Droit de la famille — 24188, 2024 QCCS 459
Par SOQUIJ, Intelligence juridique
FAMILLE : Le demandeur, qui ne doit pas pouvoir obtenir ni même solliciter le statut de père à l’égard de l’enfant né à la suite d’une agression sexuelle qu’il a commise, est tenu de payer une somme forfaitaire de 155 483 $ pour satisfaire aux besoins de celui-ci.
2024EXP-519***
Intitulé : Droit de la famille — 24188, 2024 QCCS 459
Juridiction : Cour supérieure (C.S.), Saint-Maurice (Shawinigan)
Décision de : Juge Carl Lachance
Date : 15 février 2024
Références : SOQUIJ AZ-52005317, 2024EXP-519 (18 pages)
–Résumé
FAMILLE — filiation — réclamation d’état — reconnaissance de paternité — enfant issu d’une agression sexuelle — opposition à ce qu’un lien de filiation soit établi — désistement par l’auteur de l’agression — opposabilité — critères à considérer — article 33 C.C.Q. — préjudice causé à l’enfant et à la mère — contribution financière à titre d’aliments — interprétation de l’article 542.33 C.C.Q. — besoins de l’enfant — somme forfaitaire.
PROCÉDURE CIVILE — incidents — désistement — réclamation d’état — reconnaissance de paternité — enfant issu d’une agression sexuelle — opposition à ce qu’un lien de filiation soit établi — désistement par l’auteur de l’agression — opposabilité — critères à considérer — article 33 C.C.Q. — préjudice causé à l’enfant et à la mère.
INTERPRÉTATION DES LOIS — intention du législateur — interprétation de l’article 542.33 C.C.Q. — contribution financière à titre d’aliments — enfant issu d’une agression sexuelle — besoins de l’enfant — somme forfaitaire.
Désistement relatif à une demande en reconnaissance de paternité. Demande en reconnaissance de paternité. Rejetés.
Le demandeur a agressé sexuellement la mère et un enfant, X, est issu de cette agression. Il a introduit une demande en reconnaissance de paternité dont il s’est désisté après que la mère eut manifesté son opposition à celle-ci, suivant l’article 542.24 du Code civil du Québec (C.C.Q.).
Le Tribunal est appelé à trancher la question de l’opposabilité à la mère du désistement de la demande en reconnaissance de paternité et, le cas échéant, du sort de celle-ci et d’une demande de contribution alimentaire forfaitaire présentée en vertu de l’article 542.33 C.C.Q.
Décision
Le désistement de la demande en reconnaissance de paternité n’est pas opposable à la mère. En effet, il ne s’agit pas d’un droit absolu, et plusieurs décisions des tribunaux ont déclaré que des désistements qui causaient un préjudice étaient inopposables. L’article 542.24 C.C.Q. prévoit le droit d’un enfant issu d’une agression sexuelle de s’opposer à ce qu’un lien de filiation soit établi. Il s’agit d’un droit conféré à l’enfant et à sa mère dans le cas d’une demande en reconnaissance de paternité. Or, par son désistement, le demandeur, soit l’auteur de l’agression, cherche de façon stratégique à éviter l’application de l’article 542.24 C.C.Q. et à se garder le droit de réclamer ultérieurement l’établissement d’un lien de filiation à son égard. Il laisse la mère et l’enfant dans l’incertitude. Ce dernier est ainsi privé du droit de faire statuer immédiatement et définitivement sur le droit de l’agresseur de sa mère d’obtenir la reconnaissance de sa paternité. Dans son intérêt supérieur, X a droit à la quiétude et à la paix d’esprit, tout comme sa mère. Il pourra toujours, s’il le souhaite et y voit des avantages, demander l’établissement de la filiation, mais laisser le choix à l’agresseur de revenir à la charge serait contraire à l’intérêt de la justice.
Le demandeur ne doit pas pouvoir obtenir ni même demander le statut de père de X, compte tenu des actes très graves et violents qu’il a commis et qui ont eu des répercussions sur ce dernier et la mère, de ses antécédents criminels, de sa délinquance, de son risque de récidive et de sa personnalité. Même si l’article 542.24 C.C.Q. ne précise pas les motifs permettant d’accueillir l’opposition, l’article 33 C.C.Q. fournit des pistes à cet égard. Ainsi, cette disposition mentionne que le tribunal peut analyser la preuve de violence sexuelle afin de déterminer l’intérêt supérieur d’un enfant. En l’espèce, cet intérêt supérieur ne milite pas en faveur de la demande du père. En outre, il est difficile d’envisager que l’agresseur de la mère puisse agir comme un modèle pour X, aider celui-ci à construire son identité et lui inculquer un bon système de valeurs.
L’article 542.33 C.C.Q. énonce que celui qui commet une agression sexuelle doit payer à la victime une contribution alimentaire pour enfant sous la forme d’une somme forfaitaire. Celle-ci est attribuée afin de satisfaire aux besoins de l’enfant, et l’article ne fait pas mention du fait qu’il faut prendre en compte la capacité financière de l’auteur de l’agression ni celle de la mère de l’enfant. Tout comme le démontrent les propos tenus par le ministre de la Justice lors des travaux parlementaires ayant précédé l’adoption de l’article 542.33 C.C.Q., le législateur n’entrevoyait pas une utilisation des barèmes québécois pour fixer la contribution financière. En l’espèce, la mère réclame une indemnité uniquement pour la période du 10 mars 2025, ce qui correspond à la fin de la peine du demandeur, jusqu’au moment où X atteindra sa majorité. Étant admis que le coût moyen des frais à engager pour un enfant comme X s’établit à 14 000 $ par année et en utilisant un taux d’actualisation de 3,25 %, il y a lieu d’ordonner le paiement d’une somme forfaitaire de 155 483 $ comme contribution financière à titre d’aliments. Cette somme pourra être majorée, advenant l’adoption par le ministre de la Justice d’un règlement fixant les normes suivant lesquelles la contribution sera fixée ou si un changement important survenait en ce qui concerne les besoins de l’enfant.
Le texte intégral de la décision est disponible ici.
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