Construction Ric (2006) c. Procureur général du Québec : un rappel de l’importance du respect de la procédure de réclamation prévue au contrat
Par Sandra Joseph, avocate et Julie Duchesne, Étudiante
Le 31 janvier 2024, la Cour supérieure a rendu son jugement dans l’affaire Construction Ric (2006) c. Procureur général du Québec1 portant sur une demande de compensation dans le cadre d’un contrat d’entreprise à forfait. Dans ce litige, la demanderesse, Construction Ric (2006) (ci-après « Construction Ric »), réclame au défendeur, le Procureur général du Québec agissant à titre de représentant du ministère des Transports du Québec (ci-après « MTQ »), la somme totale de 1 832 059, 08$ pour des travaux supplémentaires occasionnés notamment par un début anticipé des travaux imposé par le MTQ, des conditions climatiques difficiles ayant entrainé des retards, des travaux non inclus dans le contrat initial, et pour la libération de la retenue contractuelle. Pour les motifs qui suivent, la Cour supérieure rejette la demande en réclamation de Construction Ric.
Contexte
Les faits à l’origine de l’affaire sont les suivants. Le 5 février 2015, le MTQ lance un appel d’offres pour des travaux de remplacement de trois ponceaux en acier par des structures de remblai sur le réseau routier. Le contrat est octroyé à Construction Ric le 1er avril 2015 pour un montant forfaitaire de 3 962 597,43 $. Le début des travaux est convenu pour le 27 avril 2015 et, ce, malgré la demande de Construction Ric de retarder le début des travaux après la période de crues, soit au 19 mai 2015. Le contrat stipule alors que les travaux doivent être terminés dans un délai de 21 semaines, soit le 21 septembre 2015. Dans les faits, les travaux se termineront plutôt le 6 octobre 2015, date de la réception des travaux avec réserves.
Le 28 septembre 2015, cinq jours après la dernière réunion de chantier, Construction Ric transmet au MTQ un avis d’intention de présenter une demande de compensation en raison des retards engendrés par les conditions météorologiques et des travaux supplémentaires qui ont dû être effectués2 . Le 21 janvier 2016, Construction Ric remet au MTQ une demande en prolongation des délais en indiquant que celle-ci fait partie de la procédure de réclamation à venir. Les parties échangeront alors diverses correspondances relativement à la réclamation et à la procédure prévue aux documents contractuels3 . Par la suite, le 19 mai 2016, le MTQ accepte la partie de la réclamation qui porte sur la demande de prolongation de délai de 14 jours4 .
Le 16 décembre 2016, Construction Ric soumet sa réclamation au MTQ qu’elle complètera le 18 janvier 20175 . Dans sa correspondance du 27 janvier 2017, le MTQ rejette la réclamation en indiquant que celle-ci est irrecevable, car transmise hors délai. Construction Ric décide toute de même de transmettre sa réclamation de façon officielle au sous-ministre du MTQ le 9 mars 20176.
Décision
Le présent litige pose la question de la recevabilité de la réclamation de Construction Ric dans le contexte de l’application de la procédure de réclamation prévue à l’article 8.8 du Cahier des charges et devis généraux (ci-après « CCDG ») qui fait partie intégrante du contrat. Celle-ci se détaille en quatre étapes :
« 1- Dans un délai maximal de 15 jours à compter du début des difficultés qui, selon lui, le justifient, l’entrepreneur doit transmettre directement au directeur une lettre, avec copie au surveillant, dans laquelle « il expose et motive son intention de réclamer »;
2- Après étude du grief, la Direction fait part de son point de vue à l’entrepreneur et propose, s’il y a lieu, une solution;
3- À défaut d’entente, l’entrepreneur peut présenter une réclamation détaillée qui, dans le cas où une réception avec réserve est faite par le Ministère, doit être reçue au bureau du sous-ministre au plus tard 120 jours suivant la réception par l’entrepreneur de l’estimation des travaux faisant l’objet de la réception avec réserve;
4- Si l’avis d’intention ou la réclamation ne sont pas produits dans les délais prescrits, un tel comportement est considéré comme un désistement de tout droit que l’entrepreneur aurait pu avoir. 7»
Construction Ric argumente, d’une part, que lorsqu’elle a soumis sa réclamation, elle était encore à l’intérieur du délai stipulé dans la procédure, car elle n’avait pas encore reçu le document nécessaire pour commencer le décompte des 120 jours, à savoir l’estimation finale des travaux. D’autre part, Construction Ric prétend que, de toute manière, le MTQ a renoncé à l’application de l’article 8.8 du CCDG, en particulier en ce qui a trait au délai de 120 jours8.
La Cour explique d’abord que la procédure de réclamation prévue à l’article 8.8 du CCDG s’inscrit dans le contexte du 3e alinéa de l’article 2109 C.c.Q. qui porte sur le contrat d’entreprise à forfait :
« 2109. Lorsque le contrat est à forfait, le client doit payer le prix convenu et il ne peut prétendre à une diminution du prix en faisant valoir que l’ouvrage ou le service a exigé moins de travail ou a coûté moins cher qu’il n’avait été prévu.
