par
Jeremy van Doorn
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et
Audrey-Anne Arteau
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14 Nov 2022

Exception à l’exclusion du ouï-dire : l’admissibilité d’un témoignage contenant des aveux de l’accusé en preuve

Par Jeremy van Doorn, avocat et Audrey-Anne Arteau, étudiante à l'Université du Québec à Montréal

La Cour suprême, dans l’arrêt R c. Schneider, 2022 CSC 34, devait se prononcer sur l’admissibilité d’un témoignage par ouï-dire relatant des aveux de l’accusé. La Cour procède à l’analyse en trois volets pour déterminer l’admissibilité d’un élément de preuve. Elle confirme la décision de la juge de première instance d’admettre la preuve litigieuse et infirme celle de la majorité de la Cour d’appel de la Colombie-Britannique qui l’avait exclue.

Contexte

Dans le cadre de l’enquête policière pour retrouver la victime portée disparue, Madame Kogawa, le frère de l’accusé collabore avec les forces de l’ordre en leur fournissant l’emplacement de son corps. Le frère a eu connaissance de cette information à la suite de plusieurs conversations avec l’accusé au sujet de la victime. L’intimé a été accusé de meurtre au deuxième degré et d’outrage à un cadavre en vertu des articles 235(1) et 182b) du Code criminel. La Couronne fait témoigner le frère, notamment au sujet d’une conversation qu’il aurait entendu entre l’accusé et son épouse et où il aurait avoué son crime. La question en litige dans cet arrêt est donc sur le plan de l’admissibilité de ce témoignage par ouï-dire.

Décision

Historique des procédures

Décision de première instance

L’accusé plaide coupable au chef d’outrage à un cadavre. Le débat porte donc seulement sur l’accusation de meurtre et sur l’admissibilité du témoignage du frère de la conversation téléphonique entendue.

 La juge du procès considère que l’admissibilité du témoignage du frère dépend de la réponse à la question de savoir (1) s’il y a « certains éléments de preuve » que le jury peut utiliser pour déterminer la signification des paroles que le frère avait entendues, et donc leur pertinence, et (2) si la valeur probante du témoignage l’emporte sur son effet préjudiciable (par. 21).

La juge conclut que même si le frère ne se souvient pas mot à mot des paroles de l’accusé, son témoignage n’est pas inadmissible puisqu’il a saisi « l’essence » de la conversation et que le contexte permet au jury d’y donner un sens. La juge formule une mise en garde aux jurés relativement à ce type de preuve pour atténuer un préjudice potentiel. La valeur probante l’emporte donc sur son effet préjudiciable. Ainsi, la juge du procès admet le témoignage par ouï-dire et le jury déclare l’accusé coupable de l’infraction reprochée (par. 22).

Décision de la Cour d’appel de la Colombie-Britannique

L’accusé se pourvoit en appel et prétend que la juge du procès a fait erreur en admettant le témoignage de son frère portant sur la conversation téléphonique. La Cour d’appel réitère les deux critères d’admissibilité, soit la pertinence et la valeur probante qui l’emporte sur son effet préjudiciable, mais se divise sur la question du contexte à prendre en considération. L’opinion majoritaire conclut qu’il faut uniquement prendre en compte le « micro-contexte » (par opposition au « macro-contexte ») entourant les aveux de l’accusé. En d’autres termes, il faut considérer les paroles prononcées avant et après l’aveu et non le contexte élargi pour déterminer sa signification et par conséquent, sa pertinence (par. 28).

Puisque le frère ne peut se souvenir des mots prononcés avant et après la déclaration de l’accusé, il est impossible pour un jury, même s’il reçoit des directives appropriées, de conclure qu’il s’agit bel et bien d’un aveu. Le critère de la pertinence n’est donc pas respecté et le témoignage ne devrait pas être admis (par. 28).

La majorité accueille la requête, annule la déclaration de culpabilité et ordonne la tenue d’un nouveau procès. La dissidence aurait maintenu la décision du juge et la déclaration de culpabilité.

