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Amélie Lemay
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10 Août 2023

Le Québec a compétence pour légiférer en matière d’interdiction totale de possession et de culture de cannabis dans une maison d’habitation

Par Amélie Lemay, avocate

En adoptant la Loi encadrant le cannabis (RLRQ, c. C-5.3) (« la Loi »), le gouvernement du Québec a agi dans les limites de sa compétence. L’interdiction totale de possession de plantes de cannabis (art. 5 de la Loi) ainsi que la culture de telles plantes dans sa résidence (art. 10 de la Loi) « constituent un exercice valide par la législature québécoise des compétences que lui confèrent les par. 92(13) et (16) de la Loi constitutionnelle de 1867 » (par. 20)  telle est la conclusion à laquelle arrive la Cour suprême dans l’arrêt Murray‑Hall c. Québec (Procureur général), 2023 CSC 10.

Contexte

Peu de temps après la légalisation du cannabis au Canada, Janick Murray-Hall (« l’appelant ») intente une action en son nom et au nom de tout individu susceptible de se voir imposer une amende s’il possède ou cultive une plante de cannabis dans leur maison d’habitation située au Québec (par. 8).

Historique judiciaire

La Cour supérieure lui donne raison[1]. Elle déclare inconstitutionnels les articles 5 et 10 de la Loi, puisque leur caractère a pour objet de « réprimer la production personnelle de cannabis » (par. 10), ce qui relève de la compétence fédérale en matière de droit criminel.

La Cour d’appel, quant à elle, infirme la décision de la Cour supérieure et rétablit ces deux articles[2]. Pour la Cour, ces articles visent à permettre au gouvernement du Québec d’assurer l’efficacité du monopole de la Société québécoise du cannabis (SQDC) (par 15).

Décision

Le pourvoi en Cour suprême soulève deux questions en litige (par. 18). Il doit être décidé si la Cour d’appel a commis une erreur en droit en concluant que les articles 5 et 10 de la Loi sont constitutionnellement valides (1) et opérants (2).

La Cour suprême se penche d’abord sur la validité constitutionnelle des articles 5 et 10 de la Loi. Pour y répondre, elle procède d’abord à la qualification de la Loi pour ensuite la classer parmi les chefs de compétence établis aux articles 91 et 92 de la Loi constitutionnelle de 1867 (par. 22). 

À l’étape de la qualification, la Cour suprême doit se pencher sur le caractère véritable de la Loi, pour ensuite se pencher sur les effets des dispositions en litige, soit les articles 5 et 10.

Selon la Cour suprême, le caractère véritable de la Loi est d’assurer l’efficacité du monopole de la société d’État, la SQDC (par. 28), « […] en dirigeant les consommateurs vers la seule source d’approvisionnement légalement autorisée […] » (par. 38). Les interdictions de possession et de culture sont en fait les moyens choisis par le législateur québécois pour réaliser les objets de la Loi énoncés à son article premier, soit « prévenir et […] réduire les méfaits du cannabis afin de protéger la santé et la sécurité de la population, particulièrement celle des jeunes », et « assurer la préservation et l’intégrité du marché du cannabis » (par. 40). Pour la Cour suprême, il ne s’agit pas de législation déguisée (par. 50).

Les effets des dispositions en litige abondent aussi dans le même sens. La Cour suprême fait sien le portrait dressé par la Cour supérieure :

« … l’application des articles 5 et 10 a pour conséquence pratique d’une part, d’empêcher les citoyens de posséder et de cultiver des plantes de cannabis à des fins personnelles et d’autre part, d’obliger les consommateurs à s’approvisionner en cannabis auprès de la SQDC.

Quant aux conséquences juridiques, les dispositions provinciales ont pour effet, tout d’abord, de prohiber la possession d’une plante de cannabis et la culture personnelle de cannabis ainsi que d’imposer des sanctions pénales en cas de contravention. Elles entraînent aussi des conséquences de nature pénale à des actes qui étaient autrefois criminalisés par une loi fédérale, soit la LRDS. [par. 49‑50] » (par. 58)

Une fois qualifiée, la Cour suprême se penche sur la classification des articles 5 et 10 de la Loi en regard des champs de compétence décrits à la Loi constitutionnelle de 1867

Selon la Cour suprême, ces articles se rattachent à la compétence provinciale prévue aux paragraphes 92 (13) et (16), puisque le législateur québécois n’a pas envisagé la possession et la culture de cannabis « comme un fléau social à réprimer, mais plutôt comme une pratique qu’il convient d’interdire pour diriger les consommateurs vers une source d’approvisionnement contrôlée » (par. 74). Cette qualification « s’explique par le fait que les interventions législatives des provinces en matière de santé publique ont pour assises principales la compétence large et plénière sur la propriété et les droits civils (par. 92(13)), ainsi que la compétence résiduelle sur les matières de nature purement locale ou privée dans la province (par. 92(16)) » (par. 71). En somme, pour la Cour suprême, il ne s’agit pas d’un empiétement sur la compétence fédérale en matière de droit criminel (par. 78).

Après s’être prononcée sur la validité constitutionnelle des dispositions contestées, la Cour suprême se penche sur le caractère opérant de celles-ci. En fait, une législation valide peut néanmoins être déclarée inopérante suivant la doctrine de la prépondérance fédérale s’il est démontré un conflit d’application ou une entrave à la réalisation de l’objet de la loi fédérale (par. 88).

Or, après analyse, la Cour suprême conclut que les dispositions contestées de la loi provinciale :

« […] n’entravent pas la réalisation des objets énoncés dans la Loi fédérale, notamment celui de limiter la présence des organisations criminelles dans le marché du cannabis, et qu’elles sont opérantes au regard de la doctrine de la prépondérance fédérale. Les objectifs de santé et de sécurité publiques poursuivis par la Loi provinciale et ses interdictions sont, dans une large mesure, en harmonie avec les objectifs visés par la Loi fédérale, et il n’y a pas lieu de conclure à l’existence d’un conflit d’objets. » (par. 104).

Le pourvoi de M. Murray-Hall est ainsi rejeté; il n’a pas été en mesure de se décharger de son fardeau de preuve.

Le texte intégral de la décision est disponible ici.


[1] 2019 QCCS 3664.

[2] 2021 QCCA 1325.

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