Obsolescence programmée et droit à la réparation: de nouvelles protections pour le consommateur québécois
Par Marilou Dostie-Nicol, avocate
En tant que consommateurs, nous savons que nos objets ne peuvent fonctionner indéfiniment. Néanmoins, il est raisonnable de s’attendre à ce que leur bon fonctionnement ne soit pas intentionnellement réduit et à pouvoir les réparer sans entraves économiques ou administratives des commerçants ou fabricants. C’est entre autres pour favoriser l’atteinte de ces objectifs que fut sanctionnée en octobre dernier la Loi protégeant les consommateurs contre l’obsolescence programmée et favorisant la durabilité, la réparabilité et l’entretien des biens[1] (la « Loi »). Cette Loi modifie principalement la Loi sur la protection du consommateur[2] (la « L.P.C. »).
Nous nous concentrerons sur les dispositions concernant (i) l’obsolescence programmée et (ii) les automobiles gravement défectueuses, d’application immédiate, ainsi que celles prévoyant (iii) la garantie de disponibilité des pièces de rechange et des services de réparation et (iv) la garantie de bon fonctionnement, dont l’entrée en vigueur est prévue pour 2025 et 2026.
(i) L’obsolescence programmée
L’obsolescence programmée peut toucher virtuellement tous les biens de consommation et se présenter sous diverses formes.
Si le fabricant et le commerçant étaient auparavant tenus à une certaine garantie de qualité, il n’était pas spécifiquement interdit de saboter, en quelque sorte, son produit sous réserve d’autres obligations, comme l’obligation générale de bonne foi[3]. Devant l’évolution des pratiques commerciales en cette matière, le législateur québécois a cru bon d’interdire expressément de faire le commerce de biens dont l’obsolescence est programmée:
« Nul ne peut, par quelque moyen que ce soit, faire le commerce d’un bien pour lequel l’obsolescence est programmée. Le fabricant d’un tel bien est réputé en faire le commerce.
L’obsolescence d’un bien est programmée lorsqu’il fait l’objet d’une technique visant à réduire sa durée normale de fonctionnement.
Aux fins du premier alinéa, il est fait commerce d’un bien chaque fois qu’il est offert à un consommateur ou qu’il fait l’objet d’un contrat conclu avec un consommateur ».[4]
Le fardeau de prouver l’obsolescence programmée revient vraisemblablement au consommateur et nous notons que le législateur n’a pas prévu de présomption en sa faveur pour faciliter la preuve qu’une telle technique fut à l’œuvre.
(ii) Les automobiles gravement défectueuses
La Loi introduit la nouvelle notion d’automobile « gravement défectueuse ».
À la demande du consommateur propriétaire ou locataire à long terme, le tribunal pourra déclarer une automobile « gravement défectueuse » si les conditions prévues sont remplies[5]. En résumé, le bien doit être atteint d’une ou plusieurs défectuosités:
- que l’on a tenté de réparer en vertu de la garantie conventionnelle de base offerte par le fabricant;
- qui sont apparues dans les trois ans de la première vente ou location à long terme alors que l’automobile n’a pas parcouru plus de 60 000 kilomètres;
- qui rendent l’automobile impropre à l’usage auquel elle est normalement destinée ou en diminuent substantiellement l’utilité[6].
Le consommateur bénéficie ainsi d’une présomption irréfragable de vice caché, ouvrant ainsi la porte aux recours prévus par la L.P.C.[7]. Le consommateur locataire à long terme pourra par exemple demander la résiliation du contrat.
Notons enfin que le statut d’automobile « gravement défectueuse » devra être divulgué à la revente[8] et à l’occasion de toute publicité[9].
(iii) La garantie de disponibilité des pièces de rechange, des services de réparation et de l’information nécessaire à l’entretien et la réparation de biens
L’article 39 L.P.C. prévoit actuellement que si le bien est de nature à nécessiter un entretien, « les pièces de rechange et les services de réparation doivent être disponibles pendant une durée raisonnable après la formation du contrat ».
