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Gabrielle Champigny
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07 Déc 2022

Lancement de la COP 15 à Montréal : théâtre d’avancées historiques pour la préservation de la biodiversité mondiale?

Par Gabrielle Champigny, avocate

C’est aujourd’hui que débute, à Montréal, la 15e réunion de la Conférence des Parties (COP 15) à la Convention sur la diversité biologique (CDB)[1]. Comme l’a affirmé la Secrétaire exécutive de la CDB, Elizabeth Maruma Mrema, la communauté internationale fait face à un « moment de vérité » dans la protection de la nature, devant l’absence d’« avancées nécessaires pour stopper la perte en cours de la diversité des plantes et des animaux sur Terre »[2].

Il s’agit de la première COP sur la biodiversité depuis la sortie, en 2019, du rapport choc de la Plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les systèmes écosystémiques (IPBES) qui a lancé un cri d’alarme à l’échelle mondiale : l’activité humaine menace d’extinction un nombre d’espèces sans précédent – avec plus d’un million d’espèces déjà menacées d’extinction – et « [l]e rythme des changements globaux survenus dans la nature au cours des cinquante dernières années est inédit dans l’histoire de l’humanité »[3].

En pleine crise de la biodiversité, cette grande conférence internationale est susceptible de constituer un pivot important pour la protection de la biodiversité, tant à l’échelle mondiale qu’à l’échelle nationale et locale, alors que les Parties tenteront de s’accorder sur un « Cadre mondial de la biodiversité post-2020 », soit 21 objectifs en matière de protection et de restauration de la biodiversité qui devront être atteints à l’horizon 2030. Ces objectifs visent à remplacer les objectifs internationaux qui avaient été fixés en 2010 pour la décennie 2011-2020, soit les « Objectifs d’Aichi »[4]. Ce renouveau signifiera aussi, pour le Québec et le Canada, une actualisation de leurs cibles relatives à la biodiversité et, potentiellement, de leurs cadres juridiques. Notons que plusieurs outils législatifs québécois existent en lien avec la sauvegarde de la biodiversité. Pensons notamment à la Loi sur la conservation du patrimoine naturel[5], qui encadre la création d’aires protégées, et à la Loi sur les espèces menacées et vulnérables[6], qui veille à la protection et à la gestion des espèces à statut précaire.

Repoussée depuis 2020 en raison de la pandémie de COVID-19, la COP 15 a été scindée en deux parties : la première s’est déroulée à Kunming, en Chine, à l’automne 2021 et la deuxième, en raison des restrictions sanitaires chinoises, a été déplacée à Montréal, où est installé le Secrétariat de la CDB.

Pour souligner cette occasion et jeter un regard nouveau sur cet événement d’envergure, le Blogue du CRL s’est entretenu avec M. Cyril Frazao, directeur général par intérim et directeur exécutif chez Nature Québec.

Q : Nature Québec est enregistré comme observateur à la COP. Pouvez-vous nous parler de Nature Québec et de son rôle et son implication dans le cadre de la COP 15?

R : Nature Québec est un organisme à but non lucratif qui agit pour la protection de l’environnement et la conservation de la biodiversité depuis 1981. Ses actions s’articulent autour de quatre enjeux principaux : 1) les enjeux forestiers, pour viser une meilleure gestion intégrée des forêts; 2) les enjeux de biodiversité, à savoir comment mieux protéger les espèces menacées et vulnérables; 3) les enjeux climatiques, au niveau de la transition énergétique et au niveau de l’amélioration de la réglementation pour atténuer les effets des changements climatiques; et 4) les enjeux d’environnement urbain, via le programme Milieux de vie en santé, qui nous permet d’améliorer les milieux de vie pour les populations plus vulnérables dans les villes, notamment par le verdissement.

Nature Québec est aussi l’un des huit membres du comité de pilotage du Collectif COP 15. Ce Collectif regroupe environ 80 organisations provenant de domaines variés. Cette large concertation démontre l’importance de la biodiversité dans tous les aspects du quotidien. La COP 15 est la deuxième conférence internationale majeure en l’espace d’à peine un mois, succédant à la COP 27 sur le climat, qui a eu lieu à Charm-El-Cheikh du 6 au 18 novembre dernier. Cette conjoncture représente une opportunité de mettre en relief les interrelations entre les enjeux de climat et de biodiversité. La biodiversité est à la base du vivant, mais les changements climatiques constituent l’une des cinq causes directes à la perte de biodiversité.

