Le fardeau de la preuve en droit médicolégal : le TAQ prend position
Par Emmanuelle Rochon, avocate
La Société de l’assurance automobile du Québec (SAAQ) est un organisme qui a été créé en 1978, une initiative qui était, à la base, unique au monde. Il s’agit d’un régime public d’assurance qui permet d’obtenir compensation pour les pertes financières résultant des dommages corporels subis dans un accident de la route à titre de conducteur, de passager, de piéton, de cycliste ou de motocycliste, que l’accident ait lieu au Québec ou ailleurs dans le monde, et sans égard à la responsabilité (no-fault)[1].
Ceci étant dit, devant les tribunaux, comment les décideurs apprécient-ils la preuve qui leur est présentée? C’est ce que les décideurs du TAQ Jacques Ramsay et Sonia Boisclair expriment dans la décision M.C. c. Société de l’assurance automobile du Québec (2023 QCTAQ 04556) (la décision).
Contexte
M.C. a eu un accident d’automobile le 27 octobre 2021. Elle n’a pas vu de médecin immédiatement, après l’accident, seulement 48h plus tard et vu ses symptômes, un traumatisme craniocérébral léger (TCC léger) lui est diagnostiqué.
Selon la SAAQ, Mme n’a pas présenté l’un des quatre signes suivants dans les minutes qui ont suivi l’accident selon le document Orientations ministérielles pour le traumatisme craniocérébral léger 2005-2010[2](Orientations) et donc le TCC léger ne peut être retenu en lien avec l’accident d’automobile.
La question en litige est donc de déterminer si le TCC léger existe véritablement comme diagnostic et si oui, s’il est survenu en lien avec l’accident d’automobile[3].
Décision
Selon le tribunal, le document sur lequel la SAAQ s’appuie pour refuser le diagnostic de TCC léger en lien avec l’accident comporte une définition qui est retenue par le Task force de l’OMS produite en 2004 (voir encadré ci-dessus).
Le Tribunal ne mâche pas ses mots lorsqu’il s’exprime concernant le document Orientations :
«[20] Les travaux du Task Force ont été financés majoritairement par quatre partenaires assureurs, dont la Société. Autrement dit, si le Task Force était venu présenter ces travaux au Québec, leur première diapositive aurait été une mise en garde contre un possible conflit d’intérêts.
[21] En effet, bien que les travaux aient été rigoureux et en accord avec la pensée scientifique de l’époque, il faut reconnaître que la définition très stricte du TCC léger qui a été adoptée favorise les fournisseurs de service, tel le MSSS, en leur permettant de limiter l’offre de services, et les assureurs, telle la Société, en relevant le seuil d’éligibilité. Il y a là un biais cognitif indéniable[4].»
M.C., quant à elle, a présenté une preuve testimoniale pour établir le lien entre son accident et le diagnostic de TCC léger. Concernant son témoignage, le Tribunal s’exprime en ces mots :
«[47] D’emblée, le Tribunal souhaite établir qu’il estime la crédibilité du témoin excellente malgré son témoignage quelque peu difficile à suivre. Elle a témoigné de façon sincère, allant même jusqu’à reconnaître des éléments qui lui étaient défavorables tels que l’absence d’amnésie ou de perte de conscience. Elle n’a pas amplifié ses symptômes ni cherché à tirer profit de cet accident. Elle a toujours été contre l’idée que son arrêt de travail se prolonge allant jusqu’à écrire à son député pour qu’il intervienne en sa faveur. La durée de ses symptômes est celle souvent rencontrée avec une telle blessure. À son médecin, elle dit aller déjà beaucoup mieux lors du rendez-vous du 5 décembre, à peu près six semaines après l’accident. La concentration est meilleure, les maux de tête moins fréquents. Seule persiste alors une certaine fatigue[5].»
Selon la SAAQ, le lien entre le diagnostic de TCC léger et l’accident ne constitue qu’une possibilité et non une certitude. Le Tribunal n’est pas d’accord et remet les pendules à l’heure :
«[51] Le fardeau de la preuve imposée à Madame n’est pas celui de la causalité scientifique. La causalité en droit s’établit selon la prépondérance des probabilités. En d’autres mots, le Tribunal ne requiert pas une certitude médicale pour trancher. Une preuve médicale peut être nuancée et complétée.»
M.C. a donc démontré, par prépondérance de probabilité, vu son témoignage sincère, plausible et cohérent avoir subi un TCC léger en lien avec son accident d’automobile.
Le texte intégral de la décision est disponible ici.
Les propos tenus dans cet article sont propres à Me Emmanuelle Rochon et ne sauraient être attribués à son employeur.
[1] https://saaq.gouv.qc.ca/saaq/historique
[2] « Orientations ministérielles pour le traumatisme craniocérébral léger 2005-2010 », p. 33,. Gouvernement du Québec, 2005.
[3] M. c. SAAQ, préc. note 3, par. 3
[4] Ibid, par. 20-21
[5] Ibid, par. 47
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