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Maia Ioana Voicu
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22 Fév 2024

Contentieux Linguistique : La Cour fédérale rejette le recours de la Fédération de la Police Nationale

Par Maia Ioana Voicu, Avocate

Le 12 janvier 2024, la Cour fédérale (ci-après : la « Cour »), rejette le recours formé par la Fédération de la Police Nationale (ci-après : la « Fédération »), dans l’affaire Fédération de la Police Nationale c. Canada (Procureur général) [1].

Dans son recours judiciaire formé en vertu du paragraphe 77(1) de la Loi sur les langues officielles, LRC 1985, c 31 (4e suppl) (ci-après : la « Loi »), la Fédération cherchait à obtenir une ordonnance qui examine le bien-fondé de la plainte qu’elle a déposée auprès du Commissariat aux langues officielles en 2021 afin d’obtenir, si la Cour estime que la plainte est bien fondée, une réparation juste et convenable compte tenu des circonstances. Cette décision est importante, car elle clarifie les recours possibles en vertu de la Loi sur les langues officielles et établit des critères pour déterminer la recevabilité de ces recours. Elle contribue à renforcer la compréhension et l’application cohérente de la législation linguistique au Canada.

Contexte

En 2021, dans sa plainte, la Fédération dénonce que les politiques internes mises en place par la Gendarmerie royale du Canada (ci-après : la « GRC ») créent des inégalités dans les opportunités d’avancement pour les membres francophones et anglophones de la GRC. Elle soutient que le Manuel de gestion des carrières (ci-après : le Manuel) de la GRC est contraire à la Directive sur les langues officielles pour la gestion des personnes du Conseil du Trésor du Canada [2] (ci-après : la Directive). La Fédération soutient que cette non-conformité à la Directive rend le Manuel non conforme à la Loi. Enfin, dans son rapport final, le Commissaire conclut que la politique énoncée dans le Manuel n’est pas contraire à la Directive.

Dans son recours judiciaire, la Fédération soutient que le Manuel limite de manière injustifiée l’étendue des droits linguistiques relatifs à la dotation, plutôt que de leur accorder l’interprétation vaste et libérale préconisée par la Directive. Par conséquent, selon la Fédération, le Manuel est incompatible avec la Directive, et de ce fait, avec la Loi.

Afin d’obtenir réparation, la Fédération doit démontrer que la GRC ne s’est pas conformée à l’un des articles mentionnés au paragraphe 77(1) de la Loi: « Quiconque a saisi le commissaire d’une plainte visant une obligation ou un droit prévus aux articles 4 à 7 et 10 à 13 ou aux parties IV, V, ou VII, ou fondée sur l’article 91, peut former un recours devant le tribunal sous le régime de la présente partie. » [Nous soulignons.]

De ce fait, la Fédération confirme que son recours repose sur des allégations de violations de l’alinéa 36(1)(c) de la Loi, contenu à la Partie V, et du paragraphe 39(1) de la Loi, contenu à la Partie VI.

Décision

La Cour rejette le recours en se fondant sur trois aspects. Premièrement, elle examine le rejet du recours formé sous le paragraphe 39(1) de la Loi, soulignant l’absence de fondement juridique selon les critères établis. Deuxièmement, elle évalue le recours formé sous l’alinéa 36(1)(c) de la Partie V de la Loi, en relevant le manque de preuves pertinentes présentées par la Fédération. Enfin, la Cour se penche sur l’allégation d’incompatibilité entre la Directive et le Manuel, appliquant un test juridique pour trancher cette question.

  1. Recours formé sous le paragraphe 39(1) de la Loi

Le recours est jugé irrecevable et non fondé par la Cour, pour les motifs suivants.

La Cour souligne que l’article 39 est situé dans la partie VI de la Loi, une partie qui n’est pas énumérée à l’article 77(1). Par conséquent, le recours ne peut être fondé sur l’article 39 [3]. La Cour insiste sur le point que le texte de loi est clair et fait référence à la décision antérieure de la Cour d’appel fédérale dans l’affaire du Forum des maires [4], qui avait déjà statué sur ce point :

« Le texte du paragraphe 77(1) est clair et explicite. (…) un recours visant quelque article de la Loi que ce soit, ne saurait être retenue. Non seulement le législateur aurait-il parlé pour ne rien dire en prenant le soin d’énumérer certains articles et parties de la Loi au paragraphe 77(1), mais aussi, et peut-être surtout, cette énumération est-elle tout à fait compatible avec l’intention du législateur clairement exprimée ailleurs dans la Loi de ne pas assurer à chaque article ou à chaque partie de la Loi le même statut non plus que la même protection devant les tribunaux. » [5]

De plus, la Cour souligne que la jurisprudence a maintes fois confirmé que l’article 39 de la Loi ne constitue pas une source d’obligation pour le gouvernement du Canada [6].

  1. Recours formé sous l’alinéa 36(1) c) de la partie V Loi

La Cour est d’avis que la Fédération n’a présenté aucune preuve pertinente pour soutenir son recours alléguant une violation à l’alinéa 36(1)(c) de la Loi [7].

  1. Incompatibilité alléguée entre la Directive et le Manuel

La Cour applique le test de l’arrêt Multiple Access Ltd. c. McCutcheon [8] de la Cour suprême du Canada pour établir s’il y a incompatibilité entre le Manuel et la Directive [9]. Elle arrive à la conclusion qu’il n’existe aucune contradiction et qu’il est possible d’adhérer aux deux instruments, car « un ne fait que précéder l’autre quant au moment auquel il faut avoir adhéré aux exigences linguistiques d’un poste » [10].

Par conséquent, n’ayant pas démontré que la GRC ne s’est pas conformée à l’un des articles mentionnés au paragraphe 77(1) de la Loi, le recours de la Fédération de la Police Nationale est rejeté par la Cour fédérale.

Le texte intégral de la décision est disponible ici.

[1] Fédération de la Police Nationale c. Canada (Procureur général), 2024 CF 53.

[2] Plus particulièrement les dispositions 5.2 et 6.3

[3] Id., par. 18.

[4] Forum des maires de la Péninsule acadienne c. Canada (Agence d’inspection des aliments), 2004 CAF 263, aux para 15-21.

[5] Id., par. 25.

[6] Supra note 2, par. 21.

[7] Id., par. 25.

[8] Test de l’arrêt Multiple Access Ltd. c. McCutcheon, [1982] 2 RCS 161 à la p 191 : « En principe, il ne semble y avoir aucune raison valable de parler de prépondérance et d’exclusion sauf lorsqu’il y a un conflit véritable, comme lorsqu’une loi dit « oui » et que l’autre dit « non »; « on demande aux mêmes citoyens d’accomplir des actes incompatibles »; l’observance de l’une entraîne l’inobservance de l’autre. »

[9] Supra note 2, par. 26.

[10] Id., par. 27.

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