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01 Sep 2023

Quebec English School Boards Association c. Procureur général du Québec, 2023 QCCS 2965

Par SOQUIJ, Intelligence juridique

ÉDUCATION : Plusieurs articles de la Loi modifiant principalement la Loi sur l’instruction publique relativement à l’organisation et à la gouvernance scolaires ainsi que l’article 473.1 de la Loi sur l’instruction publique portent atteinte aux droits garantis par l’article 23 de la Charte canadienne des droits et libertés; ils sont donc déclarés inopérants à l’égard des commissions scolaires anglophones du Québec.

2023EXP-2017 ***  

Intitulé : Quebec English School Boards Association c. Procureur général du Québec, 2023 QCCS 2965

Juridiction : Cour supérieure (C.S.), Montréal

Décision de : Juge Sylvain Lussier

Date : 2 août 2023

Références : SOQUIJ AZ-51957951, 2023EXP-2017 (129 pages)

Résumé

ÉDUCATION — commission scolaire — contrôle judiciaire — Loi modifiant principalement la Loi sur l’instruction publique relativement à l’organisation et à la gouvernance scolaire — Loi sur l’instruction publique — abolition des commissions scolaires pour les remplacer par des centres de services scolaires — droits de la minorité anglophone du Québec — constitutionnalité — interprétation de l’article 23 de la Charte canadienne des droits et libertés — établissement scolaire — gestion et contrôle — statut d’ayant droit — transfert de pouvoir — pouvoir du ministre — atteinte aux droits protégés par l’article 23 de la Charte canadienne des droits et libertés — atteinte non justifiée — réparation — déclaration d’inopérabilité constitutionnelle — obligation de tenir compte des préoccupations de la minorité.

DROITS ET LIBERTÉS — droit à l’égalité — motifs de discrimination — langue — droits de la minorité anglophone du Québec — Loi modifiant principalement la Loi sur l’instruction publique relativement à l’organisation et à la gouvernance scolaire — Loi sur l’instruction publique — abolition des commissions scolaires pour les remplacer par des centres de services scolaires — interprétation de l’article 23 de la Charte canadienne des droits et libertés — établissement scolaire — gestion et contrôle — statut d’ayant droit — transfert de pouvoir — atteinte aux droits protégés par l’article 23 de la Charte canadienne des droits et libertés — atteinte non justifiée — réparation — déclaration d’inopérabilité constitutionnelle — obligation de tenir compte des préoccupations de la minorité.

CONSTITUTIONNEL (DROIT) — langue — droits linguistiques — droit à l’instruction dans la langue de la minorité — droits de la minorité anglophone du Québec — Loi modifiant principalement la Loi sur l’instruction publique relativement à l’organisation et à la gouvernance scolaire — Loi sur l’instruction publique — abolition des commissions scolaires pour les remplacer par des centres de services scolaires — interprétation de l’article 23 de la Charte canadienne des droits et libertés — établissement scolaire — gestion et contrôle — statut d’ayant droit — transfert de pouvoir — atteinte aux droits protégés par l’article 23 de la Charte canadienne des droits et libertés — atteinte non justifiée — réparation — déclaration d’inopérabilité constitutionnelle — obligation de tenir compte des préoccupations de la minorité.

CONSTITUTIONNEL (DROIT) — divers — Loi modifiant principalement la Loi sur l’instruction publique relativement à l’organisation et à la gouvernance scolaire — Loi sur l’instruction publique — validité constitutionnelle — abolition des commissions scolaires pour les remplacer par des centres de services scolaires — établissement scolaire — gestion et contrôle — statut d’ayant droit — transfert de pouvoir — droit à l’égalité — langue — droits de la minorité anglophone du Québec — atteinte aux droits protégés par l’article 23 de la Charte canadienne des droits et libertés — atteinte non justifiée — réparation — déclaration d’inopérabilité constitutionnelle.

INTERPRÉTATION DES LOIS — interprétation large et libérale — objectif de la loi — interprétation contextuelle — contexte historique et géographique — interprétation de l’article 23 de la Charte canadienne des droits et libertés — emploi du terme «citoyen» — dimension collective — établissement scolaire — gestion et contrôle.

