par
Jennifer Assogba
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et
Louis-Philippe Provencher
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11 Avr 2023

Une imprécision à 1 500 000 $ : l’importance de clarté dans une clause d’exclusion en assurance vie 

Par Jennifer Assogba, avocate et Louis-Philippe Provencher, étudiant à l'Université de Montréal

Dans l’affaire Bolduc c. SSQ Assurance, 2023 QCCS 266, la Cour supérieure a été saisie d’une demande déposée par M. Bolduc (ci-après le « Demandeur ») portant sur la validité d’une clause d’exclusion de garantie liée à un contrat d’assurance vie conclu entre Feu François Roch (ci-après « Assuré ») et la SSQ Assurance (ci-après « Défenderesse ») et dont il est le bénéficiaire. Plus précisément, la Cour devait déterminer si la clause d’exclusion de garantie en cas de suicide de l’Assuré avant l’expiration d’un délai de deux ans était clairement indiquée dans le contrat d’assurance vie conclu entre les parties pour être opposable au bénéficiaire dudit contrat. Après un examen de la rédaction de la clause en question, la Cour accueille la demande, déclarant nulle, non avenue et inopposable la clause d’exclusion et condamne la Défenderesse à verser la totalité de l’indemnité en cas de décès aux bénéficiaires de l’assurance vie.

Tout au long de son analyse, la Cour supérieure souligne qu’une clause d’exclusion de garantie en cas de suicide de l’assuré doit être rédigée dans des termes clairs, être coiffée d’un titre approprié et doit apparaître au même endroit que les autres clauses d’exclusion dans la police d’assurance.

Contexte

Le 23 novembre 2006, l’Assuré contracte une assurance sur sa vie auprès de la Défenderesse pour un montant de 1 500 000 $. Le Demandeur est à ce moment désigné comme bénéficiaire de cette police d’assurance vie.

Le 21 septembre 2016, l’Assuré signe une proposition d’assurance pour la conclusion d’un nouveau contrat d’assurance vie avec l’aide de son courtier en assurance.

Le 23 octobre 2016, la Défenderesse accepte la proposition d’assurance de l’Assuré et émet une nouvelle police qui sera remise à ce dernier le 3 novembre 2016. Un nouveau contrat est donc conclu à cette date.

La nouvelle police d’assurance contient une clause d’exclusion de garantie d’indemnisation en cas de suicide de l’Assuré pour une durée de deux ans. Cette clause apparaît dans la police d’assurance sous le titre « Suicide ».

Le 19 février 2018, soit environ 16 mois après la conclusion du nouveau contrat, l’Assuré met fin à ses jours. Quelques mois plus tard, la Défenderesse indemnise le Demandeur et les autres bénéficiaires ajoutés au contrat d’assurance selon les termes du nouveau contrat, soit le remboursement des primes versées pour la garantie d’assurance excluant les intérêts.

Le 4 août 2020, le Demandeur intente un recours en paiement de la totalité de l’indemnisation en cas de décès de l’Assuré, soit 1 500 000 $.

Bien que le débat ait porté sur plusieurs éléments, nous nous arrêterons pour les fins du présent résumé sur la conformité de la clause d’exclusion coiffée du titre « Suicide » à l’article 2404 du C.c.Q.

Analyse de la Cour supérieure

La clause d’exclusion coiffée du titre « Suicide » est-elle conforme à l’article 2404 du C.c.Q. ? Sinon, [quelle] en est la conséquence ?

La Cour débute son analyse en affirmant que la clause d’exclusion de garantie d’indemnisation en cas de suicide prévue au contrat est bel et bien une clause d’exclusion (par. 29) et tombe sous l’application des articles 2404 et 2441 du Code civil du Québec (« C.c.Q. ») (par. 49). Comme le prévoit l’article 2404 C.c.Q., une telle clause ne peut être opposable au bénéficiaire que si elle est clairement indiquée sous un titre approprié (par. 30).

