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Gabrielle Champigny
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22 Mai 2022

Journée internationale de la diversité biologique : la réforme de la Loi sur la conservation du patrimoine naturel, une recrudescence pour la conservation de la biodiversité?

Par Gabrielle Champigny, avocate

La Journée internationale de la diversité biologique est célébrée le 22 mai, soit la date de l’adoption de la Convention des Nations Unies sur la diversité biologique en 1992 à Nairobi. À l’occasion du 30e anniversaire de ce point tournant pour la biodiversité mondiale, nous vous proposons un aperçu de la manière dont le cadre juridique québécois aborde la valeur et la richesse de la biodiversité qui caractérise les milieux naturels, en revisitant les mesures de conservation prévues par la Loi sur la conservation du patrimoine naturel[1] (ci-après « LCPN »).

Contexte

La Convention sur la diversité biologique (ci-après « CDB ») commande notamment aux États d’établir un système de zones protégées où des mesures spéciales doivent être prises pour conserver la diversité biologique[2]. Au Québec, un tel système a été mis en place et se retrouve principalement dans la LCPN, adoptée en 2002. Le 19 mars 2021, cette loi a fait l’objet d’une réforme en profondeur, avec l’entrée en vigueur de la Loi modifiant la Loi sur la conservation du patrimoine naturel et d’autres dispositions, L.Q., 2021, c. 1 (ci-après « Loi 46 »).

Nouveaux statuts d’aires protégées

La LCPN prévoit la création d’aires protégées, soit le moyen préconisé pour assurer la conservation des milieux naturels, des espèces et de leur variabilité génétique. Dans l’espoir d’atteindre les objectifs internationaux de la CDB pour 2020, appelés les « Objectifs d’Aichi »[3], le Québec s’est doté d’une cible de 17 % d’aires protégées en milieu terrestre et en eau douce avant cette date butoir. En décembre 2020, le Québec annonçait l’atteinte de cette cible[4]. Les nouvelles orientations du gouvernement pour la période 2021-2030 sont attendues d’ici la fin de l’année 2022.

Avant 2021, il existait cinq types d’aires protégées : la réserve de biodiversité, la réserve aquatique[5], la réserve écologique, le paysage humanisé et la réserve naturelle. Ces statuts varient selon les objectifs poursuivis, les caractéristiques du milieu à protéger et le type d’activités qui y sont interdites. La Loi 46 a ajouté trois statuts additionnels d’aires protégées.

D’abord, elle ouvre la porte à la création d’aires protégées d’initiative autochtone afin de « permettre la conservation d’éléments de la biodiversité et des valeurs culturelles qui lui sont associées qui sont d’intérêt pour une communauté ou une nation autochtone »[6]. Par ce mécanisme, une communauté ou nation autochtone propose au ministre, par écrit, des territoires qu’elle souhaite voir désignées à titre d’aires protégées[7]. Après que le ministre ait tenu les consultations requises auprès des autres ministères, organismes gouvernementaux, communautés autochtones ou municipalités concernées, de même qu’une consultation publique, le gouvernement du Québec peut désigner le territoire comme aire protégée d’initiative autochtone[8].

La seconde catégorie d’aires protégées introduite par la Loi 46 est la réserve marine, qui vise deux principaux objectifs : (1) la protection d’un milieu composé principalement d’eau salée ou saumâtre en raison de l’intérêt de ses caractéristiques biophysiques et (2) la préservation de la représentativité de la biodiversité marine[9]. Y sont interdites notamment les activités de recherche ou d’exploitation de substances minérales, l’exploration d’hydrocarbures, la construction d’oléoducs et de gazoducs et les activités de production, distribution et transport d’électricité à des fins commerciales[10].

