par
Ariane Bélanger
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16 Mai 2023

Autorisation de contracter de l’AMP: la Cour supérieure confirme qu’un donneur d’ouvrage public ne peut être plus sévère que le régime prévu à la Loi sur les contrats des organismes publics

Par Ariane Bélanger, avocate

Dans le cadre d’un processus d’appel d’offres public, un donneur d’ouvrage pose, dans ses documents d’appel d’offres, les conditions devant être respectées par les soumissionnaires pour pouvoir présenter une soumission et éventuellement, obtenir le contrat visé. Parmi celles-ci, certaines conditions sont d’ordre public en ce qu’elles sont spécifiquement exigées par la loi. C’est notamment le cas de l’autorisation de contracter de l’Autorité des marchés publics (ci-après, l’ « AMP ») exigée pour permettre à un soumissionnaire de contracter avec un organisme public dans les cas où la dépense du contrat est égale ou supérieure au seuil décrété par le gouvernement. Cela dit, un organisme public peut-il exiger, contractuellement, davantage que le régime d’ordre public relatif à l’autorisation de contracter ? À la lumière du jugement rendu par la Cour supérieure dans la récente décision L.A. Hébert Ltée c. Ville de Lorraine[1], on retient que la réponse à cette dernière question est négative.

Contexte

En janvier 2020, L.A. Hébert Ltée (ci-après, « L.A. Hébert ») dépose une soumission au montant de 4 439 817 $ en réponse à l’appel d’offres public lancé par la Ville de Lorraine (ci-après, la « Ville ») pour l’octroi d’un contrat visant la réalisation de travaux de stabilisation. Dans le cadre de cet appel d’offres, et comme prévu aux documents contractuels, la Ville exige que tout soumissionnaire soit « autorisé à contracter par l’Autorité des Marchés financiers au plus tard à la date du dépôt de sa soumission ». 

Aux termes de ce processus, la Ville octroie le contrat à 9267-7368 Québec inc. (ci-après, « 9267 ») qu’elle considère alors être le plus bas soumissionnaire conforme avec une soumission au montant de 4 213 795 $, et ce, malgré que 9267 ne détienne pas l’autorisation de contracter exigée conformément à la condition stipulée par la Ville dans ses documents d’appel d’offres.

Estimant que le contrat aurait dû lui être octroyé étant donné qu’il considère que la soumission de 9267 s’avère de ce fait non conforme, L.A. Hébert poursuit la Ville et réclame la perte des profits qui auraient été générés si le contrat lui avait été octroyé. Précisons que L.A. Hébert, contrairement à 9267, détenait une autorisation de contracter émise par l’AMP.

De son côté, la Ville argue qu’elle n’était pas contrainte de rejeter la soumission de 9267 malgré la condition qu’elle avait stipulée à ses documents d’appel d’offres puisque conformément à la Loi sur les contrats des organismes publics (ci-après, la « LCOP »), ladite autorisation était uniquement requise à l’égard d’une soumission comportant une dépense d’au moins 5 000 000 $ comme décrété par le gouvernement.

La Ville était-elle tenue de rejeter la soumission de 9267 puisque le soumissionnaire ne détenait pas, à la date du dépôt de sa soumission, une autorisation de contracter émise par l’AMP et ne respectait pas, de ce fait, l’une des conditions qu’elle a posées dans le cadre de son processus d’appel d’offres ? Voyons ci-dessous ce qu’il en est.

Décision

En l’espèce, le Tribunal conclut d’abord qu’à la lecture des documents d’appel d’offres, la condition posée par la Ville est claire et ne souffre d’aucune ambiguïté. En effet, selon le libellé des documents d’appel d’offres, un soumissionnaire pouvait valablement penser que l’autorisation de contracter de l’AMP exigée était requise par la Ville, peu importe le montant du contrat octroyé au terme du processus.

Le Tribunal souligne toutefois que cette dernière condition est contradictoire par rapport au cadre normatif relatif au régime de l’autorisation de contracter de l’AMP prévu à la LCOP. En effet, contrairement à la condition stipulée par la Ville, en vertu de l’article 21.17 de la LCOP et du décret 796-2014, une telle autorisation est requise uniquement, dans le cas d’un contrat de travaux de construction, si le contrat comporte une dépense égale ou supérieure au seuil fixé à 5 000 000 $ par le gouvernement.

Ce faisant et conformément au cadre normatif applicable, 9267 n’était pas assujetti à l’obligation prévue à la LCOP relative à l’obtention d’une autorisation de contracter de l’AMP, le montant de sa soumission étant inférieur au seuil de 5 000 000$.  Or, de l’avis de L.A. Hébert, en se fondant sur le principe de la liberté contractuelle, la Ville pouvait exiger la détention d’une autorisation de contracter pour un montant inférieur et c’est d’ailleurs ce qu’elle a fait en ne référant pas à ce seuil dans la condition qu’elle a stipulée dans ses documents d’appel d’offres.

