08 Déc 2021

Victoire importante pour les consommateurs en matière d’annulation d’une vente

Par David Searle, avocat

Nombreux sont les consommateurs qui, déçus de leurs achats, souhaitent obtenir l’annulation de la vente et leur remboursement. Ils sont alors placés devant un dilemme : à la découverte d’un problème, doivent-ils cesser d’utiliser et ensuite entreposer leur auto usagée, thermopompe, matelas, électroménagers, etc., en attendant un jugement afin de préserver leur recours en annulation? La Cour d’appel a répondu à la question par la négative dans l’arrêt Murray c. Prestige Gabriel Ouest, 2021 QCCA 1394, et ce au grand bonheur des consommateurs.

Contexte

En septembre 2015, l’appelant, Frédéric Murray, achète une automobile d’occasion payée à fort prix de l’intimé, Prestige Gabriel Ouest[1]. Au moment de la vente, un document est remis à l’appelant attestant que la voiture n’avait jamais été accidentée. Or, en janvier 2017, l’appelant découvre que la voiture a été impliquée dans deux accidents avant son achat. L’appelant poursuit l’intimé devant la Cour supérieure en février 2017, lui reprochant d’avoir passé sous silence un fait important. Il réclame l’annulation de la vente, la restitution des prestations et divers dommages. Dans le but d’obtenir du financement, l’appelant vend la voiture à un tiers en juin 2017 pour la louer de celui-ci par la suite et entame une utilisation plus soutenue de l’automobile à partir de cette date. En octobre 2018, l’appelant a eu un accident avec la voiture et celle-ci sera alors entreposée.

Le jugement de première instance

La juge de première instance a reconnu que l’intimée avait fait des fausses représentations au moment de la vente[2], mais elle a conclu que la vente ne pouvait être annulée, car l’utilisation de la voiture par l’appelant avait rendu la restitution des prestations impossible[3]. L’appelant se pourvoit donc à l’encontre de ce jugement.

L’analyse

Une formation unanime de la Cour d’appel vient infirmer la décision de première instance. La Cour souligne que les règles relatives à la restitution des prestations prévues au Code civil du Québec offrent une certaine flexibilité afin d’ajuster les modalités de la restitution et pallier tout problème résultant de l’utilisation du bien :

[31] […] La restitution est la conséquence de l’annulation du contrat; elle n’est pas une condition de son exercice.

[…]

[34] La juge conclut que la restitution n’est pas possible en l’espèce, car l’utilisation de la voiture par l’appelant rend la remise en état impossible. Or, le fait de continuer à utiliser la chose vendue, même après la connaissance de la cause d’annulation, ne fait pas nécessairement obstacle à la restitution. Les principes régissant la restitution permettent de prendre en considération une telle utilisation.

[35] Il en découle que l’appelant n’était pas tenu de cesser d’utiliser la voiture et de la remettre immédiatement dans l’état où elle se trouvait au moment de la vente afin de préserver son recours à l’annulation.[4]

Si la restitution est possible, elle doit se faire selon les règles de la restitution, et dans ce cas de figure, en nature. Bien que l’appelant ne soit plus propriétaire de l’automobile, la nouvelle propriétaire à qui il l’a vendue s’est engagée à la remettre à l’intimé sur paiement d’une somme convenue par l’appelant – rendant ainsi possible une restitution en nature.

La Cour procède donc à l’analyse des trois modalités de la restitution des prestations énumérées ci-dessous, en précisant que ces modalités « ne sont pas exclusives les unes des autres »[5]. Son analyse s’avère fort pertinente pour mieux comprendre les droits et obligations des parties dans le cadre de l’annulation d’un contrat de consommation.

1 – Perte de valeur supérieure à l’usure normale

Tout d’abord, pour bénéficier de l’indemnité prévue à l’article 1702 C.c.Q., l’intimé devait faire la preuve d’une perte de valeur supérieure à la normale.

La Cour admet que la voiture a subi une perte de valeur en raison de l’usage qu’en a fait l’appelant. Cependant, en l’absence de preuve de l’étendue de cette perte, l’intimé ne peut pas obtenir l’indemnité prévue à cet article[6].

2 – Qualifier la jouissance du bien après la découverte du problème

Ensuite, l’appelant devait avoir agi de bonne foi pour éviter de devoir indemniser l’intimé pour sa jouissance continue du véhicule, tel que prévu à l’article 1704 C.c.Q.