La troisième catégorie ajoutée se nomme « aire protégée d’utilisation durable » et relève de la catégorie VI définie par les Lignes directrices produites par l’Union internationale de conservation de la nature (ci-après « UICN ») en 2008[11]. Ce statut vise la protection des écosystèmes et des habitats, mais aussi les valeurs culturelles qui y sont associées. À la différence des autres catégories d’aires protégées, il concerne des zones où la majeure partie est préservée dans des conditions naturelles, mais où l’utilisation des ressources naturelles est également permise. En principe, cette utilisation du territoire doit se faire au bénéfice des populations locales et autochtones[12]. La LCPN renferme peu de précisions quant à la portée de ce concept et les activités qui pourront être exercées sur ces territoires. Néanmoins, la CDB fournit quelques indices. L’utilisation durable y est définie comme « l’utilisation des éléments constitutifs de la diversité biologique d’une manière et à un rythme qui n’entrainent pas leur appauvrissement à long terme et sauvegardent ainsi leur potentiel pour satisfaire les besoins et les aspirations des générations présentes et futures »[13] (Nous soulignons.). L’utilisation durable repose donc sur une vision à long terme. De plus, les Lignes directrices de l’UICN précisent que les activités industrielles en seraient exclues et que l’utilisation devrait être « modérée » et « compatible avec la conservation de la nature »[14]. Le 8 juin 2021, le gouvernement du Québec annonçait déjà un projet pilote d’aire protégée d’utilisation durable sur l’île d’Anticosti[15].

Accélération du processus de désignation et reconnaissance des autres mesures de conservation efficaces

L’un des pans importants de la Loi 46 est l’accélération du processus de désignation d’aires protégées. Avant 2021, la LPCN prévoyait une étape préalable de « mise en réserve » des zones concernées et l’octroi d’un statut « provisoire » de protection. Bien que la mise en réserve soit encore possible[16], la Loi 46 abolit l’étape du statut provisoire. Un statut de protection permanent sera donc automatiquement octroyé aux territoires ciblés, favorisant une préservation plus systématique et rapide de leur biodiversité.

Notons également que la LCPN prévoit maintenant la tenue d’un registre public par le MELCC concernant les « autres mesures de conservation efficaces » des écosystèmes et de leur biodiversité. Cette nouveauté indique un élargissement potentiel du spectre de mesures de conservation recueillies à l’échelle provinciale, au-delà du système d’aires protégées. Bien que ce type de mesures demeure à définir, on pourrait penser, par exemple, aux mesures de conservation volontaire initiées par des propriétaires de terrains privés dans le but de préserver la valeur écologique d’une propriété ou les habitats fauniques et floristiques qui s’y trouvent[17].

Impact du régime d’aires protégées en territoire forestier

La LCPN interdit explicitement la réalisation d’« activités d’aménagement forestier », au sens de l’article 4 de la Loi sur l’aménagement durable du territoire forestier[18] (ci-après « LADTF »), à des fins commerciales pendant la mise en réserve d’une nouvelle aire protégée, ainsi que dans une réserve de biodiversité[19], sous réserve des exceptions qui y sont prévues. Le régime d’aires protégées interagit ainsi avec le régime de la LADTF, que la Loi 46 a d’ailleurs modifié afin de permettre la protection des forêts humides de haute valeur écologique ou de grande importance pour le maintien de la diversité biologique, où les activités d’aménagement forestier sont interdites[20].

Un jugement récent de la Cour supérieure du Québec, rendu sous l’ancien régime de la Loi sur les forêts[21], a reconnu que la préservation de la biodiversité par l’établissement d’une aire protégée représente un impératif public et prime sur des activités forestières potentielles, y compris des possibles droits de coupe – antérieurement planifiés – à l’intérieur d’une unité d’aménagement forestier. En effet, dans l’affaire Compagnie Commonwealth Plywood ltée c. Procureur général du Québec[22], une entreprise forestière bénéficiait de contrats d’approvisionnement et d’aménagement forestier (« CAAF ») qui lui conféraient le « droit d’obtenir annuellement un permis d’intervention pour la récolte d’un volume de bois d’essences déterminées sur le territoire public, sujet à certaines conditions »[23]. En vertu de la LCPN, des parties de ces mêmes territoires ont fait par la suite l’objet d’une désignation à titre de réserves de biodiversité projetées, dans lesquelles les activités forestières étaient alors interdites. L’entreprise a donc réclamé des dommages au MELCC, lui reprochant de ne pas avoir respecté ses engagements contractuels et légaux et/ou d’avoir procédé à une expropriation déguisée[24]. Sa demande a finalement été rejetée par l’honorable juge Johanne Mainville, j.c.s.

« [188]      Force est de constater que les CAAF sont assujettis à des impératifs d’intérêt public qui dépassent le simple intérêt commercial du bénéficiaire.

