Lajoie c. R, 2023 QCCA 1595 : Peine d’emprisonnement avec sursis sur un chef de contact sexuel.
Par Zakary Lefebvre, avocat et Florence Chénier
Le 16 novembre 2019, la Cour suprême du Canada se prononce sur la détermination des peines imposées aux infractions d’ordre sexuel à l’endroit des enfants dans l’arrêt Friesen. La Cour déclare dans cet arrêt que les peines imposées se doivent d’être plus lourdes, mais proportionnelles à la gravité de l’infraction et au degré de responsabilité du délinquant. Il est également rappelé que la peine doit tenir compte du principe de parité, mais qu’il est, de surcroit, primordial de se concentrer sur le préjudice émotionnel et psychologique de l’enfant, au même titre que sur le préjudice corporel subit pour déterminer la peine imposable. Cet arrêt met en lumière les initiatives du législateur en matière de détermination de la peine, mais également la meilleure compréhension de la société face au caractère répréhensible et nocif de la violence sexuelle à l’endroit des enfants.
Contexte
L’appelant se pourvoit contre la peine d’emprisonnement de deux ans moins un jour prononcée contre lui par la Cour du Québec le 11 juillet 2022 à la suite d’une déclaration de culpabilité relativement à un acte d’attentat à la pudeur.
L’appelant a commis le crime en juin 1971. La victime (« X ») était âgée de 9 ans et l’appelant de 25. Ce dernier était le conjoint de la marraine de la victime. Les évènements se sont déroulés dans la cuisine de la résidence du délinquant. Ce dernier a assis X sur ces genoux et l’a embrassée sur la bouche, avec la langue. Le délinquant introduit ensuite sa main sous le pantalon de X et lui caresse la vulve sans pénétration. L’acte s’est étalé sur une période de cinq minutes et était un geste unique et isolé.
Bien que le geste fût de courte durée et isolé, il a eu de majeurs incidences péjoratives sur la vie de la victime. Celle-ci s’est entièrement retirée de la vie familiale, s’isolant, ne voulant pas croiser son agresseur. Son témoignage expose les impacts négatifs que l’agression a eue sur sa vie, engendrant notamment un fort sentiment de culpabilité ainsi que plusieurs dépressions l’amenant, à une certaine époque, à des pensées suicidaires.
En première instance, invoquant l’arrêt Bissonnette de la Cour suprême et R. c. X de la Cour d’appel du Québec, le juge du procès rappelle l’importance d’évaluer les objectifs de dissuasion et de dénonciation ainsi que le principe de proportionnalité. Retenant quelques facteurs atténuants (bonne réputation de l’appelant et l’absence d’antécédents), mais surtout plusieurs facteurs aggravants (abus de confiance, jeune âge de la victime, conséquences sur la victime, etc.), le juge de première instance opine qu’une sentence de deux ans moins un jour, assortie d’une ordonnance de probation de trois ans, assortie d’une interdiction de contact se veut une peine juste et raisonnable dans les circonstances. En supplément, le juge ordonne à l’appelant de s’inscrire au registre des délinquants sexuels pour une période de dix ans en vertu de l’art. 490.012 C.cr.
Décision
Question en litige :
- La peine est-elle juste et proportionnelle ?
- L’appelant peut-il se voir imposer une peine d’emprisonnement avec sursis en application des articles 742 et s. du C.cr.?
- L’appelant peut-il être soustrait de l’ordonnance de se conformer à la Loi sur l’enregistrement de renseignements sur les délinquants sexuels?
Analyse
- La peine est-elle juste et proportionnelle ?
La Cour d’appel, sous la plume du juge Lévesque, se basant sur les enseignements des arrêts Friesen et Parranto de la Cour suprême en termes d’agression sexuelle et de peine d’emprisonnement et sur les faits propres de cette affaire, déclare que le juge de première instance a commis plusieurs erreurs de droit et de principe ayant eu un impact important sur la peine prononcée. En effet, il relève d’une part une erreur de principe :
« [28] Lorsqu’il a traité des facteurs aggravants, le juge a fait double emploi de l’âge de la victime et du mauvais traitement à l’égard d’une personne de moins de 18 ans. Il s’agit d’une erreur de principe qui a eu une incidence sur la peine, puisque le seul autre facteur aggravant retenu par celui-ci est l’abus de confiance qui a entraîné « des conséquences dévastatrices causées à la victime ».
