Journée internationale de visibilité transgenre – Les avancées majeures au Québec et au Canada
Par Sophie Estienne, avocate et Alexia Armstrong, étudiante à l'Université McGill
Le 31 mars de chaque année, la Journée internationale de visibilité transgenre est célébrée pour sensibiliser aux discriminations et à la violence subies par les personnes transgenres dans le monde entier. C’est également l’occasion de faire le point sur les avancées et les défis en matière de droits transgenres. Cet article sera l’occasion de faire un tour des principaux développements juridiques récents affectant la vie des personnes transgenres au Québec et au Canada.
Définitions
Avant d’aborder ces développements juridiques, il est important de définir certains termes.
Les personnes transgenres sont celles dont l’identité de genre diffère de celle qui leur a été assignée à la naissance, souvent basée sur leur sexe biologique. Cela peut inclure des personnes qui ne se conforment pas aux normes binaires de genre, telles que les personnes non‑binaires[1].
Les personnes non-binaires sont celles qui n’appartiennent pas aux genres binaires, soit homme ou femme, ou qui se considèrent comme un mélange des deux. Le terme vient en directe opposition avec la norme binaire de la société[2].
Différents projets de loi améliorant la situation des transgenres
Projet de loi 35 – Loi modifiant le Code civil en matière d’état civil, de successions et de publicité des droits (« Loi de 2013 »)[3]
La Loi de 2013 est venue modifier le Code civil du Québec pour éliminer l’exigence de subir des traitements médicaux et des interventions chirurgicales pour obtenir un changement de sexe figurant sur l’acte de naissance. Les dispositions du Code civil du Québec à ce moment-là parlaient « d’identité sexuelle ». Elles ont depuis été modifiées pour parler « d’identité de genre ».
Un flou juridique résulta de cette loi pour presque deux ans. La Loi de 2013 statue qu’une personne peut faire une demande de changement de sexe sans traitement médical ou intervention chirurgicale « aux conditions prévues par un règlement »[4]. En septembre 2015, le gouvernement vient modifier le Règlement relatif au changement de nom et d’autres qualités de l’état civil afin de préciser la procédure applicable en cas de demande de changement de la mention du sexe figurant sur l’acte de naissance[5]. Le demandeur devra notamment fournir une déclaration sous serment attestant que :
- la mention du sexe qu’il demande est celle qui correspond le mieux à son identité de genre;
- il assume et continuera d’assumer cette identité sexuelle;
- il comprend le sérieux de sa démarche;
- sa demande est volontaire et son consentement est libre et éclairé.[6]
Projet de loi 103 – Loi visant à renforcer la lutte contre la transphobie et à améliorer notamment la situation des mineurs transgenres (« Loi de 2016 »)[7]
La Loi de 2016 modifie le Code civil du Québec pour permettre aux personnes mineures d’obtenir, à certaines conditions, le changement de la mention du sexe figurant à leur acte de naissance sans avoir besoin de subir une chirurgie de réattribution sexuelle ou de suivre une thérapie de conversion sexuelle. De plus, elle modifie la Charte des droits et libertés de la personne du Québec afin d’inclure une protection explicite contre la discrimination fondée sur l’identité de genre ou l’expression de genre[8].
Enfin, la loi modifie le Règlement relatif au changement de nom et d’autres qualités de l’état civil pour y prévoir les conditions que devra respecter l’enfant mineur pour obtenir le changement de la mention du sexe figurant à l’acte de naissance, mais aussi pour assurer une concordance avec les modifications apportées au Code civil du Québec.
Projet de loi C-16 – Loi modifiant la Loi canadienne sur les droits de la personne et le Code criminel (« PL C‑16 »)[9]
Un an après l’adoption du projet de loi de 2016, le PL C-16 modifie la Loi canadienne sur les droits de la personne (« LCDP ») afin d’assurer « l’égalité des chances d’épanouissement […] indépendamment des considérations fondées sur […] l’identité ou l’expression de genre »[10]. Ce projet de loi fédéral ajoute « l’identité ou l’expression de genre » à deux articles de la LCDPet à deux articles du Code criminel afin de protéger les personnes contre la discrimination fondée sur l’identité de genre ou l’expression de genre dans les champs de compétence fédérale.
