXP-2534 (16 pages)
–Résumé
FAMILLE (DROIT) — filiation — ordonnance de sauvegarde — triparentalité — projet parental — réclamation d’état — maternité — mère biologique — épouse du père biologique — intention du père biologique — inscription au registre du Directeur de l’état civil — apparence de droit — établissement de la filiation — reconnaissance volontaire — préjudice irréparable — prépondérance des inconvénients — intérêt public — urgence.
Demande d’ordonnance de sauvegarde. Rejetée.
Les demandeurs forment un «triangle amoureux» et ils ont décidé d’avoir un enfant à l’égard duquel ils souhaitaient tous avoir les droits et obligations d’un parent. En 2021, ils ont introduit des procédures visant à faire déclarer que le Code civil du Québec (C.C.Q.) permet à un enfant d’avoir plus de 2 parents ou, subsidiairement, à faire déclarer inconstitutionnelles certaines dispositions qui l’interdiraient. En 2022, après la naissance de X, ils ont remis au Directeur de l’état civil un acte de naissance dans lequel la mère biologique et l’épouse du père biologique étaient désignées comme mères de l’enfant. Le père n’a pas déclaré sa paternité dans le formulaire, qui ne prévoit que la possibilité d’identifier 2 parents. Le Directeur a refusé d’établir la filiation telle qu’elle était demandée au motif que le père avait démontré son intention d’établir sa paternité en introduisant le recours de 2021. Il n’a dressé l’acte de naissance qu’avec la filiation biologique de la mère biologique, tout en avisant les parties que la paternité du père pouvait aussi être établie si elles le désiraient.
Au moyen d’une demande d’ordonnance de sauvegarde, les demandeurs réclament essentiellement que la maternité de l’épouse soit établie dès maintenant à l’égard de X, en plus de celle de la mère biologique, et que cette filiation soit inscrite au registre de l’état civil par le Directeur.
Décision
Le Code civil du Québec prévoit actuellement, comme seuls moyens d’établissement de la filiation, la filiation par le sang, la filiation des enfants nés d’une procréation assistée et la filiation par l’adoption. La filiation de X à l’égard de l’épouse ne peut être établie ni par le sang ni par l’adoption. Quant à la procréation assistée, l’article 538 C.C.Q. prévoit que le parent seul ou les conjoints doivent avoir eu recours aux forces génétiques d’une personne qui n’est pas une partie au projet parental. Or, en l’espèce, le père, qui serait l’auteur des forces génétiques, est précisément une partie du projet parental. Pour ce qui est de la reconnaissance volontaire permise par les articles 526 et 527 C.C.Q., il faut tenir compte du fait que ces dispositions figurent également dans le chapitre du Code civil du Québec qui traite de la filiation par le sang. À ce stade des procédures, les demandeurs ne démontrent pas l’existence d’une forte apparence de droit.
En ce qui a trait au préjudice sérieux ou irréparable, il est possible que l’épouse subisse un préjudice si, au cours de la première année de vie de son enfant, elle ne peut prendre un congé d’emploi afin d’être à ses côtés en tout temps, et ce, étant donné qu’elle n’a pas droit aux prestations parentales. Il est aussi vraisemblable que l’enfant subisse un certain préjudice du fait que cette dernière ne pourra être à ses côtés en tout temps pendant cette période. Cependant, la preuve ne permet pas de conclure que les demandeurs sont financièrement incapables de supporter le coût d’un congé sans traitement pour l’épouse. De plus, il faut noter que l’enfant aurait pu bénéficier de la présence de son père, soit d’un deuxième parent, si celui-ci avait choisi de déclarer sa paternité, choix qui aurait aussi permis l’obtention de prestations parentales. Par ailleurs, les demandeurs n’ont pas démontré en quoi l’absence d’un lien biologique, la décision du Directeur et l’impossibilité de bénéficier d’un congé feraient obstacle à l’établissement de liens affectifs entre l’épouse et X. Enfin, le Tribunal ne croit pas que X subira un préjudice irréparable si sa filiation n’est pas immédiatement établie à l’égard de l’épouse.
Quant à la prépondérance des inconvénients, bien que le rejet de la demande d’ordonnance de sauvegarde soit susceptible de causer des inconvénients aux demandeurs, l’intérêt public en subirait aussi si l’ordonnance était rendue. Si l’acte de l’état civil de l’enfant était établi au moyen d’une ordonnance de sauvegarde, laquelle possède un caractère temporaire par définition, il devrait être modifié en cas de jugement sur le fond défavorable aux demandeurs, ce qui serait contraire à l’intérêt public.
Enfin, le critère de l’urgence n’est pas rempli. En effet, le rejet de la demande n’empêche pas l’établissement d’un lien affectif entre l’enfant et l’épouse. Quant au versement de prestations parentales, la preuve d’un préjudice à cet égard n’a pas été faite, d’autant moins que le père pourrait en percevoir s’il déclarait sa paternité.
Le texte intégral de la décision est disponible ici.
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