Dans ce contexte, le Collectif COP 15 veille à véhiculer l’information et mobiliser les citoyens, dans le cadre de conférences présentées par plus d’une cinquantaine d’organisations et dans le cadre des Dialogues pour la biodiversité, qui permettront de faire un retour quotidien sur les négociations internationales qui ont eu lieu au fil de la journée. Le Collectif COP 15 portera aussi ses propres revendications, qui permettront de véhiculer aux gouvernements et aux municipalités des messages forts pour l’adoption de mesures ambitieuses.

Q : Quelle est la place des ONG dans l’organisation d’un tel événement international?

R : Un espace, appelé la « zone bleue », sera aménagé au Palais des Congrès de Montréal. Les ONG qui ont acquis le statut d’observateur pourront s’y rendre pour assister aux négociations via des écrans. Un représentant du Collectif COP 15 pourrait être invité à observer directement les négociations et possiblement obtenir un droit de parole d’un maximum de cinq minutes. Un tel droit de parole est toutefois rarement accordé et dépend de la bonne volonté des chefs d’États.

Les ONG, comme Nature Québec, peuvent toutefois jouer un rôle important dans les activités qui entourent la COP. Une « Zone d’action publique de la COP 15 » sera aménagée pour le public, au Port de Montréal, et une programmation culturelle est prévue au bénéfice des délégués internationaux et du grand public montréalais. À l’UQAM et à la Maison du développement durable, qui accueilleront l’« Espace Générations vivantes », plusieurs conférences auront lieu, notamment celle du 6 décembre 2022 qui portera sur les solutions aux causes sous-jacentes de l’appauvrissement de biodiversité (pour plus d’informations, cliquez ici). Une manifestation pacifique, intitulée « La Grande marche pour le vivant », est organisée par le Collectif COP 15 le 10 décembre pour inciter la prise de mesure à court terme pour protéger la biodiversité et, du même coup, atténuer les effets des changements climatiques (pour plus d’informations, cliquez ici).

Q : Pour Montréal, qu’est-ce que signifie l’accueil de la COP 15 sur la biodiversité?

R : C’est une chance énorme pour le Canada et le Québec d’accueillir cette grande conférence des Nations Unies sur la biodiversité, qui réunit 196 Chefs d’États et qui a lieu seulement aux deux ans, contrairement à la COP sur le climat, qui se réunit annuellement. C’est aussi une opportunité, d’une part, d’apporter plus d’ambition dans un cadre législatif et réglementaire pour la protection de la biodiversité et, d’autre part, de relier la crise climatique et la crise de la biodiversité.

Au Québec, nous avons, à mon avis, l’une des sociétés civiles les plus mobilisées au Canada. C’est une opportunité de se démarquer et d’exercer un leadership au sein du Canada, mais aussi de démontrer au reste de la planète les enjeux majeurs auxquels nous sommes confrontés et les solutions qu’on peut y apporter. Montréal est une métropole qui regroupe une grande diversité de Québécoises et de Québécois. La Ville de Montréal a annoncé l’adoption, le 9 novembre dernier, du plan Montréal : territoire de biodiversité par la protection des pollinisateurs 2022-2027[7] afin de mettre la table et de montrer l’exemple en vue de la COP 15[8]. Ce plan est très intéressant et démontre l’avant-gardisme de Montréal – en tant que gouvernement municipal – face à la protection du territoire, aux espaces verts et à l’accès à la nature. En ce sens, elle est susceptible d’inspirer d’autres villes québécoises, et même à l’international, à faire de même.

Q : Quels sont les objectifs principaux de la COP 15 et, selon vous, quelles sont les plus importantes thématiques qui y seront abordées?

R : D’abord, la restauration des écosystèmes est essentielle et devra se retrouver au cœur du Cadre mondial de la biodiversité pour l’après-2020[9] que la COP 15 tentera d’adopter. Avec tous les puits de carbone qui sont détruits, les écosystèmes et les espèces – tant animales que végétales – n’arrivent plus à s’adapter aux changements rapides de leur environnement. L’objectif actuellement envisagé est la restauration de 20% des écosystèmes d’ici 2030.

Ensuite, au-delà des projets de restauration, encore faut-il véritablement protéger nos écosystèmes. À cette fin, les États tenteront de s’accorder sur la cible de protection de 30% des milieux naturels terrestres et aquatiques d’ici 2030 et sur le financement d’un plan d’action concret pour y parvenir.  