ÉDUCATION — confessionnalité et langue.

Pourvoi en contrôle judiciaire visant à faire déclarer invalides certaines dispositions de la Loi modifiant principalement la Loi sur l’instruction publique relativement à l’organisation et à la gouvernance scolaire et de la Loi sur l’instruction publique. Accueilli en partie.

La Loi modifiant principalement la Loi sur l’instruction publique relativement à l’organisation et à la gouvernance scolaire, adoptée sous le bâillon le 8 février 2020, a remplacé, pour les secteurs francophone et anglophone, les commissions scolaires par des centres de services scolaires. Elle a aboli les élections scolaires en milieu francophone, mais les a maintenues pour la minorité anglophone. Par ailleurs, elle a modifié la composition des conseils d’administration (CA) des organismes de gestion des écoles anglophones en imposant des catégories de membres, faisant en sorte que les CA comportent une majorité de membres provenant des conseils d’établissements scolaires, lesquels membres sont obligatoirement des parents d’élèves inscrits dans ces établissements et déjà élus. Au soutien de leur demande en contrôle judiciaire, les demandeurs allèguent notamment que les modifications apportées par la loi à la composition du CA ainsi qu’au processus de nomination de ses membres font en sorte que les ayants droit aux termes de l’article 23 de la Charte canadienne des droits et libertés n’ont plus le pouvoir de gestion et de contrôle exclusif à l’égard des établissements d’enseignement anglophones du Québec. Ils allèguent plus précisément que les articles 50, 52, 66, 91, 93, 105, 142, 196, 208, 212, 216, 329 et 330 de la Loi modifiant principalement la Loi sur l’instruction publique relativement à l’organisation et à la gouvernance scolaire ainsi que 473.1 de la Loi sur l’instruction publique portent atteinte aux droits qui leur sont conférés par l’article 23 de la charte et ils demandent qu’ils soient déclarés inopérants à leur égard.

Décision

Bien que le libellé de l’article 23 de la charte ne fasse pas mention de pouvoirs de gestion, les protections que confère cet article comprennent, selon la jurisprudence, un droit exclusif de «gestion et de contrôle» sur les établissements scolaires par la minorité linguistique. Par ailleurs, en ce qui a trait à l’échelle variable des droits, le niveau supérieur est atteint. Le nombre d’élèves anglophones ayant le droit d’être instruits en anglais justifie l’existence des établissements et des 9 commissions scolaires. En ce qui a trait à la loi, les articles attaqués doivent être étudiés dans leur perspective globale et leur contexte afin de déterminer si, lus ensemble, ils portent atteinte aux droits garantis par l’article 23 de la charte. Celui-ci doit, quant à lui, être interprété de façon large et libérale afin de lui permettre d’atteindre son objet, soit la protection et l’épanouissement de la minorité anglophone du Québec. L’interprétation de cet article est conditionnée par son caractère collectif et son contexte tant historique que géographique. En effet, il faut l’interpréter non seulement dans le temps, mais également dans l’espace. Les 9 commissions scolaires vivent des réalités différentes. Il n’y a qu’à constater l’immensité du territoire couvert par les 7 commissions scolaires situées à l’extérieur de l’île de Montréal. Ces problèmes de dispersion et de manque de vitalité de la communauté à l’extérieur de Montréal ne sont pas sans conséquence sur l’atteinte que porte la loi aux droits garantis par l’article 23 de la charte. Par ailleurs, la communauté anglophone du Québec ne se limite pas aux parents d’élèves inscrits à l’école. L’article 23 étend les bénéfices de sa protection à tous les citoyens canadiens qui ont reçu leur instruction, au niveau primaire, en anglais au Canada ou encore dont un enfant a reçu ou reçoit son instruction, au niveau primaire ou secondaire, en anglais au Canada. Bien que le texte vise les «citoyens», donc des individus, le caractère à la fois individuel et collectif des droits conférés par l’article 23 a été souligné par la jurisprudence. Cette dimension collective a son importance lorsqu’il est question de gestion et de contrôle des établissements scolaires de la minorité linguistique.