Jugement historique et répercussions
En février 2021, la Cour supérieure du Québec a rendu un jugement historique en matière de reconnaissance des droits des personnes transgenres, statuant que plusieurs articles du Code civil du Québec et un article du Règlement relatif au changement de nom et d’autres qualités de l’état civil touchant les personnes transgenres, non-binaires ou intersexes sont invalides, au motif qu’elles portent atteinte à leurs droits à l’égalité et à la sauvegarde de la dignité[11].
Dans cette décision, la Cour affirme que les dispositions actuelles du Code civil du Québec « empêche[nt] que l’identité de genre des personnes transgenres ou non binaires qui sont domiciliées au Québec se reflète sur les documents d’identité[12] » et « privent [les personnes transgenres ou non binaires] de leurs droits à la dignité et à l’égalité[13] ».
L’honorable Gregory Moore fait notamment ressortir la distinction entre le genre et le sexe et la discrimination qui peut se produire lorsque la loi les traite comme des synonymes. Les articles attaqués faisaient référence au « sexe » d’individus ou employaient la qualification de « père » ou de « mère », des termes ultimement jugés non inclusifs par la Cour.
Les articles ainsi invalidés concernent principalement les désignations genrées sur les actes de l’état civil (homme, femme, père, mère) et les conditions pour le changement de la mention du sexe sur l’acte de naissance.
Les dispositions visées par ces déclarations d’invalidité doivent être modifiées et différentes dispositions du projet de loi 2[14] s’inscrivent dans cet objectif.
Tel que déposé le 21 octobre 2021, le projet de loi 2 contenait plusieurs articles controversés. Le mémoire du Jeune Barreau de Montréal[15] les souligne clairement. L’obligation d’opération génitale, par exemple, marquait un grand recul vu que celle-ci avait été abrogée lors de l’adoption du projet de loi 35, Loi modifiant le Code civil en matière d’état civil, de successions et de publicité des droits[16]en 2013. Grâce au militantisme de la communauté transgenre et de ses alliés, ces changements controversés ont été retirés du projet de loi.
Le projet de loi, sanctionné le 8 juin 2022, apporte les modifications suivantes :
- Permettre aux personnes non binaires de changer leur désignation de sexe sur leurs documents officiels et leur identification d’état civil ;
- Permettre aux personnes qui demandent un changement d’identifiant de genre pour la première fois (ou à celles qui demandent un deuxième changement vers X après un changement vers M ou F avant l’entrée en vigueur de la nouvelle législation) de changer leur identifiant de genre gratuitement ;
- Permettre aux parents non binaires d’être désignés comme « parents » plutôt que comme « mère » ou « père » sur le certificat de naissance de leurs enfants ;
- Éliminer les exigences de citoyenneté pour les demandes de changement de nom ou d’identifiant de genre pour les documents d’identification provinciaux (avec effet immédiat);
- Supprimer l’obligation pour les jeunes (âgés de 14 à 17 ans) de fournir une lettre d’un(e) médecin, d’un(e) psychologue, d’un(e) psychiatre, d’un(e) sexologue ou d’un(e) travailleur(-euse) social(e) lorsqu’ils demandent à changer leur désignation de sexe.
Conclusion
En 1977, le Québec est devenu la première province canadienne à interdire la discrimination basée sur l’orientation sexuelle[17]. Toutefois, en ce qui concerne les droits des personnes transgenres, la province est loin d’être pionnière. Malgré les réformes de 2013 et 2016, certains obstacles persistaient pour la reconnaissance de l’identité des personnes transgenres par le gouvernement. Cependant, le projet de loi 2, tel que sanctionné le 8 juin 2022, constitue une avancée majeure dans la reconnaissance de la transidentité en droit québécois. Ces développements juridiques sont un pas important vers l’inclusion et la protection des personnes transgenres et non-binaires dans la société québécoise et canadienne.
