Northvolt : la Cour supérieure rejette une demande d’injonction interlocutoire provisoire visant à stopper les travaux
Par Gabrielle Champigny, avocate
Le 26 janvier dernier, le projet fort médiatisé de Northvolt Batteries Nord-Amérique inc. (« Northvolt ») a obtenu le feu vert pour la poursuite des travaux de préparation du site de l’éventuelle usine de fabrication de batteries pour véhicules électriques, dont la construction est prévue sur un terrain de 171 hectares à cheval entre les municipalités de Saint-Basile-le-Grand et de McMasterville1 . La Cour supérieure a refusé d’accorder l’injonction interlocutoire provisoire demandée conjointement par le Centre québécoise du droit de l’environnement (« CQDE ») et trois citoyennes habitant à proximité du site.
Contexte
Le litige a pris naissance à la suite d’une autorisation accordée au projet de Northvolt Batteries Nord-Amérique inc. par le ministère de l’Environnement, de la Lutte contre les changements climatiques, de la Faune et des Parcs (« MELCCFP »), lui permettant d’entreprendre des travaux de remblaiement, de déboisement et de défrichage en milieu humide (l’« autorisation ministérielle »). Combinée à cette autorisation délivrée en vertu de l’article 22 de la Loi sur la qualité de l’environnement, la municipalité de Saint-Basile-le-Grand a aussi accordé un permis d’abattage d’arbres à l’entreprise (le « permis municipal »). Le 15 janvier dernier, Northvolt a ainsi pu démarrer ses travaux.
Décision
La Cour a d’abord rappelé les critères applicables à l’injonction interlocutoire « prohibitive »2 et a insisté sur la « retenue » dont elle devait faire preuve avant d’annuler une décision prise par une autorité administrative, en particulier lorsque celle-ci jouit d’une grande discrétion dans l’exercice de ses pouvoirs3 . Son rôle est d’en contrôler la « légalité » et non l’« opportunité »4 .
L’urgence, un critère qui s’ajoute au stade de l’injonction provisoire, n’était pas contestée en l’espèce, alors que Northvolt avait déjà entrepris l’abattage d’arbres et que les travaux de remblayage de milieux humides s’apprêtaient à débuter5 .
L’issue de la décision s’est jouée sur l’existence ou non d’une apparence de droit. Les demanderesses, soit le CQDE et les trois citoyennes, ont fait valoir que l’autorisation ministérielle et le permis municipal étaient déraisonnables pour plusieurs raisons, surtout fondées sur la riche biodiversité et les milieux humides présents sur le site choisi par Northvolt. Aucune de ces raisons n’a toutefois été suffisante pour convaincre la Cour qu’il existait une apparence de droit à l’injonction6 .
Premièrement, en ce qui a trait à la biodiversité du site7 , les demanderesses ont plaidé que « [l]es fonctions de conservation de la biodiversité du site qualifiées d’importantes avaient d’abord justifié un refus de la part du ministre de délivrer une autorisation pour un projet situé dans la même zone »8 . La Cour a répondu à cet argument en soulignant qu’un refus antérieur du MELCCFP n’a pas pour effet de le lier pour l’avenir9 . Sa discrétion s’exerce « en fonction des particularités de chaque projet et de ses impacts sur le milieu naturel du site »10 . Contrairement au dernier projet examiné sur ce site, les travaux prévus par Northvolt n’empiètent pas sur les milieux humides abritant l’habitat potentiel du petit blongios, une espèce désignée vulnérable en vertu de la Loi sur les espèces menacées et vulnérables11 .
Deuxièmement, à l’égard des milieux humides, les demanderesses ont soutenu que « [l]’autorisation ministérielle contrevient à la LQE en ce qu’elle ne préciserait pas « les conditions, les restrictions et les interdictions » pour la restauration ou le remplacement des milieux humides ou hydriques détruits par le projet 12» . Aux yeux de la Cour, qui réitère qu’elle ne peut s’aventurer sur des questions d’opportunité de la décision contestée, cet argument sur le manque de précision des conditions imposées n’ouvre pas la porte à un « droit sérieux » qui permettrait de conclure que la décision est déraisonnable13 :
« [36] Or, l’argument des demanderesses est loin de démontrer que le ministre abdique ses responsabilités ou exerce sa discrétion de façon déraisonnable en reportant à plus tard l’élaboration d’un plan de restauration de milieux humides. Le ministre ne donne pas un chèque en blanc à Northvolt en lui donnant l’option soit i) d’acquérir un terrain voisin de 18 hectares (ha) pour créer un milieu naturel total de 94 ha dans le secteur du projet (une condition formulée par les biologistes pour créer un milieu propice à l’habitation de la faune), soit ii) de créer, de restaurer ou de conserver un milieu naturel d’une superficie de 50 ha ailleurs dans la région pour l’utilisation par la faune.
[37] Ces options, ainsi que les autres conditions imposées à Northvolt (dont le paiement de 4,7M$ en compensation pécuniaire) sont des mesures faisant partie de la discrétion confiée au ministre par l’art. 22 LQE. Il ne revient pas au Tribunal d’intervenir et de remettre en question l’opportunité des décisions prises dans les limites de cette discrétion. »14
En plus de ce manque de précision, les demanderesses ont soutenu que l’autorisation n’avait pas été « suffisamment motivée » puisqu’elle n’expliquait pas en quoi le plan de réhabilitation de Northvolt assure une « atteinte minimale » aux milieux humides et en quoi « l’absence d’autres sites » justifie le projet dans sa forme actuelle15. La Cour n’y a toutefois pas vu une « absence de motifs », vu la série de documentation associée à l’autorisation et qui en fait « partie intégrante »16 . Cet argument des demanderesses révélerait une « insatisfaction devant la décision du ministre plutôt qu’une absence de motifs »17 .