En l’espèce, la Cour détermine que l’appelant était de mauvaise foi dans sa jouissance de l’automobile à partir du moment qu’il connaissait « la cause de l’annulation et cherch[ait] à faire annuler la vente »[7]. En effet, la bonne ou mauvaise foi de l’appelant se qualifie selon la définition prévue à l’article 932 C.c.Q.

La Cour d’appel impose une indemnité calculée sur 21 mois pour dédommager l’intimé de la jouissance que l’appelant a tiré du véhicule, soit de la mise en demeure jusqu’au moment où le véhicule a été entreposé. Pour fixer le montant, la Cour se fie au paiement mensuel prévu au contrat de location entre l’appelant et la tierce partie, et ajoute la valeur des réparations qui restent à effectuer au véhicule[8].

3- Exercice du pouvoir discrétionnaire de refuser la restitution

Finalement, la restitution peut être modifiée ou refusée en raison de l’article 1699, al. 2 C.c.Q.lorsqu’il en découlerait un avantage indu pour l’une des deux parties. 

Paraphrasant l’arrêt Montréal (Ville de) c. Octane Stratégie inc. de la Cour suprême, la Cour d’appel définit un tel avantage comme étant « celui qui, aux yeux d’une personne raisonnable, choquerait la raison et l’équité »[9].

L’intimé allègue que les gestes de l’appelant ont causé une dépréciation de la valeur du véhicule et justifierait l’intervention de la Cour. La Cour rejette cet argument étant donné l’absence de preuve de la perte de valeur du véhicule. De plus, l’indemnisation déjà accordée en vertu de 1704 C.c.Q. réduit tout avantage indu causé par la restitution des prestations[10].

En somme, l’appelant a droit à la restitution en nature, malgré son utilisation de mauvaise foi du véhicule. Les différentes modalités de restitution analysées font en sorte qu’il doit néanmoins indemniser l’intimé pour la jouissance qu’il a tiré du véhicule après sa mise en demeure.

Commentaire

Cet arrêt important vient mettre de côté, de façon unanime, le principe établi par la Cour d’appel dans l’affaire Nichols c. Toyota Drummondville (1982) inc.[11]selon lequel le consommateur qui demande l’annulation d’une vente et qui désire obtenir la restitution des prestations doit cesser l’utilisation du bien.

Dans cette décision, la Cour d’appel clarifie les options offertes aux consommateurs qui souhaitent annuler une vente, suite à la découverte d’un manquement prévu à la Loi sur la protection du consommateur ou encore un vice de consentement qui découle du Code civil du Québec.

De prime abord, la Cour d’appel envoie un message fort que les règles de restitution des prestations ne peuvent qu’exceptionnellement empêcher l’annulation d’une vente. 

De plus, les consommateurs peuvent dorénavant choisir de continuer à utiliser un bien de consommation, même après la mise en demeure qui demande l’annulation de la vente. Cela dit, ils doivent prévoir une indemnisation au commerçant pour la jouissance qu’ils ont fait de mauvaise foi du bien. Une évaluation experte de la valeur de la jouissance du bien pourrait s’avérer utile pour aider la Cour à déterminer l’indemnité à accorder au commerçant. Finalement, le commerçant qui souhaite invoquer les articles 1699 al. 2 et 1702 C.c.Q.a le fardeau de prouver la perte de valeur subie au véhicule, vraisemblablement par le biais d’une expertise.

Le texte intégral de la décision est disponible ici


[1] 133 059,42 $, incluant les taxes et la garantie prolongée.

[2] Murray c. Prestige Gabriel Ouest, 2019 QCCS 4524, par. 72-76; Art. 228 et 253 de la Loi sur la protection du consommateur, RLRQ, c. P-40.1.

[3] Id., par. 88-92.

[4] Murray c. Prestige Gabriel Ouest, 2021 QCCA 1394, par. 31, 34-35.

[5] Id., par. 44.

[6] Id., par. 45.

[7] Id., par. 46.

[8] Id., par. 47-51. La restitution atteint donc 80 865,86 $.

[9] 2019 CSC 57; Murray c. Prestige Gabriel Ouest, 2021 QCCA 1394,par. 54.

[10] Id., par. 54-55.

[11] Nichols c. Toyota Drummondville (1982) inc., [1995] R.J.Q. 746 (C.A.).

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