Une inférence est-elle suffisante pour justifier la divulgation de sources journalistiques?
Par Jessie McKinnon, avocate
Le 11 janvier dernier, dans Société Radio-Canada c. Edmundson, la Cour suprême du Canada a rejeté la demande d’autorisation d’appel d’une décision de la Cour supérieure de justice de l’Ontario[1] concernant la divulgation de sources journalistiques en vertu de la Loi sur la preuve au Canada[2] (ci-après la « LPC »). Le présent billet fait un retour sur cette décision.
Contexte
Les deux jugements précédant la décision de la cour supérieure de l’Ontario font l’objet d’une ordonnance de non-publication conformément à l’article 486.4(1) du Code Criminel[3] puisque les allégations à l’origine de cette affaire sont des infractions d’ordre sexuel.
À l’origine de cette décision est un article de CBC basé sur des informations fournies notamment par deux sources anonymes.
Le défendeur a inféré que l’une des sources anonymes est X.X., un témoin principal de la Couronne, et a demandé et obtenu un subpoena afin d’obtenir accès aux notes de l’entrevue de CBC avec X.X., afin d’évaluer la similarité entre les informations fournies à CBC et la déclaration faite aux policiers dans le cadre de l’enquête et la preuve qui sera éventuellement faite au procès. Il est à noter que la demande ne visait que les informations en lien avec X.X., si tant est qu’il s’agit d’une source anonyme.
En d’autres termes, le défendeur souhaite accéder aux notes de l’entrevue de CBC sur la base d’une inférence.
CBC s’oppose à cette demande de divulgation.
Au moment de la décision de la cour supérieure de l’Ontario, les informations requises n’avaient pas encore été divulguées au défendeur puisque la première étape était de soumettre les informations au juge en vertu de l’article 39.1 de la LPC, qui concerne la divulgation de documents provenant de journalistes qui sont susceptibles de révéler l’identité de sources anonymes.
La question en litige était donc à savoir si l’intérêt public dans l’administration de la justice l’emportait sur le privilège applicable aux sources journalistiques (39.1(7) LPC).
Dans la première décision, le juge Crewe, après avoir analysé les documents, a accepté l’inférence proposée par le défendeur à l’effet que X.X. était la source journalistique la plus probable (« most probably the journalistic source ») et a conclu que X.X. ne bénéficiait plus du privilège après avoir volontairement soumis une déposition lors de l’enquête criminelle.
La juge Parfett, en appel de cette décision, a conclu que le juge Crewe a erré et aurait dû compléter l’analyse. Elle lui a ainsi retourné le dossier.
Le juge Crewe en vient à nouveau à la conclusion que l’intérêt de la justice l’emporte sur le privilège accordé aux sources journalistiques et que, si X.X. est la source journalistique, les documents pourront être divulgués.
CBC en appelle de cette décision au motif que l’inférence adoptée par le juge aurait été utilisée de façon inadéquate afin de court-circuiter l’analyse de 39.1(7) LPC.
Décision
Le juge MacLeod de la Cour supérieure de l’Ontario rejette l’appel de CBC:
« [18] I do not agree that this is an error in the circumstances of this case, nor do I agree that the trial judge altered the statutory test. As noted above, the subpoena in question is conditional. CBC need only produce notes and records in relation to one of the unnamed journalistic sources, if that source was X.X., the proposed Crown witness. As I also noted, paragraph 12 of the decision of Parfett J. suggests that on that appeal, counsel had not suggested the inference itself was improper but simply that the inference was misused. The direction from Parfett J. to Crewe J. was that the inference should form part of the analysis under subsection (7). »
À l’appui de sa décision, le juge MacLeod revisite la preuve soumise au soutien de l’inférence[4] et conclut qu’elle étoffe amplement la probabilité, qu’il qualifie de haute, que X.X. soit la source journalistique.
résume ensuite la position du privilège des sources journalistiques en droit canadien par rapport à l’intérêt public dans l’administration de la justice:
« [21] Section 39.1 firmly plants journalistic source privilege in Canadian law as a class privilege. It does not make the privilege absolute. As with most privileges, if the interests of justice require it, the privilege may yield. (See Blank v. Canada (Minister of Justice), 2006 SCC 39, [2006] 2 SCR 319, para 56). In the case of s. 39.1, the very provision which entrenches the privilege in the CEA also provides the court with the specific authority to override the privilege if the court is satisfied that the statutory factors in s. 39.1 (7) are met. Applying those factors after due consideration to the impact of the order to freedom of the press is not, as the applicant argues, to compel journalists to reveal their sources “as a matter of course”. »
CBC a soumis une demande d’autorisation d’appel de la décision du juge MacLeod à la Cour suprême du Canada. Celle-ci a rejeté la demande d’autorisation, mettant ainsi un terme à ce débat.
Commentaire
En somme, nous pouvons comprendre de la décision du juge MacLeod qu’une inférence peut être suffisante pour ordonner la divulgation de sources journalistiques en vertu de l’article 39.1 LPC lorsque la probabilité que la source en question soit un témoin de la Couronne est haute.
Le texte intégral de la décision est disponible ici.
[1] R c. Edmundson, 2023 ONSC 4236
[2] LRC 1985, c. C-5
[3] LRC 1985, c. C-46[4] Voir R c. Edmundson, 2023 ONSC 4236 par. 19
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