La Loi précise et, dans certains cas, va plus loin. Parmi les nouveautés, nous relevons que:
- le bien de nature à nécessiter un entretien est « celui dont l’usage peut nécessiter le remplacement, le nettoyage ou la mise à jour de l’une de ses composantes »[10];
- les logiciels de diagnostic et leurs mises à jour sont expressément prévus;
- les renseignements nécessaires à l’entretien ou à la réparation devront être disponibles en français;
- les pièces de rechange devront pouvoir être installées à l’aide d’outils couramment disponibles[11], sans causer de dommage irréversible au bien;
- le fabricant et le commerçant devront divulguer les informations relatives aux pièces de rechange, aux services de réparation et aux renseignements nécessaires à l’entretien ou à la réparation, de la manière et aux conditions qui seront déterminées par règlement du gouvernement;
- le commerçant et le fabricant seront tenus de garantir la disponibilité d’une pièce de rechange, d’un service de réparation ou d’un renseignement nécessaire à l’entretien ou à la réparation d’un bien à un prix raisonnable[12] ou gratuitement, si le renseignement est disponible sur support technologique;
- le fabricant d’une automobile devra donner accès, dans un format lisible, aux données de cette automobile à son propriétaire, à son locataire à long terme ou au mandataire de ceux-ci à des fins de diagnostic, d’entretien ou de réparation.
La faculté pour le fabricant et le commerçant de se décharger de leurs obligations de fournir les pièces de rechange et les services de réparation demeure. Elle est d’ailleurs étendue aux renseignements, à l’exception de ceux relatifs aux automobiles[13]. Pour ce faire, le fabricant ou le commerçant devra, comme actuellement, dénoncer ce fait par écrit avant la formation du contrat.
En cas de défaut de rendre disponibles les pièces de rechange, les services de réparation ou les renseignements nécessaires, le consommateur pourra demander au fabricant ou au commerçant d’effectuer la réparation. Dans les 10 jours de la réception d’une telle demande, le fabricant ou le commerçant devra informer le consommateur par écrit du délai dans lequel il propose d’effectuer la réparation. Le commerçant ou le fabricant qui fait défaut de fournir une telle réponse devra remplacer le bien par un bien neuf ou remis à neuf, possédant des fonctionnalités équivalentes, ou rembourser le prix au consommateur. Dans ces cas, le fabricant ou commerçant est en droit de récupérer le bien défectueux[14].
Soulignons que le consommateur n’est pas tenu d’accepter la proposition de réparation du fabricant ou commerçant. S’il accepte mais que le fabricant ou commerçant fait défaut de s’exécuter dans le délai indiqué, la situation décrite au paragraphe précédent sera appliquée, avec les adaptations nécessaires. S’il refuse, le consommateur pourra faire effectuer la réparation par un tiers aux frais du fabricant ou du commerçant, pourvu que ceux-ci soient raisonnables[15].
Enfin, le législateur renforce le droit à la réparation en rendant illégale toute technique ou manœuvre ayant pour effet de rendre plus difficile pour le consommateur ou son mandataire d’entretenir ou de réparer un bien[16].
Ces changements entreront en vigueur le 5 octobre 2025[17].
(iv) La garantie de bon fonctionnement
La Loi introduit une nouvelle expression au vocabulaire de la L.P.C.: la « garantie de bon fonctionnement ».
À première lecture, cet ajout peut sembler faire double emploi avec les garanties de qualité déjà prévues aux articles 38 L.P.C. et 1726 C.c.Q. Ces dispositions assurent au consommateur que le bien qu’il achète doit pouvoir servir à son « usage normal pendant une durée raisonnable, eu égard à son prix, aux dispositions du contrat et aux conditions d’utilisation du bien »[18].
Or, l’apport du nouvel article 38.1 L.P.C. est de moduler la garantie de qualité existante à l’égard de certains objets domestiques neufs:
38.1. Les biens neufs suivants qui font l’objet d’un contrat de vente ou de louage à long terme comportent une garantie de bon fonctionnement du bien : une cuisinière, un réfrigérateur, un congélateur, un lave-vaisselle, une machine à laver, un sèche-linge, un téléviseur, un ordinateur de bureau, un ordinateur portable, une tablette électronique, un téléphone cellulaire, une console de jeu vidéo, un climatiseur, une thermopompe et tout autre bien déterminé par règlement.
La durée de cette garantie pour les biens visés au premier alinéa est déterminée par règlement.