Pareillement, l’entrepreneur ou le prestataire de services ne peut prétendre à une augmentation du prix pour un motif contraire.
Le prix forfaitaire reste le même, bien que des modifications aient été apportées aux conditions d’exécution initialement prévues, à moins que les parties n’en aient convenu autrement. »
En effet, le contrat à forfait « prévoit que dans le cadre d’un contrat d’entreprise établi sur une base forfaitaire, « l’entrepreneur assume généralement le risque que les conditions d’exécution du contrat diffèrent de celles prévues au contrat9 » . Or, dans le cas qui nous occupe, le contrat prévoit une procédure de réclamation dans laquelle l’entrepreneur peut être indemnisé pour les coûts excédentaires alors que le donneur d’ouvrage « s’assure d’être avisé des changements aux conditions d’exécution et de la continuation des travaux »10 .
La Cour rappelle également que le comportement et la conduite des parties permettent de déterminer si le donneur d’ouvrage a renoncé à ses droits quant à l’application de la procédure de réclamation ou si l’entrepreneur s’est désisté de son droit de déposer une réclamation :
[48] Récemment, la Cour d’appel rappelait qu’elle « s’est maintes fois exprimée sur l’importance pour les entrepreneurs de respecter les formalités prescrites dans les contrats publics afin de cristalliser leurs droits d’action à l’égard de réclamations pour les coûts des travaux additionnels requis par les conditions de chantier ».[49] Cependant, l’entrepreneur peut repousser la présomption de son désistement de tout droit qu’il aurait pu avoir « si la conduite du ministère et de ses préposés est telle que l’on peut raisonnablement conclure qu’il y a eu renonciation à se prévaloir de cet abandon ».
[50] À ce sujet, il est précisé que « (b)ien qu’elle doive être « claire et non équivoque », une telle renonciation n’a pas à être explicite et peut s’inférer, par exemple, de la conduite du ministère et de ses préposés. En clair, le maître de l’ouvrage peut avoir « renoncé expressément ou tacitement à l’application de la procédure mentionnée au contrat ». »
Après avoir analysé l’ensemble de la preuve soumise, la Cour arrive à la conclusion que Construction Ric n’a pas respecté le délai spécifié aux documents d’appel d’offres pour transmettre son avis d’intention de présenter une demande en compensation, soit le délai maximal de 15 jours après le début des difficultés rencontrées11 .
En effet, ce sont essentiellement les conditions météorologiques printanières et estivales qui ont causé des retards et des travaux supplémentaires, et qui sont la source de motivation de Construction Ric à présenter une demande de compensation12 . De ce fait, l’intention de réclamer est clairement liée aux évènements survenus pendant l’exécution des travaux découlant des conditions météorologiques et non uniquement à des évènements qui se seraient produits dans les 15 derniers jours de septembre 2015.
Qui plus est, la Cour ajoute également que la réclamation détaillée n’a pas été transmise dans les 120 jours suivant la date de réception des travaux avec réserve, mais plutôt 519 jours après cette date.
Par ailleurs, concernant le deuxième argument de Construction Ric, la Cour souligne qu’il n’y a aucune preuve permettant de conclure que le MTQ aurait renoncé à la présomption de désistement de la demanderesse ou aux délais établis dans la procédure de réclamation. Le MTQ avait d’ailleurs rappelé à Construction Ric dans son courriel du 25 janvier 2016 que la présentation de la réclamation devait être effectuée conformément à l’article 8.8 du CCDG13 .
Pour ces motifs, la Cour donne raison au MTQ et rejette la demande de compensation de Construction Ric pour travaux supplémentaires.
Commentaire
Cette décision rappelle l’importance du respect de la procédure de réclamation établie dans les documents d’appel d’offres en construction. Le non-respect de cette procédure peut entraîner des conséquences significatives pour les parties impliquées.
Le texte intégral de la décision est disponible ici.
[1] Construction Ric (2006) c. Procureur général du Québec, 2024 QCCS 474.
[2] Ibid au para 14.
[3] Ibid au para 15.
[4] Ibid aux para 26-28.
[5] Ibid aux para 20-21.
[6] Ibid au para 23.
[7] Ibid au para 44.
[8] Ibid au para 11.
[9] Ibid au para 46 ; Construction Infrabec inc. c. Paul Savard, Entrepreneur électricien inc., 2012 QCCA 2304 au para 49.
[10] Construction Ric (2006) c. Procureur général du Québec, supra note 1 au para 47 ; Construction Infrabec inc. c. Paul Savard, Entrepreneur électricien inc., supra note 8 au para 51.
[11] Construction Ric (2006) c. Procureur général du Québec, supra note 1 aux para 52-57.
[12] Ibid au para 59.
[13] Ibid au para 17.
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