par
Carole-Anne Emond
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21 Fév 2023

Quelles conclusions tirer de l’absence d’un témoin clé?

Par Carole-Anne Emond, avocate

Le choix des témoins est un exercice qui comporte parfois une dimension stratégique. Les motifs de la décision Unlusoy c. Ville de Sainte-Anne-de-Bellevue[1], rappellent que le choix d’écarter un témoin peut également envoyer des signaux importants à la Cour.

Contexte

Dans le cadre d’un litige ayant pris naissance suite à chute sur une promenade piétonne située à Sainte-Anne-de-Bellevue, les versions des faits des parties sont contradictoires.

Essentiellement, la Demanderesse, Madame Unlusoy prétend avoir trébuché sur une planche de bois pourrie de la promenade et qui se serait délogée lors de son passage. La Ville, quant à elle, soutient que la promenade avait été inspectée le matin même de l’incident et qu’aucune planche n’était pourrie ou autrement dangereuse.

Décision

Au procès, les témoins de la Ville se succèdent, afin de relater le programme d’entretien et plus particulièrement l’inspection qui aurait eu lieu de manière contemporaine à l’incident.

En demande, seule Madame Unlusoy témoigne. Pourtant, son conjoint l’accompagnait au moment de sa chute, marchait derrière elle et l’a notamment aidé à se relever.

Dans ce contexte, l’absence du conjoint de la demanderesse fait sourciller le juge qui en tire une inférence négative :

[85]        D’abord, le Tribunal doit souligner l’absence du témoignage du conjoint de la demanderesse. Alors qu’il est situé à un pas derrière elle lors de la chute et a pu tout voir, il n’est pas appelé à témoigner lors de l’instruction. Pourtant, il est annoncé comme témoin dans la demande d’inscription pour instruction et jugement par déclaration commune. Le Tribunal note également que la demanderesse a également annoncé deux autres témoins de la chute dans cette demande d’inscription. Pourtant, le seul témoin entendu à l’instruction est la demanderesse.

[86]        Aucune explication n’est donnée au Tribunal pour expliquer le fait que le conjoint de la demanderesse n’a pas témoigné. Pourtant, il était présent en salle d’audience tout au long du procès. Le Tribunal tire une inférence négative du fait que le conjoint de la demanderesse n’a pas témoigné à l’instruction et conclut que son témoignage n’aurait pas corroboré celui de la demanderesse

La Cour retient la version de la Ville et rejette la demande de Mme Unlusoy.

Commentaire

Il importe de mentionner que le juge fonde sa décision sur différents facteurs, notamment la clarté, la précision et, autrement, la fiabilité des témoins de la Ville. La conclusion que tire le juge relativement au potentiel témoignage du conjoint de la Demanderesse n’est donc pas nécessairement déterminante.

Il demeure qu’une telle conclusion portant sur la renonciation ou l’omission d’interroger un témoin peut étonner, particulièrement lorsque la personne concernée est présente en salle d’audience. En effet, rappelons que l’art. 272 C.p.c., permet de requérir le témoignage d’une personne présente à l’audience sans citation à comparaître, ce qui, dans une perspective de recherche de la vérité, aurait pu permettre de clarifier la version du conjoint.

En définitive, cette décision rappelle aux praticiens que les apparences sont importantes lorsqu’il est question d’évaluation de la crédibilité.

Le texte intégral de la décision est disponible ici.


[1] 2022 QCCQ 9881 (jugement rendu par l’Honorable Enrico Forlini, J.C.S.)

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