[189]     Tel que discuté, l’article 77.4 LsF prévoit que s’il y a une modification des aires destinées à la production forestière qui donne lieu à une réduction de la possibilité forestière, le ministre peut réduire les volumes.

[190]     Également, tel que préalablement discuté, l’article 77.5 LsF prévoit un mécanisme d’indemnisation administrative, soit 

              i.     la substitution d’une aire équivalente à l’aire soustraite, dans la mesure que la possibilité forestière le permette (alinéa 1);

            ii.     une juste indemnité administrative fixée par le ministre d’après la valeur des activités d’aménagement forestier réalisées qui n’ont pas fait l’objet de crédits en paiement des droits (alinéa 2). 

[191]     Par ailleurs, l’article 50 LsF prévoit que le territoire d’aménagement prévu au contrat peut être modifié pendant la durée du contrat, notamment en application de l’article 77.5 :

50. Le territoire d’aménagement prévu au contrat ne peut être modifié pendant la durée du contrat si ce n’est lors de la révision quinquennale prévue à l’article 77 ou en application des articles 77.5, 80, 81, 81.1 ou 81.2.

[192]     Enfin, l’article 86 LsF prévoit spécifiquement que le permis d’intervention autorise le bénéficiaire à récolter dans l’unité d’aménagement un volume de bois durant la période de validité du plan annuel et sous réserve des réductions faites en application de la loi.

[193]     Ainsi, il ressort des dispositions de la LsF, et incidemment du CAAF, que le ministre des RNF peut unilatéralement et sans le consentement du bénéficiaire :

      i.        modifier les aires destinées à la production forestière (art. 35.15 LsF);

   ii.        calculer les nouvelles possibilités annuelles de coupe (art. 35.16 LsF);

   iii.        réduire les volumes attribués initialement au CAAF (art. 77.4 LsF).

[194]     Ces modifications possibles aux aires, aux possibilités annuelles de coupes et aux volumes attribués étaient connues de Commonwealth lors la signature de ses CAAF et constituaient donc des scénarios possibles et envisagés par les parties. Il s’agit ainsi d’aléas contractuels connus lors de la signature des CAAF assumés en toute connaissance par Commonwealth.

[195]     Troisièmement, comme tout autre bénéficiaire de CAAF, Commonwealth ne détient aucun droit de propriété sur les forêts publiques en vertu de ses CAAF, ni sur les volumes attribués par ses CAAF avant que le bois ne soit coupé et livré. Comme le prévoit l’article 8 LsF :

8.   Le bois qu’un permis d’intervention autorise à récolter demeure en pleine propriété dans le domaine de l’État tant qu’il n’a pas été abattu et livré à la destination prévue au permis, à moins que les droits prescrits n’aient été entièrement acquittés.

[196]     Quatrièmement, il ressort clairement de la preuve que la création des AP et la mise en place de TI relèvent de considérations prises dans l’intérêt public. Ce ne sont pas des décisions prises de mauvaise foi ou dans un but détourné, ce qui aurait pu changer la donne. Il s’agit plutôt de décisions prises de bonne foi par le gouvernement dans l’intérêt public tel qu’il le conçoit, ce qui est le rôle et même le devoir de tout gouvernement responsable.

[…]

[212]     En conclusion, quant à la nature des droits conférés par les CAAF, il appert des dispositions de la LsF et des CAAF, que Commonwealth ne détient pas des droits perpétuels et absolus de récolte garantie sur la superficie des territoires d’aménagement convenus du seul fait qu’elle se soit conformée à ses obligations. Elle détient plutôt un droit d’exploiter la forêt du domaine public à l’exclusion des tiers dans l’unité d’aménagement convenue à ses CAAF pour des volumes estimés de récolte. Ce droit d’exploitation est toutefois sujet à des modifications possibles aux aires destinées à la production forestière, aux possibilités annuelles de coupe à rendement soutenu et aux volumes attribués initialement selon des décisions ministérielles ou gouvernementales prises de bonne foi dans l’intérêt public, dans la mesure que ces décisions ne constituent pas un abus de droit. » (Nous soulignons.)