Il y a aussi la question majeure de la participation et du respect des droits des peuples autochtones. On espère l’instauration de mécanismes de dialogue social pour faciliter la mobilisation des communautés et pour mettre de l’avant leur gestion du territoire. En effet, des solutions de gestion intégrée du territoire existent chez les peuples autochtones et nous pouvons nous en inspirer. Ces solutions sont basées sur une perspective plus respectueuse de la nature, tout en étant intégrées au mode de vie quotidien.

Finalement, un financement « à juste part » des initiatives internationales est un autre enjeu important. Selon ce principe, les pays, comme le Canada, qui contribuent plus fortement à la pollution à l’échelle mondiale depuis l’ère industrielle devraient participer davantage au financement des réponses internationales relatives aux enjeux globaux liés à la crise climatique et à crise de la biodiversité. Un point a d’ailleurs été ajouté à l’ordre du jour de la COP pour un financement supplémentaire destiné à la restauration des écosystèmes dans les pays émergents, qui souffrent en premier lieu de la crise climatique.

Q : Selon vous, quelles sont les retombées politiques et juridiques potentielles de la COP 15 pour le Canada et le Québec?

R : La modernisation de la Loi sur les espèces menacées et vulnérables au Québec et de la Loi sur les espèces en péril au niveau fédéral est un chantier prioritaire, afin de mieux protéger non pas seulement les espèces, mais aussi les habitats essentiels de ces espèces. Sans une telle bonification de la législation, la surexploitation des ressources naturelles par les entreprises industrielles et forestière se poursuit.

En matière d’aires protégées, il faut veiller à consolider les mécanismes de conservation stricte et d’utilisation durable pour gérer les territoires de manière réellement écoresponsable. L’un des moyens pour y parvenir est d’associer la protection stricte d’un noyau de conservation avec des mesures de conservation en milieu privé, autour de ce noyau. Les aires protégées permettent de préserver les puits de carbone et les milieux qui séquestrent les gaz à effet de serre, comme les tourbières, les océans ou les forêts. Ainsi, il s’agit d’un outil important de lutte contre les changements climatiques, qui nous affectent déjà de manière substantielle.

Il pourrait aussi y avoir des retombées au niveau forestier et minier. L’industrie forestière peut jouer un rôle important dans la restauration écologique. Du côté minier, il est essentiel d’inverser la préséance présentement accordée aux titres miniers sur la conservation. Une modernisation de la Loi sur les mines[10] aurait un impact majeur pour la biodiversité au Québec.

Un programme de restauration écologique serait aussi un gain énorme pour le Québec et le Canada. La restauration écologique comprend, par exemple, la diminution de l’impact des chemins forestiers qui fragmentent le territoire d’une espèce menacée comme le caribou. L’absence de programmes de restauration suggère qu’il s’agit d’une question politique épineuse : les fonds publics devraient-ils réparer ce que les entreprises ont détruit? Les entreprises ont une grande responsabilité en matière de restauration, mais les gouvernements doivent aussi faire preuve de courage politique devant cette crise mondiale de la biodiversité. L’impératif de mettre en place des mesures de restauration écologique, qui occupe une place centrale dans les discussions internationales autour de la COP 15, est susceptible de se traduire dans les actions politiques, mais aussi dans les lois et les règlements advenant des réformes législatives à la suite de l’adoption des nouvelles cibles mondiales.

Bref, la COP 15, avec la pression et la mobilisation de la société civile qui l’entourent, pèsera dans la balance pour que l’ambition politique monte d’un cran au Québec et au Canada. Des acteurs clés participent à cette pression. La société civile qui se mobilise est diversifiée, regroupant non seulement des environnementalistes, mais des experts de tous les domaines. Les municipalités, surtout depuis les dernières élections municipales, sont aussi très préoccupées par la protection des milieux naturels sur leur territoire. L’augmentation de la proportion de femmes parmi les élus amène une perspective très intéressante en matière environnementale. S’il y a, en plus, un bon cadre ambitieux adopté à la COP 15, associé à un financement suffisant et des plans de mise en œuvre, ce sera une pression politique importante exercée sur les chefs d’États.

Q : La protection de la nature et de sa biodiversité est-elle compatible avec nos modes de vie et nos politiques économiques?

R : C’est une question sur laquelle on pourrait débattre pendant toute une journée, mais une chose est sûre : la logique de surexploitation de nos espaces naturels doit être inversée si l’on souhaite une réelle protection de la nature et de la biodiversité.