Même si, lorsqu’elles sont examinées individuellement, les dispositions de la Loi modifiant principalement la Loi sur l’instruction publique relativement à l’organisation et à la gouvernance scolaire peuvent paraître anodines, leur effet cumulatif est indéniable et entraîne une érosion du contrôle de la minorité par ses représentants traditionnels. La minorité se voit privée de la contribution de la majorité de ses membres à la vie démocratique de celle-ci. Certes, le législateur peut imposer des exigences quant à la qualité des représentants, mais pas au point de stériliser le droit de la communauté de se faire adéquatement représenter. S’il n’appartient pas au présent tribunal de définir quel est le niveau acceptable de réglementation, il lui revient néanmoins de constater que, en l’espèce, la limitation du droit à une représentation acceptable et historiquement acceptée contrevient à l’article 23 de la charte. Limiter directement ou indirectement, comme le fait la loi, le droit des représentants de la minorité anglophone de se présenter aux élections scolaires restreint le droit de celle-ci à la gestion et au contrôle de ses établissements scolaires.

En ce qui a trait à l’article 473.1 de la Loi sur l’instruction publique, qui permet au ministre d’ordonner le transfert de certaines des sommes prévues pour les centres de services scolaires vers les établissements, les demandeurs soutiennent qu’il a pour but de court-circuiter le contrôle et l’allocation des fonds par la commission scolaire. Le déplacement des pouvoirs décisionnels des commissions scolaires vers les établissements va à l’encontre des enseignements de la Cour suprême du Canada relativement aux établissements de la minorité.

Le législateur québécois n’a pas suffisamment tenu compte des besoins, demandes ou préoccupations de la minorité anglophone et de ses représentants. La preuve établit plutôt qu’il n’a d’aucune façon tenté de déterminer quels étaient ces besoins, qu’il a considérablement limité les possibilités de les faire valoir et qu’il n’a pas sérieusement requis l’opinion des membres de la minorité ou encore n’en a pas tenu compte. En l’espèce, le gouvernement n’a pas respecté les règles d’une consultation «utile» («meaningful»). Par conséquent, il faut conclure que les articles 50, 52, 66, 91, 93, 196, 208, 212 et 216 de la Loi modifiant principalement la Loi sur l’instruction publique relativement à l’organisation et à la gouvernance scolaire et 473.1 de la Loi sur l’instruction publique portent atteinte aux droits des ayants droit québécois aux termes de l’article 23 de la charte d’exercer un pouvoir exclusif de gestion et de contrôle de leurs établissements scolaires. Quant à la demande relative aux articles 105, 142, 329 et 330 de la Loi modifiant principalement la Loi sur l’instruction publique relativement à l’organisation et à la gouvernance scolaire, elle est rejetée.

Bien que l’objectif de rapprocher la gestion scolaire des parents des élèves soit légitime, le fait d’éliminer plus de 90 % des candidats potentiels au poste de commissaire ou de conseiller ne constitue pas une atteinte «minimale» au droit de se porter candidat. La proportionnalité des mesures avec les objectifs visés n’a pas été établie. Il faut conclure que l’atteinte aux droits de la minorité anglophone et des ayants droit aux termes de l’article 23 de la charte n’est pas justifiée. Quant à la réparation, les articles de la Loi modifiant principalement la Loi sur l’instruction publique relativement à l’organisation et à la gouvernance scolaire et de la Loi sur l’instruction publique qui portent atteinte aux droits protégés par l’article 23 de la charte seront déclarés inopérants à l’égard des commissions scolaires ou centres de services scolaires anglophones.

Réf. ant : (C.S., 2020-08-10), 2020 QCCS 2444, SOQUIJ AZ-51699660, 2020EXP-2040; (C.A., 2020-08-20), 2020 QCCA 1074, SOQUIJ AZ-51703029; (C.A., 2020-09-17), 2020 QCCA 1171, SOQUIJ AZ-51708268, 2020EXP-2238.

Le texte intégral de la décision est disponible ici

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