Le Tribunal ne souscrit toutefois pas à la position de L.A. Hébert et retient plutôt l’argument de la Ville selon lequel le cadre normatif relatif au régime de l’autorisation de contracter de l’AMP prévu à la LCOP constitue un « cadre complet » auquel elle ne pouvait déroger contractuellement. Au contraire, seul le gouvernement peut exiger conformément à l’article 21.17.1 de la LCOP qu’un contrat comportant une dépense inférieure au seuil fixé par décret nécessite une autorisation de contracter de l’AMP.

« [44] Le Tribunal conclut que le législateur a effectivement voulu mettre en place un code complet contraignant tant à l’égard des entreprises œuvrant dans le domaine de la construction qu’à l’égard des municipalités en adoptant la LCOP et le seuil minimal de 5 000 000 $ prévu au Décret.

[45] Il a en effet prévu à l’article 21.17.1 LCOP la prérogative du gouvernement d’exiger l’autorisation de contracter de l’AMP à l’égard de contrats publics comportant un montant de dépense inférieur au seuil fixé par décret :

21.17.1.      Malgré le montant de la dépense établi par le gouvernement en application de l’article 21.17, celui-ci peut, aux conditions qu’il fixe, déterminer qu’une autorisation est requise à l’égard des contrats publics ou sous-contrats publics, même s’ils comportent un montant de dépense inférieur.

[Soulignements du Tribunal]

[46] Il paraît important de souligner que ce régime lie tant les municipalités à titre de donneurs d’ouvrage que les personnes désirant contracter auprès de celles-ci. Le législateur a en effet incorporé à la Loi sur les cités et villes les articles pertinents de la LCOP, dont les articles 21.17 et 21.17.1 :

573.3.3.3. Les articles 21.17 à 21.17.2, 21.18, 21.39 à 21.41.1, 25.0.2 à 25.0.5, 27.6 à 27.9, 27.10.0.1, 27.11 et 27.13 à 27.14.1 et la section II du chapitre VIII.2 de la Loi sur les contrats des organismes publics (chapitre C-65.1) s’appliquent, compte tenu des adaptations nécessaires, à l’égard de tout contrat d’une municipalité, qui comporte une dépense égale ou supérieure au montant déterminé par le gouvernement en vertu de l’article 21.17 de cette loi ou qui est visé par le gouvernement en application de l’article 21.17.1 de cette loi et qui est un contrat pour l’exécution de travaux, un contrat d’assurance, un contrat d’approvisionnement ou un contrat pour la fourniture de services. […]

[Soulignements du Tribunal]

[47] On constate donc que le régime mis en place en vertu de la LCOP, dont l’article 21.17 (qui prévoit l’exigence de l’autorisation au-delà du seuil fixé par décret) et l’article 21.17.1 (qui prévoit le pouvoir du gouvernement d’exiger une autorisation pour un contrat public d’un montant inférieur au seuil) lient les municipalités lorsqu’elles mènent des appels d’offres en vue de l’adjudication de contrats de construction. Le législateur occupe le champ lorsqu’il s’agit d’identifier le seuil de dépense au-delà duquel l’autorisation de l’AMP est obligatoire. »

En raison de ce qui précède, le Tribunal conclut que l’ambiguïté entre la condition stipulée par la Ville dans ses documents d’appel d’offres doit être résolue en faveur du cadre normatif applicable comme prévu à la LCOP. Ainsi, malgré le texte de la condition relative à l’autorisation de contracter de l’AMP, la Ville devait retenir la soumission de 9267 qui s’avérait être la plus basse et n’aurait pas pu la rejeter en raison du fait que le soumissionnaire ne détenait pas une autorisation de contracter de l’AMP.  En effet, la Ville ne pouvait exercer aucune discrétion à l’égard d’une condition qui va au-delà de ce qu’a imposé le législateur dans la LCOP.

La demande de L.A. Hébert est donc rejetée.

Commentaire

La décision L.A. Hébert Ltée c. Ville de Lorraine constitue une référence additionnelle permettant de guider les donneurs d’ouvrage dans l’exercice parfois complexe relatif à l’analyse de l’admissibilité et de la conformité des soumissions reçues dans le cadre d’un processus d’appel d’offres public.

Pour faciliter cet exercice et à la lumière de la présente décision, les donneurs d’ouvrages publics qui doivent exiger une autorisation de contracter aux fins de l’octroi d’un contrat ont certainement intérêt à s’assurer que le libellé de leurs documents d’appel d’offres respecte et s’arrime avec le cadre normatif prévu à la LCOP de façon à ne laisser subsister aucune ambiguïté ou contradiction par rapport à celui-ci.

Le texte intégral de la décision est disponible ici.


[1] 2023 QCCS 1020.

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