Il y a aussi un certain danger avec les moyens d’actions que le gouvernement du Québec veut mettre en place pour l’adaptation aux changements climatiques, comme l’électrification des transports qui demande l’extraction de plus de minerais, et donc la destruction de milieux naturels. Les milieux naturels représentent des puits de carbone essentiels pour lutter contre les changements climatiques. En détruisant ces puits de carbone, on libère du carbone et on accélère l’effet de serre, en plus d’accélérer la perte de biodiversité. L’électrification des transports n’est donc pas la solution d’adaptation ultime : elle fait partie des mesures de transition, mais elle doit être accompagnée par une sobriété énergétique.

Plutôt que d’être dans une logique de l’« avoir », associée à la possession et à la croissance continue, nous devrions être davantage dans une logique d’« être », de « savoir-être » et de « bien-être » : le bien-être ne peut pas passer uniquement par le matérialisme qui surexploite nos milieux naturels. Un ralentissement est nécessaire et milite vers l’acceptation d’une « décroissance », qui ne doit pas être conceptualisée comme le retrait d’un bien, mais plutôt comme un synonyme de progrès social et technologique, qui nous permet d’adapter nos modes de vie face à la crise climatique et à la crise de la biodiversité.


L’équipe du Blogue du CRL tient à remercier Nature Québec d’avoir accepté notre demande d’entrevue et pour sa précieuse contribution au présent article.


Pour consulter la programmation des conférences et activités organisées par le Collectif COP 15, cliquez ici.

Sur le même thème, voir l’article du Blogue du CRL intitulé « Journée internationale de la diversité biologique : la réforme de la Loi sur la conservation du patrimoine naturel, une recrudescence pour la conservation de la biodiversité? », disponible ici.


[1] Nations Unies, Convention sur la diversité biologique, 5 juin 1992, 1760 R.T.N.U. 79 (n°30619), en ligne : https://www.cbd.int/doc/legal/cbd-fr.pdf.

[2] RADIO-CANADA, Le monde fait face à un « moment de vérité » dans la protection de la nature, 11 octobre 2021, en ligne : https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1830772/cop15-kunming-biodiversite-chine.

[3] PLATEFORME INTERGOUVERNEMENTALE SCIENTIFIQUE ET POLITIQUE SUR LA BIODIVERSITÉ ET LES SERVICES ÉCOSYSTÉMIQUES (IPBES), Résumé à l’intention des décideurs du Rapport de l’évaluation mondiale de l’IPBES de la biodiversité et des services écosystémiques, Bonn, 2019, en ligne : https://ipbes.net/sites/default/files/2020-02/ipbes_global_assessment_report_summary_for_policymakers_fr.pdf, p. 12.

[4] SECRÉTARIAT DE LA CONVENTION SUR LA DIVERSITÉ BIOLOGIQUE, Plan stratégique pour la diversité biologique 2011-2020 et les Objectifs d’Aichi, en ligne : https://www.cbd.int/doc/strategic-plan/2011-2020/Aichi-Targets-FR.pdf.

[5] RLRQ, c. c-61.01. Cette Loi a fait l’objet d’une réforme importante le 19 mars 2021, avec l’entrée en vigueur de la Loi modifiant la Loi sur la conservation du patrimoine naturel et d’autres dispositions, L.Q., 2021, c. 1.

[6] RLRQ, c. E-12.01.

[7] VILLE DE MONTRÉAL, Montréal : territoire de biodiversité par la protection des pollinisateurs 2022-2027, en ligne : https://portail-m4s.s3.montreal.ca/pdf/vdm_plan_montreal_territoire_biodiversite_pollinisateurs_2022.pdf.

[8] CISION, En route vers la COP 15 – La Ville adopte le plan Montréal : territoire de biodiversité par la protection des pollinisateurs 2022-2027, 9 novembre 2022, en ligne : https://www.newswire.ca/fr/news-releases/en-route-vers-la-cop-15-la-ville-adopte-le-plan-montreal-territoire-de-biodiversite-par-la-protection-des-pollinisateurs-2022-2027-887956335.html.

[9] Pour consulter le premier projet de Cadre mondial, daté du 5 juillet 2021, voir : GROUPE DE TRAVAIL À COMPOSITION NON LIMITÉE SUR LE CADRE MONDIAL DE LA BIODIVERSITÉ POUR L’APRÈS 2021, Premier projet de Cadre mondial pour la biodiversité pour l’après-2020, Doc. N.U. CBD/WG2020/3/3 (5 juillet 2021),en ligne : https://www.cbd.int/doc/c/d40d/9884/b8a54563a8e0bf02c1b4380c/wg2020-03-03-fr.pdf.

[10] RLRQ. c. M-13.1.

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