Commentaire

À la lumière de cette brève revue du régime d’aires protégées de la LCPN, tel que modifié par la Loi 46, il est possible de constater la vaste gamme d’outils législatifs dont dispose le gouvernement provincial. Toutefois, ces mesures sont évidemment tributaires d’une volonté politique forte et constante de préserver la biodiversité des écosystèmes qui demeurent intacts sur le territoire du Québec. La spécificité de la situation québécoise tient surtout au fait que son territoire est d’une superficie imposante et sa biodiversité est hautement variable entre le Sud, où elle est particulièrement forte, et le Nord, où elle est plus faible. Puisque les milieux urbanisés et agricoles occupent davantage le Sud de la province, la détérioration de la biodiversité s’exerce principalement là où elle est la plus riche. Des mesures complémentaires de conservation et de restauration de milieux naturels sont donc nécessaires pour prévenir cette perte de biodiversité à laquelle les aires protégées peuvent plus difficilement permettre de pallier[25]. À cet égard, les municipalités et les organismes de conservation constituent des acteurs clés afin d’élever d’un cran la protection de la biodiversité au Québec et la contribution aux objectifs internationaux auxquels la CDB nous convie.

Pour en savoir davantage sur les pouvoirs municipaux en matière de préservation des milieux naturels, vous pouvez consulter ici le billet du Blogue du CRL sur la récente décision Pillenière, Simoneau c. Ville de Saint-Bruno-de-Montarville.

Le texte intégral de la Loi 46 est disponible ici.


[1] RLRQ, c. c-61.01. [ci-après : « LCPN »]

[2] Nations Unies, Convention sur la diversité biologique, 1992, en ligne : https://www.cbd.int/doc/legal/cbd-fr.pdf [ci-après : « CDB »], art. 8.

[3] Secrétariat de la Convention sur la diversité biologique, Plan stratégique pour la diversité biologique 2011-2020 et les Objectifs d’Aichi, en ligne : https://www.cbd.int/doc/strategic-plan/2011-2020/Aichi-Targets-FR.pdf.

[4] Gouvernement du Québec, « Québec respecte son engagement et réussit à protéger 17 % de son territoire terrestre et d’eau douce », 17 décembre 2020, en ligne : https://www.quebec.ca/nouvelles/actualites/details/quebec-respecte-son-engagement-et-reussit-a-proteger-17-de-son-territoire-terrestre-et-deau-douce.

[5] La réserve aquatique est maintenant intégrée au statut de réserve de biodiversité : art. 48 LCPN.

[6] LCPN, art. 4.3.

[7] LCPN, art. 4.3 et 4.4.

[8] LCPN, art. 4.6 et 31 à 40.

[9] LCPN, art. 54.

[10] LCPN, art. 55.

[11] Union internationale de conservation de la nature, Lignes directrices pour l’application des catégories de gestion aux aires protégées, 2008, en ligne : https://portals.iucn.org/library/efiles/documents/paps-016-fr.pdf. [ci-après : « Lignes directrices »]

[12] LCPN, art. 47.

[13] CDB, art. 2.

[14] Lignes directrices, p. 27.

[15] Gouvernement du Québec, « Protection du patrimoine naturel – Québec annonce son intention de lancer un projet pilote d’aire protégée d’utilisation durable à l’île d’Anticosti », 8 juin 2021, en ligne : https://www.environnement.gouv.qc.ca/infuseur/communique.asp?no=4577.

[16] LCPN, art. 12.3.

[17] Ministère de l’Environnement et de la Lutte contre les changements climatiques, Conservation volontaire, en ligne : https://www.environnement.gouv.qc.ca/biodiversite/prive/conservation.htm.

[18] RLRQ, c. A -18.1. [ci-après : « LADTF »]

[19] LCPN, art. 49.

[20] LADTF, art. 35.1 à 35.5.

[21] RLRQ, c. F-4.1. [ci-après: « LsF »] Cette loi a été remplacée par la LADTF en 2010.

[22] 2021 QCCS 2838.

[23] Id., par. 3.

[24] Id., par. 11.

[25] À ce sujet, voir : Réseau des milieux naturels protégés, Conservation volontaires des milieux naturels en terres privées au Québec : Résultats et perspectives de 1927 à 2020, 2021, en ligne : https://rmnat.org/wp-content/uploads/2021/10/PORTRAIT_CV-2020_Final.pdf

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