Adoption du projet de loi 4 sur l’abolition du serment au roi
Par Jeremy van Doorn, avocat et Audrey-Anne Arteau, étudiante à l'Université du Québec à Montréal
Le projet de loi 4, Loi visant à reconnaître le serment prévu par la Loi sur l’Assemblée nationale comme seul serment obligatoire pour y siéger, LQ 2022, c. 30, est adopté par la 43ème législature le 9 décembre 2022. Quelle est sa portée et quelles sont les conséquences possibles?
Description et effets du projet de loi 4
Ce bref projet de loi a pour but de modifier la Loi constitutionnelle de 1867. Il ajoute, à la suite de l’article 128, l’article 128Q.1. L’article 128 prévoit l’obligation de prêter serment par les membres des parlements fédéraux et provinciaux et renvoi à l’annexe V de la Loi constitutionnelle de 1867 pour la forme que doit prendre ce serment. Ce dernier se lit comme suit :
« Je, A.B., jure que je serai fidèle et porterai vraie allégeance à Sa Majesté la Reine Victoria. »
Évidemment, il faut prêter serment au Souverain régnant actuel, comme il est indiqué à cette annexe.
L’article 128Q.1. énonce que cette obligation ne s’applique pas au Québec. Les députés du parlement québécois n’ont donc plus à prêter serment au roi selon cet amendement constitutionnel, et ce, depuis le 9 décembre 2022 en vertu de la disposition de mise en vigueur.
Commentaire
La question qui se pose ici est de savoir si la législature québécoise peut amender unilatéralement la Constitution pour soustraire les députés élus de l’Assemblée nationale à l’obligation de prêter serment d’allégeance au Souverain? Autrement dit, il faut se demander si cette loi est attaquable devant les tribunaux? Le fait d’adopter une loi de portée constitutionnelle pour abolir le serment au roi expose l’Assemblée nationale à l’éventualité d’un contrôle judiciaire en inconstitutionnalité.
Avant l’adoption du projet de loi 4, plusieurs juristes et constitutionnalistes, dont Louis Bernard, Henri Brun, Daniel Turp, André Binette et Maxime Laporte, ainsi qu’une ancienne présidente de l’Assemblée nationale, Louise Harel, se sont exprimés dans le journal Le Devoir sur le sujet et ont anticipé cette éventualité. Certains proposent une alternative qu’ils considèrent comme plus à l’abri de contestations. Au lieu d’une telle loi qui mènerait à un « débat judiciaire stérile » selon leur expression, ils préconisent plutôt une motion à adopter par l’Assemblée nationale pour permettre aux députés n’ayant pas prêté serment de siéger. Dans l’un des articles précités du Devoir, il est mentionné que le gouvernement du Québec affirme qu’une telle motion est insuffisante et plus facilement contestable devant les tribunaux tout en mettant à risque les prochaines lois qui seront adoptées au Québec. Or, pour ces juristes, il s’agit d’une erreur de raisonnement.
Pour eux, adopter une semblable motion relève de la régie interne de l’Assemblée nationale et donc du privilège parlementaire. Ce privilège ne peut être soumis à un contrôle judiciaire en constitutionnalité. Ces juristes se basent sur des décisions de la Cour suprême (New Brunswick Broadcasting Co. v. Nouvelle-Écosse (Président de l’Assemblée législative), Québec (Procureur général) c. Confédération des syndicats nationaux (CSN), Chagnon c. Syndicat de la fonction publique et parapublique du Québec) de même que sur l’ouvrage de Droit constitutionnel d’Henri Brun, de Guy Tremblay et d’Eugénie Brouillet pour soutenir cette perspective. Dans leur ouvrage, il est énoncé que :
« les tribunaux ont pleine juridiction pour constater si un privilège existe et pour déterminer son étendue […] Mais s’il est constaté qu’il y a un privilège parlementaire en jeu, les tribunaux ne sont pas habilités à en réviser l’exercice. » (p. 326).
Par ailleurs, l’article 128 de la Loi constitutionnelle de 1867 ne prévoit pas les conséquences du refus de prêter serment conformément à ce qu’il édicte. Selon les constitutionnalistes mentionnés, ces conséquences relèvent des pouvoirs de l’assemblée législative protégés par un privilège parlementaire, ce qui milite en faveur de l’adoption d’une motion.
En conclusion, en cas de déclaration d’inconstitutionnalité de la Loi visant à reconnaître le serment prévu par la Loi sur l’Assemblée nationale comme seul serment obligatoire pour y siéger, certains juristes sont d’avis que l’Assemblée nationale dispose d’autres pouvoirs internes pour soustraire les députés élus de l’Assemblée nationale à l’obligation de prêter serment d’allégeance au roi sans risquer un autre débat en constitutionnalité devant une cour de justice.
Le texte intégral de la loi est disponible ici.
Autres références
Loi constitutionnelle de 1867 (R-U), 30 & 31 Vict, c 3, reproduit dans LRC 1985, annexe II, no 5.
Loi sur l’Assemblée nationale, RLRQ, c A-23.1.
New Brunswick Broadcasting Co. v. Nouvelle-Écosse (Président de l’Assemblée législative), [1993] 1 R.C.S. 319, AZ-93111012.
Québec (Procureur général) c. Confédération des syndicats nationaux (CSN), 2011 QCCA 1247.
Chagnon c. Syndicat de la fonction publique et parapublique du Québec, 2018 CSC 39.
Brun, H. Tremblay, G. et Brouillet, B. Droit constitutionnel, 6e éd, Cowansville, Yvon Blais, 2014.
Bernard, L. Brun, H. Harel, L. et Turp, D. « Le gouvernement du Québec fait fausse route sur le serment d’allégeance », Le Devoir, 21 octobre 2022, en ligne: <https://www.ledevoir.com/opinion/idees/766155/politique-le-gouvernement-du-quebec-fait-fausse-route-sur-le-serment-d-allegeance>.
Binette, A. et Laporte, M. « Une décision de Nathalie Roy fondée sur une erreur de droit », Le Devoir, 6 décembre 2022, en ligne:<https://www.ledevoir.com/opinion/idees/773476/idees-une-decision-de-nathalie-roy-fondee-sur-une-erreur-de-droit>.
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