Motifs

Le ministère public fait appel de plein droit à la Cour suprême. Le juge Rowe, pour la majorité, procède à une analyse en trois volets pour déterminer l’admissibilité de la preuve. Il énonce les critères requis comme suit au paragraphe 36 de ses motifs :

a) La pertinence de l’élément de preuve

b) L’élément de preuve n’est pas visé par une règle d’exclusion

c) Le juge du procès n’a pas écarté l’élément de preuve en exerçant son pouvoir discrétionnaire

  1. La pertinence de l’élément de preuve

En ce qui concerne la pertinence, il faut se demander si la preuve présentée « tend à accroître ou à diminuer la probabilité de l’existence d’un fait en litige » (par. 39). C’est le travail du juge d’évaluer la pertinence en fonction de la logique et de l’expérience humaine (R c. White, 2011 CSC 13, cité au par. 39). Le seuil minimal est relativement peu élevé mais l’élément ne pourra être admis s’il est trop conjectural ou trop équivoque. Pour savoir si cet élément a une signification, il faut prendre en considération les autres éléments de preuve présentés (par. 40 citant R c. Blackman, 2008 CSC 37). Cela s’applique aux aveux puisque :

« [r]ien ne justifie de traiter différemment ces aveux dans la détermination de la pertinence. […] En circonscrivant à l’intérieur d’un cercle étroit les autres éléments de preuve pouvant être pris en compte pour déterminer la pertinence des aveux émanant d’une partie (la distinction entre « micro-contexte » et « macro-contexte »), les juges majoritaires de la Cour d’appel ont commis une erreur de droit. » (par. 42)

En l’espèce, le contexte était suffisant pour donner une signification aux paroles de l’accusé et entendues par son frère sans être conjecturale. Même si le témoignage était équivoque, plusieurs éléments venaient en éclairer le sens. Cela satisfait au seuil de la pertinence et n’aura qu’un impact lors de l’évaluation de la force probante et de la mise en balance avec l’effet préjudiciable (par. 43, 63, 64, 77, voir critère c)).

  1. L’élément de preuve n’est pas visé par une règle d’exclusion

Une des règles d’exclusion est le ouï-dire (par, 46). Certaines exceptions permettent tout de même l’admission en preuve du ouï-dire, notamment lorsqu’il s’agit d’aveux émanant d’une partie (par. 52). Il est alors possible de présenter en preuve ces aveux contre elle, car « une partie ne peut se plaindre de la non-fiabilité de ses propres déclarations » (par. 53, citant R c. Evans, [1993] 3 R.C.S. 653).

Ainsi, bien que le témoignage du frère sur la conversation téléphonique de l’accusé soit du ouï-dire, il s’agit d’un aveu de responsabilité criminelle de sa part. C’est donc une exception à la règle d’exclusion. Le deuxième critère est satisfait (par. 78).

  1. Le juge du procès n’a pas écarté l’élément de preuve en exerçant son pouvoir discrétionnaire

Enfin, dans l’exercice du pouvoir discrétionnaire du juge, celui-ci peut écarter un élément de preuve si son effet préjudiciable est trop élevé par rapport à sa valeur probante. Le juge du procès peut atténuer l’effet préjudiciable en donnant des directives appropriées au jury relativement à l’utilisation de la preuve (par. 59, 60).

La Cour conclut que l’accusé n’a pas réussi à démontrer que la juge de première instance a commis une erreur lors de l’exercice de son pouvoir discrétionnaire puisqu’elle a donné des directives bien structurées au jury pour l’usage du témoignage par ouï-dire. Les directives ont limité les potentiels effets préjudiciables découlant de cette preuve (par. 79-83).

Conclusion

La Cour conclut que c’est à bon droit que le témoignage par ouï-dire du frère a été admis. La Cour suprême accueille l’appel, infirme la décision de la Cour d’appel et rétablit le verdict de culpabilité pour meurtre au deuxième degré.

Le texte intégral de la décision est disponible ici.


Autres références :

R. c. Arp, [1998] 3. R.C.S. 339, AZ-98111103.

R. c. Blackman, 2008 CSC 37.

R. c. Evans, [1993] 3 R.C.S. 653, AZ-93111123.

R. c. Khelawon, 2006 CSC 57.

R. c. White, 2011 CSC 13.

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