par
Michaël Lessard
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et
Amélia Souffrant
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06 Mar 2023

Un sursis pour les cerfs de Longueuil : pourquoi la Cour d’appel rend cette décision dans SPCA c. Longueuil?

Par Michaël Lessard, avocat et Amélia Souffrant, étudiante à l'Université McGill

Le 14 décembre dernier, la Cour d’appel du Québec a ordonné le sursis de la décision de la Ville de Longueuil d’abattre les cerfs de Virginie du parc Michel-Chartrand. Ce faisant, elle a infirmé la décision de la Cour supérieure. La Cour d’appel conclut que le juge de première instance a accordé une importance démesurée au critère de l’intérêt public dans l’examen de la balance des inconvénients de telle sorte que le litige a erronément été tranché sur le fond. La Cour ordonne donc le sursis jusqu’à la fin de l’instruction du pourvoi en contrôle judiciaire en avril prochain. Qu’est-ce qui explique la décision de la Cour d’appel dans cette affaire?

Contexte

Situé à Longueuil sur la Rive-Sud de l’île de Montréal, le parc Michel-Chartrand est un milieu naturel qui abrite une population de 108 cerfs de Virginie. L’importante population animale cause un certain nombre de problèmes selon la Ville de Longueuil : déséquilibre biologique en raison du broutage intensif des cerfs, risque de transmission de maladie, endommagement des propriétés voisines du parc et risque d’accidents automobiles. En février 2022, après avoir considéré plusieurs solutions, la Ville décide de réduire la taille du cheptel au moyen d’une opération de capture et d’abattage.

En mai 2022, Services Sauvetage Animal et Florence Meney déposent un pourvoi en contrôle judiciaire pour tenter d’annuler la décision de la Ville. De plus, les parties demanderesses sollicitent une ordonnance de sauvegarde pour suspendre toute décision de la Ville de Longueuil de procéder à l’abattage des cerfs jusqu’à ce qu’une décision soit rendue sur le fond. Intervient également au dossier la Société canadienne pour la prévention de la cruauté envers les animaux.

Le 4 octobre 2022, la Cour supérieure, dans Service Sauvetage Animal c. Ville de Longueuil, 2022 QCCS 3628, rejette la demande de sauvegarde, permettant ainsi l’abattage des cerfs de Virginie avant le débat au fond. La Cour d’appel infirme cette décision, le 14 décembre, dans Société canadienne pour la prévention de la cruauté envers les animaux c. Ville de Longueuil, 2022 QCCA 1690.

Décision

Pour prononcer une ordonnance de sauvegarde, les parties demanderesses doivent établir une apparence de droit, l’existence d’un préjudice irréparable en l’absence du sursis recherché et que la balance des inconvénients favorise la suspension de la décision en litige au cours de l’instance. La Cour supérieure reconnait que les parties demanderesses satisfont le critère de l’apparence de droit. En argumentant que la décision de la Ville serait déraisonnable au motif que la Ville n’a pas respecté la norme de conduite de l’art. 898.1 C.c.Q., les demandeurs posent une question sérieuse qui n’a pas encore été explorée. La Cour reconnait aussi que les demandeurs subiraient un préjudice irréparable en l’absence d’un sursis. En effet, la mise à mort des cerfs avant la fin de l’instruction du pourvoi en contrôle judiciaire rendrait toute décision sur le fond inutile. Cependant, au critère de la balance des inconvénients, la Cour supérieure considère que « le sursis recherché par les demandeurs aurait pour conséquence manifeste d’aggraver le problème de la surpopulation des cerfs et les effets préjudiciables qui en découlent » (QCCS para. 97). Elle rejette donc la demande en sursis, ce qu’infirme la Cour d’appel.

Dans son jugement, la Cour d’appel conclut que la Cour supérieure a accordé une trop grande importance à l’intérêt public dans l’examen de la balance des inconvénients et, ce faisant, a tranché la question sur le fond. Le juge d’instance « devait plutôt se demander si les inconvénients qui seraient subis par la Ville d’ici au jugement sur le fond du pourvoi, dans l’éventualité́ où le sursis serait accordé́, seraient plus graves que ceux qui découleraient pour les appelantes de l’abattage immédiat du cheptel » (QCCA, para. 34). La Cour conclut que le préjudice à l’intérêt public qui serait subi par la Ville ne devrait pas s’aggraver alors que le préjudice qui serait subi par les appelantes serait irréparable (QCCA, para. 35). La Cour accueille donc l’appel et ordonne le sursis d’exécution de la décision de la Ville.

Conclusion

L’instruction du pourvoi en contrôle judiciaire est présentement fixée en fin avril prochain. Ce litige introduit des questions sur le statut juridique de l’animal au Québec et sur la norme de comportement régissant la façon dont les humains doivent interagir avec les animaux, y compris les animaux sauvages. La décision de la Ville de Longueuil constitue-t-elle une violation de la norme de conduit introduite dans l’art. 898.1 C.c.Q.? Il reste maintenant à voir comment les tribunaux interpréteront cette disposition dans leurs décisions.

Le texte intégral de la décision de la Cour Supérieure est disponible ici et le texte intégral de la décision de la Cour d’appel est disponible ici.

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