Malgré ces progrès, les personnes transgenres et non-binaires au Canada sont toujours confrontées à de nombreux défis, notamment la discrimination, la violence et les obstacles à l’accès aux soins de santé et à l’emploi. Il reste encore beaucoup à faire pour éliminer la discrimination et la violence à l’encontre de cette communauté. La Journée internationale de visibilité transgenre est l’occasion de se rappeler de l’importance de cette cause et de poursuivre les efforts pour assurer l’égalité des droits pour tous.
[1] Voir la définition de « Transgenre » dans Lexique de la communauté LGBTQI+, en ligne : <drapeau-lgbt.fr/lexique-communaute-lgbt/>.
[2] Voir la définition de « Non-binaire » dans Lexique de la communauté LGBTQI+, en ligne : <drapeau-lgbt.fr/lexique-communaute-lgbt/>.
[3] PL 35, Loi modifiant le Code civil en matière d’état civil, de successions et de publicité des droits, 1re sess., 40e lég., 2013, c. 27, en ligne : <www.publicationsduquebec.gouv.qc.ca/fileadmin/Fichiers_client/lois_et_reglements/LoisAnnuelles/fr/2013/2013C27F.PDF>.
[4] Ibid., art. 3.
[5] Règlement modifiant le Règlement relatif au changement de nom et d’autres qualités de l’état civil, Gazette officielle du Québec, 16 septembre 2015, 147e année, no 37, en ligne : <www.publicationsduquebec.gouv.qc.ca/fileadmin/gazette/pdf_encrypte/lois_reglements/2015F/63757.pdf>.
[6] Ibid., art. 1.
[7] PL 103, Loi visant à renforcer la lutte contre la transphobie et à améliorer notamment la situation des mineurs transgenres, 1re sess., 41e lég., 2016, c. 19, en ligne : <www.publicationsduquebec.gouv.qc.ca/fileadmin/Fichiers_client/lois_et_reglements/LoisAnnuelles/fr/2016/2016C19F.PDF>.
[8] Loi de 2016, art. 11.
[9] PL C-16, Loi modifiant la Loi canadienne sur les droits de la personne et le Code criminel, 1re sess., 41 lég., 2017, c. 13, en ligne : <www.parl.ca/Content/Bills/421/Government/C-16/C-16_4/C-16_4.PDF>.
[10] LCDP, art. 2.
[11] Centre for Gender Advocacy c. Attorney General of Quebec, 2021 QCCS 191.
[12] Ibid., par. 332.
[13] Ibid., par. 20.
[14] PL 2, Loi portant sur la réforme du droit de la famille en matière de filiation et modifiant le Code civil en matière de droits de la personnalité et d’état civil, 2ème sess., 42 lég., 2022, c. 22, en ligne : <www.publicationsduquebec.gouv.qc.ca/fileadmin/Fichiers_client/lois_et_reglements/LoisAnnuelles/fr/2022/2022C22F.PDF>.
[15] Mémoire du JBM sur le Projet de loi n°2, Loi portant sur la réforme du droit de la famille en matière de filiation et modifiant le Code civil en matière de droits de la personnalité et d’état civil, 16 décembre 2021, en ligne : <ajbm.qc.ca/wp-content/uploads/2022/02/2021-12-16-memoire-du-jbm-pl2.pdf>.
[16] PL 35, Loi modifiant le Code civil en matière d’état civil, de successions et de publicité des droits, 1re sess., 40 lég., 2013, c. 27.
[17] Hurley, Mary C., « Sexual Orientation and Legal Rights », Publications du Gouvernement du Canada, révisé le 2 septembre 2003, en ligne : <publications.gc.ca/collections/Collection-R/LoPBdP/CIR/921-e.htm>
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