Le permis municipal, pour sa part, était considéré invalide par les demanderesses puisqu’il permettait l’abattage d’arbres dans un « milieu humide d’intérêt métropolitain, une zone où les travaux sont interdits par le Règlement de contrôle intérimaire de la communauté métropolitaine de Montréal numéro 2022-96 concernant les milieux naturels (RCI)18 . Or, la municipalité a fourni une interprétation jugée « défendable » et, à première vue, raisonnable de ce règlement. Selon elle, l’interdiction d’effectuer les travaux pouvait être levée puisque l’étude de caractérisation soumise par Northvolt avait démontré que son intervention se situait en dehors des limites précises du milieu humide d’intérêt19 . Ainsi, il n’y avait pas lieu pour la Cour d’intervenir et de suspendre le permis20 .
Cela dit, même si le critère de l’apparence de droit a échoué, le juge Collier a tout de même pris note du fait que le critère du préjudice sérieux penchait en faveur des demanderesses. Son explication à cet égard est intéressante :
« [63] Il y a sans doute un préjudice sérieux causé à autrui lorsqu’un arbre est coupé ou un milieu humide est détruit ou endommagé sans droit. Par ailleurs, il est incontestable que, sans la délivrance d’une ordonnance d’injonction interlocutoire dans la présente instance, il existera un état de fait qui rendra le jugement au fond inefficace. Ce critère penche en faveur des demanderesses dans cette affaire. »
Les remarques du juge Collier sur la balance des inconvénients démontrent par ailleurs un contraste clair entre la perte de milieux humides et les gains économiques anticipés qui découlent du projet :
« [64] La question de la balance des inconvénients est moins claire. Si l’injonction n’est pas délivrée, il y a lieu de croire que des milieux humides ayant une superficie de 13,8 ha (138 162 m2) seront détruits ou dégradés sur le site de Northvolt. Il y aura perte d’un milieu naturel à la fois rare et important pour l’environnement de la région.
[65] Toutefois, cette perte sera compensée par le paiement d’une somme de 4,7M$ par Northvolt qui servira à la restauration ou à la préservation d’autres milieux humides. De plus, Northvolt s’est engagée à créer ou à restaurer elle-même des milieux humides, et à planter 24 000 arbres, en grande majorité sur son site, pour compenser la coupe de 8 730 arbres vivants, ainsi que le retrait du site de 5 365 arbres morts, sur son terrain.
[66] Pour sa part, Northvolt Batteries Nord-Amérique inc. soutient qu’elle subira un énorme préjudice économique si son projet est retardé ou ultimement abandonné en raison des délais. Le gouvernement du Québec estime que le projet Northvolt Batteries Nord-Amérique inc. est d’une grande importance pour l’économie de la province et qu’il créera 3 000 nouveaux emplois lorsque l’usine sera construite. C’est un projet « vert » et structurant pour la province.
[67] Enfin, s’il y a un intérêt public à la protection de l’environnement, il y a également un intérêt public à protéger la sécurité juridique des activités autorisées par l’administration publique. »
Commentaire
Bref, cette décision marque la première étape des débats judiciaires autour du grand projet industriel de Northvolt Batteries Nord-Amérique inc. Il faudra suivre attentivement la suite possible des procédures entreprises par le CQDE et les citoyennes21 , ainsi que le recours du Conseil des Mohawks de Kanhawake contre les gouvernements fédéral et québécois dans le contexte de ce même projet22 .
Il s’agit aussi d’une importante illustration des préoccupations qui sont à l’œuvre dans le contexte de la crise écologique. Dans les zones urbanisées, les boisés et les milieux humides subissent des pressions sans précédent. La balance délicate entre le respect des principes de droit administratif et l’impératif de protection des milieux naturels est au cœur de ce type de litiges.
Le texte intégral de la décision est disponible ici.
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[1] Centre québécois du droit de l’environnement c. Procureur Général du Québec (Ministre de l’Environnement, de la Lutte contre les changements climatiques, de la Faune et des Parcs), 2024 QCCS 202, par. 1-2.
[2] Par. 13-14.
[3] Par. 18-20.
[4] Par. 18.
[5] Par. 16.
[6] Par. 61.
[7] Un autre argument sur les espèces menacées et vulnérables a été formulée, mais a été abandonné par les demanderesses dans leur plaidoyer une fois qu’elles ont pris connaissance de la documentation du MELCCFP: par. 40-43.
[8] Par. 22.
[9] Par. 24-25.
[10] Par. 26.
[11] Par. 28-29.
[12] Par. 22.
[13] Par. 39
[14] Par. 36-37.
[15] Par. 44.
[16] Par. 46.
[17] Par. 45.
[18] Par. 49-51.
[19] Par. 52-56.
[20] Par 58.
[21] Centre québécois du droit de l’environnement, « Northvolt: vives inquiétudes face à la reprise imminente des travaux », communiqué de presse du 26 janvier 2024, en ligne : https://cqde.org/fr/nos-actions-nouvelle/northvolt/northvolt-vives-inquietudes-reprise-imminente-travaux/
[22] Radio-Canada, « Northvolt : Kahnawake entame son propre recours contre les gouvernements », 24 janvier 2024, en ligne : https://ici.radio-canada.ca/espaces-autochtones/2044191/mohwak-kahnawake-northvolt-poursuite-quebec
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