Par la suite, la Cour met en lumière les commentaires du ministre de l’époque au regard de l’adoption de l’article 2404 C.c.Q. et dont il ressort essentiellement l’importance de regrouper les clauses d’exclusion à un même endroit dans un contrat et de les coiffer d’un titre approprié. La preuve apportée au dossier révèle que le titre « Exclusions et réduction de la garantie » est un titre considéré comme adéquat par le législateur (par. 32 et 33). À travers cette interprétation téléologique, la Cour souligne que l’objectif visé par l’article 2404 C.c.Q. est d’aider l’assuré à repérer les clauses d’exclusion dans la police d’assurance (par. 34).

La Cour fait sienne les conclusions du juge dans l’arrêt Lemay c. Assurance-vie Desjardins [1988] R.J.Q 659 (C.A.) selon lesquelles l’article 2505 du Code civil du Bas-Canada (« C.c.B.C. »), qui imposait anciennement le regroupement des clauses d’exclusion sous un titre approprié, était d’ordre public de direction. L’actuel article 2404 C.c.Q., ayant remplacé l’article 2505 C.c.B.C., doit, selon le Cour, s’appliquer de la même manière aujourd’hui et empêcher qu’on y déroge de quelque manière que ce soit (par. 43).

Cela étant dit, la Cour applique les principes précédemment énoncés aux faits de la présente affaire. La Cour énonce d’abord que la clause d’exclusion apparaissant sous le titre « Suicide » porte à confusion puisqu’elle se trouve dans la section « Dispositions générales » de la police d’assurance. De plus, le fait que cette clause traite de « limitation à l’indemnité payable » et non d’une exclusion à la garantie d’assurance porte également à confusion. Selon la Cour, la véritable nature de l’exclusion n’est identifiable nulle part dans le texte de la police (par. 47).

Le juge Lalonde mentionne également que d’autres clauses d’exclusion sont regroupées sous un titre approprié dans la police d’assurance mais que la clause d’exclusion en cas de suicide ne s’y trouve pas (par. 49). De plus la Cour souligne que le titre « Suicide » n’est pas approprié pour une clause d’exclusion et s’exprime comme suit :

[51] Dans le cas qui nous occupe, le titre « Suicide » contrevient à l’essence de l’article 2404 C.c.Q. en ce qu’il ne permet pas de repérer facilement l’existence d’une clause d’exclusion; ce titre n’est donc pas approprié au sens de la loi. La police d’assurance émise par SSQ contient par ailleurs des clauses d’exclusion qui auraient dû être regroupées sous une même rubrique pour permettre au lecteur de penser que toutes les exclusions sont concentrées sous un titre approprié intitulé « Exclusions » de sorte qu’il n’ait pas à chercher ailleurs une autre cause d’exclusion. Le contrat de SSQ ne répond pas à cette exigence législative (2404 C.c.Q.), il est conséquemment affecté d’une nullité relative.

C’est donc par la négative que la Cour répond à la question en litige déclarant par le fait même qu’une clause d’exclusion ou de limitation de garantie en assurance de personnes sera inopposable si elle n’est pas coiffée d’un titre approprié, et ce, « même si elle est claire, ne soulève aucune ambiguïté et n’est pas abusive » (par. 56).

Conclusion

Dans ce jugement, la Cour supérieure rappelle qu’une clause d’exclusion de garantie en cas de suicide d’un assuré avant l’expiration d’un délai de deux ans doit être rédigée en termes clairs et être coiffée d’un titre approprié pour être valide au regard de l’article 2404 C.c.Q. La Cour ajoute qu’une telle clause doit être regroupée au même endroit que toute autre clause d’exclusion dans la police d’assurance pour être opposable au bénéficiaire.

Le texte intégral de la décision est disponible ici.


Autres références :

Chablis Textiles Inc. (Syndic de) c. London Life Insurance Co., [1996] 1 RCS 160.

Lemay c. Assurance-vie Desjardins, [1988] R.J.Q 659 (C.A.).

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