Protection de la jeunesse — 24778, 2024 QCCS 752
Par SOQUIJ, Intelligence juridique
PROTECTION DE LA JEUNESSE : La Cour du Québec, Chambre de la jeunesse, peut ordonner à la DPJ de supporter certains frais pour corriger une situation lésionnaire, mais cela ne peut aller jusqu’au paiement d’une somme en dédommagement des manquements qui ont mené à une telle situation.
2024EXP-864***
Intitulé : Protection de la jeunesse — 24778, 2024 QCCS 752
Juridiction : Cour supérieure (C.S.), Baie d’Hudson
Décision de : Juge Isabelle Breton
Date : 18 janvier 2024
Références : SOQUIJ AZ-52010324, 2024EXP-864 (11 pages)
–Résumé
PROTECTION DE LA JEUNESSE — droits de l’enfant et des parents — lésion de droit — adolescente — directrice de la protection de la jeunesse — droit de recevoir des services de santé et des services sociaux adéquats — manque de diligence — intérêt de l’enfant — devoir de suivi auprès de l’enfant — inaction — mesure correctrice — attribution d’une somme d’argent — appel — norme d’intervention — décision correcte — erreur de droit — interprétation de l’article 91 alinéa 4 de la Loi sur la protection de la jeunesse — intention du législateur — immunité — compétence — Cour du Québec, Chambre de la jeunesse.
PROCÉDURE CIVILE — compétence — Cour du Québec, Chambre de la jeunesse — ordonnance — lésion de droit — mesure correctrice — attribution d’une somme d’argent.
INTERPRÉTATION DES LOIS — intention du législateur — interprétation de l’article 91 alinéa 4 de la Loi sur la protection de la jeunesse — utilisation du terme «corrigée» — distinction d’avec le terme «réparée» — débats parlementaires.
Appel d’un jugement de la Cour du Québec, Chambre de la jeunesse, ayant accueilli une demande en lésion de droits et ayant ordonné à la directrice de la protection de la jeunesse (DPJ) de verser une somme de 25 000 $. Accueilli.
L’avocate de X, une adolescente née en 2004, a présenté une demande en déclaration de lésion de droits pour sa cliente, laquelle avait été oubliée par le système pendant plus de 14 ans. Entre octobre 2004 et avril 2008, X a été déplacée 45 fois dans 18 milieux différents. Aucun service ne lui a été offert de novembre 2006 à mai 2021 et, à la suite du jugement prononcé en 2006, sa situation n’a pas été révisée avant 2021. X a fait l’objet de 3 signalements entre février 2017 et février 2021, et celui de 2017 est demeuré au stade de l’évaluation et de l’orientation pendant 4 ans. C’est dans ce contexte que la lésion des droits de l’adolescente a été déclarée et que, par la suite, la juge de première instance a rendu le jugement visé par le présent appel, se prononçant sur des mesures correctrices et ordonnant notamment le paiement d’une somme d’argent à l’enfant. Pour en arriver à la conclusion d’accorder à cette dernière la somme de 25 000 $, la juge a d’abord écarté le régime de la responsabilité civile et celui prévu à l’article 49 de la Charte des droits et libertés de la personne, déclarant ceux-ci inapplicables puisqu’ils requièrent la preuve d’une faute, d’un préjudice et d’un lien de causalité, ce que le régime de la lésion de droits n’exige pas. Au soutien de son appel, la DPJ fait valoir que la juge a commis une erreur de droit en excédant les pouvoirs qui lui sont conférés par l’article 91 alinéa 4 de la Loi sur la protection de la jeunesse.
Décision
L’appel devant la Cour supérieure d’une décision rendue par la Cour du Québec, sous l’autorité de la Loi sur la protection de la jeunesse, est régi par les articles 99 et ss. de cette loi. Le motif d’appel étant fondé sur une erreur de droit, la norme d’intervention applicable est celle de la décision correcte.
Pour ordonner une compensation financière, la juge s’est fondée sur le caractère réparateur de la loi et en a fait une interprétation large et libérale. Elle s’est également inspirée du jugement rendu dans l’affaire Protection de la jeunesse 1009 (C.S., 1999-09-02), SOQUIJ AZ-99021951, J.E. 99-1924, [1999] R.J.Q. 2703, lequel a maintenu une compensation financière accordée à des tiers qui hébergeaient un enfant. Or, les faits de cette affaire se distinguent de la présente situation. Le versement de la somme de 25 000 $ ne constitue pas un remède concret à la lésion ni ne vise à éviter que l’enfant ne se retrouve dans la même situation, une fois la lésion corrigée. Il y a tout simplement absence de lien entre la somme et les objectifs visés par l’article 91 alinéa 4 de la loi. L’attribution de cette somme, par sa nature, se situe plutôt dans la sphère du dédommagement, car la juge a renvoyé aux manquements de la DPJ et, par conséquent, à la notion de «faute», bien qu’elle ne l’ait pas exprimé directement. En outre, la juge a fait abstraction de l’immunité de poursuite conférée par l’article 35 de la loi, sans compter d’autres critères applicables au régime de la responsabilité civile. En l’espèce, en ordonnant à la DPJ de verser 25 000 $ à une adolescente dont les droits avaient été lésés, la Cour du Québec, Chambre de la jeunesse, est allée au-delà de ce que l’article 91 alinéa 4 de la loi lui permettait. À cet égard, il importe de rappeler que le législateur a utilisé le terme «corrigée» plutôt que «réparée» à cet article. Or, s’il avait voulu permettre une compensation en réparation d’une lésion de droits, il aurait opté pour une formulation différente. Il n’appartient pas à cette cour de modifier la loi. Ce rôle appartient au législateur. Enfin, la juge a invoqué les particularités culturelles du peuple inuit, lequel est peu enclin à formuler des réclamations de nature pécuniaire, mais cela ne peut fonder un tribunal, quel qu’il soit, à outrepasser les pouvoirs que lui confère la loi.
Instance précédente : Juge Peggy Warolin, C.Q., Chambre de la jeunesse, 640-41-002687-215, 2022-11-18, 2022 QCCQ 13787, SOQUIJ AZ-51939739.
Réf. ant : (C.Q., 2022-11-18), 2022 QCCQ 13787, SOQUIJ AZ-51939739, 2023EXP-1411; (C.S., 2023-04-28), 2023 QCCS 1522, SOQUIJ AZ-51933003, 2023EXP-1413.
Le texte intégral de la décision est disponible ici.
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