D’autre part, la Cour expose une deuxième erreur de droit :
« [30] Le juge a aussi commis une erreur en incluant la gravité objective de l’infraction – caractère répréhensible inhérent aux gestes posés – parmi les facteurs aggravants, ce qui, conjugué avec l’erreur décrite ci-avant, a sans doute eu un effet déterminant sur la peine prononcée. »
En conséquence, la Cour d’appel réajuste la peine prononcée en s’assurant que cette dernière soit proportionnelle à l’acte criminel commis en se basant spécialement sur des peines imposées dans des affaires ayant de circonstances similaires.
La Cour conclut ainsi qu’une peine juste et proportionnelle à la gravité de l’infraction serait une peine de moins de deux ans d’emprisonnement, assortie d’une ordonnance de probation d’une durée d’un an et d’une interdiction de tout contact avec la victime pendant cette période.
- L’appelant peut-il se voir imposer une peine d’emprisonnement avec sursis en application des articles 742 et s. C.cr.?
La Cour considère, dans son raisonnement sur cette question, l’importance de la volonté du législateur face à l’emprisonnement avec sursis, relativement à une déclaration de culpabilité à un acte d’agression sexuelle.
La Cour d’appel est d’avis que l’intervention de la Cour est nécessaire puisque l’emprisonnement avec sursis ne fut pas considéré en première instance.
Elle rappelle l’importance de la mise en application des objectifs de dénonciation et de dissuasion, mais invoque également que l’emprisonnement se doit d’être modulé en fonction des besoins de l’affaire et qu’une peine avec sursis atteindrait les objectifs essentiels retrouvés aux articles 718 et 718.2 du C.cr, objectifs mentionnés notamment dans l’arrêt Proulx, de la Cour suprême.
Elle estime donc que la peine juste et équitable pour cette affaire doit être une peine de 12 mois d’emprisonnement au sein de la collectivité, aux conditions énoncées au paragr. 742.3(1) C.cr.
- L’appelant peut-il être soustrait de l’ordonnance de se conformer à la Loi sur l’enregistrement de renseignements sur les délinquants sexuels?
En première instance, le juge du procès avait ordonné à l’appelant de se soumettre à la Loi sur l’enregistrement de renseignement sur les délinquants sexuels (« LERDS ») pour une période de dix ans, tel que le prévoyait l’article 490.012 du C.cr. Toutefois, le 28 octobre 2022, la Cour suprême, dans l’arrêt Ndhlovu, est venue déclarer les articles 490.012 et 490.013 du C.cr. inopérants.
Invité à soumettre ses arguments, l’appelant plaidait en appel qu’il devait être soustrait à l’application de la LERDS et demandait une exemption constitutionnelle en vertu du paragraphe 24(1) de la Charte, notamment en avançant qu’il ne présentait pas de risque accru de récidive et que les effets de la LERDS étaient totalement disproportionnés.
L’intimé contestait quant à lui cette demande d’exemption constitutionnelle en rappelant que l’inscription au registre de la LERDS n’était pas une peine et qu’il appartenait à l’appelant de démontrer que son inscription au registre pour une période de dix ans violait ses droits.
La Cour d’appel, après avoir rappelé que ce type de demande était exceptionnelle, opinait que les éléments au dossier n’étaient pas suffisants pour trancher cette question et conclut que la demande de l’appelant ne pouvait être reçue par le Tribunal.
Cependant, la Cour considère important de préciser que le projet de loi S-12, entrant en vigueur le 26 octobre 2023, permettra à l’appelant de demander à un tribunal compétent d’être dispensé de l’enregistrement obligatoire relevant du C.cr. et de la LERDS.
Le texte intégral de la décision est disponible ici.
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