Les dispositions qui suivent précisent le contenu, l’application et la portée de la garantie de qualité désormais applicable aux biens visés[19]. Parmi elles, nous retenons que la garantie[20]:
- comprend les pièces et la main d’œuvre;
- ne comporte que trois exclusions, soit l’entretien normal, l’usage abusif du consommateur et les accessoires non prévus par règlement;
- prend effet au moment de la livraison du bien;
- est exécutée par le commerçant ou le fabricant ou par un tiers, à leur frais[21];
- pourra être invoquée par l’acquéreur subséquent;
Enfin, ajoutons que la garantie de bon fonctionnement est accompagnée d’une obligation d’information. Le fabricant devra « divulguer, de la manière et aux conditions prescrites par règlement, les informations relatives à cette garantie que détermine ce règlement ». Quant au commerçant, il devra indiquer la durée de la garantie de bon fonctionnement « à proximité de son prix annoncé ou, dans le cas du louage à long terme du bien, de sa valeur au détail, de manière évidente ». Notons que dans ce dernier cas, le commerçant devra également « transmettre au consommateur, de la manière et aux conditions prescrites par règlement, les informations relatives à cette garantie que détermine ce règlement »[22].
Ces dispositions entreront en vigueur le 5 octobre 2026[23].
Conclusion et commentaires
En modifiant ainsi la pièce maîtresse de son droit de la consommation, le Québec semble vouloir maintenir la pertinence et l’efficacité de la L.P.C. devant les pratiques industrielles et commerciales devant lesquelles le consommateur serait autrement impuissant.
Les règlements d’application à venir seront importants pour les fabricants et les commerçants puisque la Loi y réfère à plusieurs reprises et sur des sujets-clés, telle la durée de bon fonctionnement, la disponibilité des pièces de rechange, des services de réparation et l’information qui sera nécessaire à la réparation et à l’entretien des biens.
Il sera intéressant de suivre les effets concrets de l’interdiction de l’obsolescence programmée en raison du fardeau de preuve qui repose vraisemblablement sur le consommateur.
Pour les aspects administratifs, nous vous invitons à consulter le nouveau chapitre portant sur les sanctions administratives pécuniaires[24] ainsi que les dispositions donnant au gouvernement du Québec un pouvoir réglementaire en matière de normes techniques, dont l’attendue interopérabilité entre biens et chargeurs. Le texte intégral de la Loi disponible ici.
[1] Projet de loi no° 29, Loi protégeant les consommateurs contre l’obsolescence programmée et favorisant la durabilité, la réparabilité et l’entretien des biens, 1e sess., 43e législ., sanctionné le 5 octobre 2023.
[2] R.L.R.Q., c. P-40.1.
[3] Art. 1375 C.c.Q.
[4] Art. 227.0.4 L.P.C.
[5] Art. 53.1 L.P.C.
[6] Art. 53.1 L.P.C.
[7] Art. 53, 272 L.P.C.
[8] Art. 260.27.1. L.P.C.
[9] Art. 237.1 L.P.C.
[10] Art. 4 Loi.
[11] L’article 4 de la Loi prévoit qu’un règlement pourra déterminer des cas dans lesquels un outil est considéré comme « couramment disponible ».
[12] Art. 4 Loi. Le nouvel article 39.3 L.P.C. prévoit qu’un tel prix sera raisonnable « s’il n’en décourage pas l’accès par le consommateur ou son mandataire. Un règlement peut déterminer des cas dans lesquels un tel prix est présumé décourager l’accès par le consommateur ou son mandataire ».
[13] Art. 4 Loi.
[14] Art. 4 Loi.
[15] Art. 4 Loi.
[16] Art. 14 Loi.
[17] Art. 37(3) Loi.
[18] Art. 38 L.P.C.
[19] Voir les nouveaux articles 38.2 à 38.9 L.P.C.
[20] Art. 3 Loi.
[21] Les commerçants ou fabricants assument les frais raisonnables de transport ou d’expédition engagés à cette occasion et assument les frais de la réparation, qu’elle soit effectuée par eux ou par un tiers.
[22] Art. 3 Loi. Voir les nouveaux articles 38.7 à 38.9 L.P.C.
[23] Art.37(4) Loi.
[24] Art. 276.1 et ss. L.P.C.
Est-ce que c’est de l’obsolescence programmée le fait que je ne puisse plus télécharger de mise à jour sur mon mini Ipad modèle A1489 de Apple. Cet empêchement fait en sorte que je ne peux plus utiliser mon Ipad à 100% parce que ma mise à jour actuelle restreint l’ouverture de certains sites Internet, merci.